Pourquoi musique et cinéma font-ils si bon ménage ?

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

A l’occasion de la soirée Apéro Ciné Quiz organisée par Le Forum des Images, Le Cinéphile Anonyme et Cinézik autour de la musique de film, retour sur cette symbiose fructueuse de deux arts qui se sont bien trouvés.

L’histoire du cinéma a fini par qualifier la période antérieure au parlant de muette, mais cela ne veut pas dire que l’art cinématographique de l’époque était complètement silencieux. La musique est présente dans le cinéma dés ses débuts, mais c’est souvent une musique d’accompagnement, pensée pour couvrir le bruit de l’appareil de projection, en s’accordant plus ou moins avec ce qu’il se passe sur l’écran. Riccioto Canudo, penseur primordial de la valorisation du septième art, se plaignait déjà dans son article « Cinéma et musique » de la médiocrité de cette dernière : « Bien des raisons, d’ordres esthétiques comme d’ordre pratique, sont encore a dénoncer et à vaincre pour faire cesser l’insupportable de cette musique d’accompagnement qui nous ennuie copieusement dans la plupart de nos salles de cinéma. » Très rapidement, la musique a donc gagné sa place au cinéma, et c’est en 1908 qu’est composée la première composition originale par Camille Saint-Saens dans L’Assassinat du duc de Guise d’André Calmette. Art en constante évolution, la musique se retrouve donc depuis le XXème siècle à côtoyer ce nouveau venu, et ont inventés à eux deux une nouvelle forme d’expression artistique, avec les émotions qui l’accompagnent. Mais pourquoi fonctionnent-ils si bien ensemble ?

Le cinéma a besoin de la musique.

L’un des clichés autour de la musique de films consiste à penser qu’elle n’est qu’un accompagnement soulignant l’action. Au contraire, elle doit exister dans le film comme un personnage à part entière, qui lui donne une dimension sensique et émotionnelle supplémentaire. On peut d’ailleurs comparer le cinéma à l’opéra, qui est à la base une forme dérivée du théâtre, dans lequel on y a incorporé de la musique. Il s’agit donc d’un outil d’expression différent. Le septième art s’est beaucoup inspiré de l’opéra, et en a surtout réexploité la grammaire. En effet, l’opéra utilise la puissance de l’orchestre symphonique et de la voix pour définir un personnage et sa psychologie, qu’il adapte ensuite en fonction de la situation. Un thème, aussi appelé leitmotiv, se trouve attribué à chaque figure d’une pièce, et la partition le mêle avec d’autres, en variant l’orchestration, la tonalité ou le tempo afin de s’accorder à l’action. Cette musique symphonique et l’écriture qui y est liée a ainsi fait les beaux jours du cinéma durant de nombreuses années, avant qu’un besoin de renouveau amené avec le Nouvel Hollywood ne décide de s’éloigner de cette inspiration opératique jugée trop prégnante. Mais un compositeur particulier, et ses compositions désormais mythiques, vont changer la donne en 1977 : il s’agit de John Williams et de sa bande-originale pour Star Wars.

Pour l’anecdote, le réalisateur George Lucas avait d’abord voulu puiser sa musique dans le répertoire classique, à la manière de Stanley Kubrick sur 2001 : L’odyssée de l’espace, car il pensait qu’aucune autre musique ne pourrait rendre la dimension épique de son long-métrage. Heureusement que Steven Spielberg, avec qui Williams venait de collaborer pour Les Dents de la mer, l’en a dissuadé. Tout d’abord, la musique de Star Wars a fortement contribué (et contribue encore) au culte lié autour de la saga. Si le spectateur est aussi bien immergé dans cet univers science-fictionnel fondé sur les contes médiévaux, c’est parce que le film débute sur les chapeaux de roue, avec son fameux générique qui résume directement le contexte pour mieux nous plonger dans l’action. Sauf que l’introduction de Star Wars ne serait pas aussi efficace sans le thème de Williams. De plus, la bande-originale répond parfaitement aux intentions artistiques de Lucas, consistant à livrer une œuvre mythologique inspirée par l’universalité d’autres mythes. L’écriture de la Guerre des étoiles s’est faite grâce à l’aide d’un livre : Le Héros aux milles et un visages de Joseph Campbell. L’auteur, spécialiste en mythologie comparée, a émis au travers de son ouvrage la thèse du monomythe, expliquant que n’importe quel mythe, provenant de n’importe quelle civilisation, se base sur un parcours héroïque identique. En renforçant l’importance des leitmotiv, ainsi que la mécanique de son écriture musicale, Williams souligne celle du scénario, tout en proposant une orchestration riche et variée. La musique de Star Wars est bien un personnage à part entière, aussi mythique que Luke Skywalker ou Dark Vador, et sublime chaque instant pour leur offrir une force évocatrice que l’image seule ne peut pas donner. Si John Williams est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands compositeurs de musiques de films, c’est parce qu’il a su la rendre indispensable, et pas que pour Star Wars. Indiana Jones, E.T., Jurassic Park, la Liste de Schindler, la liste est longue, mais s’il n’y avait qu’un seul autre exemple à retenir, ce serait Les Dents de la mer, car la force du film de Steven Spielberg est d’avoir choisi de peu montrer le requin, ce qui lui crée un pouvoir d’omniscience effrayant. De ce fait, la musique est d’autant plus importante, puisqu’elle comble cette absence. La scène d’ouverture, qui nous laisse assister à la mort de la première victime de l’animal, associe l’attaque au célèbre thème musical minimaliste. Dès lors, le génie de Williams est d’engendrer une sorte de réflexe pavlovien. Si nous entendons le thème du requin, nous savons que ce dernier est proche, prêt à surgir à n’importe quel moment. L’association du montage et de la musique crée instinctivement de la peur dans le cœur du spectateur, alors même que celui-ci ne voit rien, à priori, qui pourrait l’effrayer.

La musique a besoin du cinéma.

Mais cet apport d’un art envers un autre ne fonctionne pas que dans un sens. A vrai dire, le cinéma a beaucoup aidé, durant le XXème siècle, à habituer l’auditeur à certains styles de musiques contemporaines en les laissant s’exprimer au sein de films. On peut prendre l’exemple de Philip Glass, l’un des plus grands représentants de la musique minimaliste (avec Steve Reich notamment), qui a su développer son intellectualisation de la musique au travers de nombreuses bandes-originales, parfois plus connues que les films en eux-mêmes. C’est notamment le cas de ses thèmes composés pour la trilogie Qatsi de Godfrey Reggio, utilisés par d’autres cinéastes avec le temps, aussi bien sur des projets indépendants que sur des blockbusters, à l’instar du Watchmen de Zack Snyder. En adaptant une musique dans un nouvel environnement, le cinéma a même permis de réhabiliter certains morceaux, voire de leur conférer une nouvelle aura culte grâce à une scène qu’ils ont su magnifier. Quand on entend la Sarabande de Haendel, impossible de ne pas penser à Barry Lyndon, ou quand on sifflote La Chevauchée des Walkyries, aux hélicoptères d’Apocalypse Now.

Mais cet appel d’un art nouveau n’a pas juste permis un regard vers le passé. Les innovations du cinéma ont ouvert la voie à de nouveaux types de récit, avec de nouvelles ambitions et un réalisme de plus en plus troublant, notamment dans le domaine de l’imaginaire. La musique a donc pu accompagner ce moyen d’expression pour expérimenter avec lui. Certains compositeurs l’ont même amenés dans des terrains encore inexplorés, à l’instar de Jerry Goldsmith, nom mythique à la carrière riche et diversifiée, allant de Chinatown à Star Trek en passant par Alien. Capable de l’orchestration la plus épique comme des ensembles inhabituels et volontairement cacophoniques. En l’occurrence, on comprend l’importance du cinéma de genre dans la vie de Goldsmith, car les images qu’il offre, souvent éloignées de la réalité, lui ont permises de tester le spectateur, de lui livrer des sons peu communs, afin de lui rendre compte de l’étrangeté du monde qu’on lui dépeint, ou tout simplement pour le mettre mal à l’aise. Cette recherche atteint probablement son paroxysme avec la bande-originale de La Planète des Singes (Franklin Schaffner, 1968). Tout du long, le compositeur va focaliser son écriture sur des altérations accidentelles, des silences, et surtout des sons étranges faits de percussions, de jeux avec des cordes ou de sonorités électroniques. L’ensemble évoque la découverte d’un monde inconnu et hostile, et sous-tend une sensation d’inquiétude, qui amorce avec brio le célèbre twist du long-métrage. Ainsi, la musique de films en devient même un genre dominant, constituées de modes qui s’imposent au reste du monde. A l’heure actuelle, difficile de passer à côté de Hans Zimmer, aussi bien connu pour avoir travaillé sur Pirates des Caraïbes et Gladiator que pour la trilogie Dark Knight, Inception ou encore Interstellar. Comme Goldsmith, il a beaucoup expérimenté, notamment dans le mélange des genres, et tout particulièrement de la musique orchestrale et électronique, le plus souvent ponctuées d’à-coups violents de basses qui ont fait son succès, et que l’on retrouve dans une grande partie du cinéma d’action moderne.

Musique et cinéma ont leur existence propre.

Mais le cinéma et la musique n’ont pas besoin d’être fidèles l’un à l’autre pour exister. Quand un cinéaste réexploite une musique du répertoire classique, même s’il lui donne une nouvelle image, il ne redéfinit pas le morceau. Il en va de même pour les compositions originales, qu’il est possible d’acheter en CDs, et donc d’écouter sans les images du film sous les yeux. Avant l’arrivée des vidéoclubs, il s’agissait du meilleur moyen pour « revisionner » un film une fois qu’il ne passait plus en salles. C’est notamment une démarche qui inspire la filmographie de Quentin Tarantino. En effet, sa forte cinéphilie a une grande influence sur son propre cinéma, très référencé, jusque dans sa musique. Il explique notamment l’impact des soundtracks sur son imaginaire. Quand il avait envie de revoir un film, il achetait sa BO pour en retrouver le contenu. Cependant, petit à petit, ces images disparaissent pour devenir celles que Tarantino fantasme, et que la musique stimule. Il réutilise cette technique sur l’écriture de ses propres films. Quand il est prêt à écrire un scénario ou qu’il commence à penser à une histoire, il imagine certaines scènes selon des morceaux qu’il affectionne, à l’exemple du générique de Django Unchained, basé sur la chanson du film Django de Sergio Corbucci, et qui reprend les mêmes motifs visuels en hommage (on pourrait aussi citer Inglourious Basterds avec Cat People de David Bowie, provenant du film La Féline de Paul Schrader). Cette méthode repose en fait sur le principe de la synesthésie, qui est un processus neurologique qui associe deux sens entre eux. Par exemple, les mots peuvent évoquer le goût, ou des couleurs. Ici, c’est l’ouïe et la vue qui sont en communication, la musique faisant apparaître des images. C’est pourquoi une bande-originale possède une existence propre, voire s’ancre dans l’inconscient collectif, sans même que le public ne sache de quel film cette musique est issue.

Les images et la musique parviennent donc à être reconnues dans leur identité propre. Pendant longtemps, l’appellation « musique de film » était mal perçue par les institutions classiques, pensant qu’elle était exploitée en tant qu’art inférieur par l’art supérieur qu’aurait été le cinéma. Or, cette reconnaissance de l’apport de la musique au cinéma (et vice-versa) voit aujourd’hui l’émergence d’événements spécialement conçus pour la musique de films. Par exemple l’orchestre cinématographique de Paris y est entièrement dédié, et il la promeut à travers des concerts. Plus généralement, il y a aussi l’émergence depuis les années 2000 du ciné-concert, dans lequel un film est projeté sans sa BO, qui est jouée par un véritable orchestre. Du Seigneur des Anneaux à Retour vers le futur en passant par Indiana Jones, ces films déjà connus pour leurs thèmes mythiques se retrouvent à mettre encore plus leur musique en avant durant ces concerts. Ce rendu physique de la musique par l’orchestre fait d’autant plus exister cette dernière, sans qu’elle n’empiète sur le film pour autant. C’est cette séparation de l’image et de la musique qui leur permettent de mieux se retrouver, et de se sublimer ensemble.

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