Un grand merci à Tamasa Diffusion pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « Anna et les loups » de Carlos Saura.
« De bons amis, les livres. Surtout pour une personne seule. Mais ils peuvent parfois être dangereux »
Par un été torride, de riches Espagnols font appel à une jeune femme anglaise, fine et coquette, Anna, pour s'occuper des trois enfants de la famille. Très vite, et malgré elle, Anna est plongée dans l'univers étrange des membres de la petite société. Tour à tour, chacun des trois hommes de la maison tente de la séduire. Juan, le père des enfants, lui envoie des lettres où se dévoile son obsession sexuelle, José lui demande de prendre soin de sa collection d'uniformes et Fernando se découvre soudain bien moins mystique qu'à l'ordinaire. La vie s'organise autour de la mère, qui n'a jamais accepté de voir grandir ses fils...
« Je suis responsable de l’ordre de cette maison et j’entends y faire régner la paix »
Le Cinéma espagnol aura suivi les aléas de l’Histoire politique du pays. Avant-gardiste et provocateur sous la houlette des surréalistes (Dali, Bunuel et son « Chien andalou ») à l’époque de la République. Coloré, libre et hystérique dans les années post-Franco (Almodovar et la « Movida »). Entre les deux, le cinéma espagnol aura été comme étouffé par le régime autoritaire du Caudillo durant lequel seuls les films de propagande étaient autorisés et où rares étaient les films réussissant à passer le couperet de la censure du régime. Du coup, le Cinéma espagnol a, durant près de cinquante ans, disparu peu à peu de la scène internationale. Ce n’est qu’à partir des années 60 qu’une vague de jeunes réalisateurs contestataires mais prudents ont émergé petit à petit et à faire des films sociaux et politiques en se jouant habilement de la censure. Chef de file de cette génération, le réalisateur Carlos Saura consacrera près d’une décennie à parler au travers de ses films de l’évolution de la société espagnole. Ses films seront ainsi régulièrement présentés et primés dans la plupart des grands festivals internationaux (« La chasse », « Peppermint frappé », « Cria cuervos »). Réalisé en 1972, la satyre sociale « Anna et les loups » connaitra une suite en 1979, intitulée « Maman a cent ans », qui sera nommé à l’Oscar du meilleur film étranger.
« C’est beau de porter un uniforme. De dominer les autres. »
Difficile - pour ne pas dire impossible - de traiter ou de critiquer la société dans un pays où le pouvoir politique autoritaire use et abuse de la censure pour contrôler les médias et la production artistique. On l’aura compris, il fallait alors aux cinéastes développer des trésors d’ingénuité pour contourner les interdits officiels. C’est précisément ce que fait avec beaucoup d’habileté Carlos Saura dans « Anna et les loups ». Film étrange de prime abord, avec l’arrivée d’une jeune étrangère dans une maison bourgeoise perdue au milieu de nulle part, comme coupée du monde. On comprend vite use de symboles et de moyens détournés pour nous parler de la société espagnole. Une société incarnée par cette famille bourgeoise et réactionnaire, isolée du reste du monde et repliée sur elle-même, et dont les manières brutales (fouille de la valise et contrôle des papiers, du courrier, violation de l’intimité) reflètent les pratiques quotidiennes du régime en place. Chaque personnage représente ainsi une part de la société : la doyenne est à l’image de l’état, séculaire, rigide et autoritaire. Ses trois fils représentent autant les obsessions que les frustrations du pays : la religion catholique, l’armée et le sexe. Quant à la jeune héroïne, c’est la jeunesse, libre et insouciante, qui se retrouve confrontée à ce monde ancien et immobile. Un monde avec lequel elle s’amuse, qu’elle croit naïvement pouvoir changer et qui finira inexorablement par la détruire dans un final hallucinant (et halluciné ?). Carlos Saura signe là un film d’une très grande finesse, alternant la légèreté, l’humour (parfois) et la violence la plus extrême. Satire sociale très habile, « Anna et les loups » demeure un film fort et exigeant et pas forcément le plus facile d’accès du réalisateur. Porté par d’excellents acteurs, à commencer par la sublime Geraldine Chaplin alors au sommet de sa beauté, le film annonce les thèmes et les succès des films à venir du réalisateur, et notamment le très beau « Cria cuervos », film féministe sur fond de société franquiste, popularisé par le joli thème de « Porque te vas ».
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