Des violons lancinants, une atmosphère bleutée et clinique sur laquelle se posent des résidus de tailles disproportionnées : tel est le plan d'ouverture de Gattaca qui symbolise à lui seul l'anticipation de ce " futur pas si lointain " dépeint par Andrew Niccol en 1998. Nous sommes dans une société dystopique où la science maîtrise la manipulation génétique, autrement dit dans un monde qui tend à la perfection de son espèce et où on fabriquerait des bébés sur mesure comme on commanderait un manteau sur La Redoute. Alors que la plupart des parents préfèrent concevoir in vitro en ayant le choix des aptitudes et caractéristiques physiques de leurs enfants, la reproduction sexuée devient une pratique minoritaire. Il s'agit d'éliminer toutes les prédispositions nuisibles avant la conception (alcoolisme, dépression, violence, sympathie pour Donald Trump, maladies cardiaques...). S'installent donc un eugénisme redoutable et une nouvelle hiérarchie des classes : les individus génétiquement parfaits (les " valides ") et ceux conçus naturellement (les " invalides "), catalogués par leurs imperfections et mis à l'écart. Un peu comme dans le Washington futuriste de Spielberg aveuglé par son déterminisme, on lit un gêne comme une boule de cristal via des probabilités. Pour Vincent ( Ethan Hawke), né naturellement, ses cellules deviennent un obstacle à ses rêves d'exploration de l'espace. Peu importe le travail qu'il fournira, la profession choisira le candidat génétiquement optimal. Voilà ce que semblent déjà nous communiquer les plans d'ouvertures : des ongles, quelques peaux mortes et des cheveux ayant pris une telle ampleur dans une existence qu'ils sont autorisés à s'emparer du cadre à échelle humaine. A quoi bon essayer de faire quelque chose de ma vie si un scientifique en blouse blanche a décidé que j'étais enclin à devenir délinquant ? La seule issue pour Vincent est d'adopter l'identité d'un " valide " complice, celle de Jerome Morrow ( Jude Law ) et d'assurer un travail de faussaire à chaque instant. Au quotidien, ça se traduit par une attention scrupuleusement portée aux résidus corporels. Car le moindre ongle ou cheveu sera analysé et le trahira. Bref, rien ne doit dépasser et Andrew Niccol semble nous dire : c'est la négation de l'humain qui se joue ici.
Vincent doit cacher ses failles et sa mortalité à ses collègues intouchables et la mission d'infiltration ira obligatoirement jusqu'à un rejet de l'enveloppe corporelle initiale (l'étirement des jambes pour correspondre à l'idéal physique). Comme dans un cauchemar de George Orwell, à Gattaca, l'humanité est proscrite au profit d'individus totalement déshumanisés et ne s'interrogeant jamais sur le bien-fondé du système. Hormis Irene, incarnée par Uma Thurman (personnage clé dans l'évolution du récit), le réalisateur ne prend d'ailleurs jamais la peine de développer la personnalité des employés de Gattaca. Une manière de signifier que tous forment une unité tristement insipide, de par leur supposée perfection. Pour le spectateur, ça ne restera que des ombres qui glissent dans des couloirs épurés et des costumes impersonnels dans des bâtiments à l'architecture fascinante. Et c'est précisément de ce côté-là que Gattaca surprend par sa finesse. Ne se contentant pas de donner le point de vue de l' " invalide " mis à mal par la discrimination, on s'interroge aussi sur le poids du devoir d'être un individu parfait dans un système oppressant voué à s'auto-détruire. A travers le personnage magnétique de Jude Law, handicapé par un accident (qui n'en est peut-être finalement pas un...), un avertissement est lancé à propos de ce culte de la performance plus qu'actuel, que même un immortel doit subir malgré lui. Vincent et Jerome, deux individus qui se voient dicter un destin dont ils ne veulent pas et vont tout faire pour percer les failles de cette fausse utopie grâce à la volonté d'être humain qui les caractérise.
Dans une démarche somme toute minimaliste, Gattaca touche juste grâce à la confrontation entre ces 2 personnages opposés qui s'entraident et cette si belle conciliation de l'intime et du grandiose. Avec quelques années d'avance, Andrew Niccol dénonce toutes les formes de discriminations commises aujourd'hui et met en garde contre l'élitisme, le clonage social qui frappe à notre porte et cette perte de diversité menaçant de tuer peu à peu le genre humain. Servi par une prod design irréprochable, une photographie dédiée à chaque scène et un casting impressionnant (mention spéciale à Jude Law, tout en retenue), Gattaca a le don d'explorer son sujet de la façon la plus intelligente et pertinente possible sous des thématiques pourtant maintes fois labourées dans la S-F (déterminisme, libre-arbitre et oppression). En moins de 2 h, le long-métrage prend le temps de disséminer modestement ses idées et de nous livrer son propos final bien abouti : ce qui est parfait est imparfait par essence. Pas de doute, le titre mérite bien sa place au panthéon des plus grandes œuvres du genre.
Titre Original: GATTACA
Réalisé par: Andrew Niccol
Genre: Science fiction
Sortie le: 29 avril 1998
Distribué par: -
CHEF-D'ŒUVRE