La vraie vie n’offre pas une morale clef en main avec le bien et le mal ou ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Nous n’avons pas de morale toute faite à disposition pour nous faciliter la vie dans nos décisions et nos dilemmes.
Nous affrontons souvent des situations qui nous forcent à reconsidérer nos valeurs, à questionner ce en quoi l’on croit. Nous sommes souvent obligés de choisir parmi deux solutions dont aucune ne sera satisfaisante et nous ne pouvons qu’espérer que cela pourrait résoudre ou du moins soulager le problème actuel.
La fiction reflète la réalité. Nos personnages doivent être soumis eux aussi à des dilemmes moraux ou à des décisions souvent difficiles. Des personnages moralement ambigüs peuvent permettre d’explorer des thèmes ou des situations où seules des réponses équivoques sont possibles. Cela peut faciliter la mise en place d’un sous-texte sans que cela alourdisse l’histoire et aussi au niveau du personnage, montrer un individu parfait qui suit toujours le droit chemin n’est pas très crédible. Même les superhéros ont leurs travers et leurs déviances.
Cependant, lorsque des décisions pas très morales s’imposent, il faut savoir gérer son personnage afin de ne pas le rendre détestable. Alors que des actes immoraux sont parfaitement compréhensibles et généralement admis, il faut tout de même faire en sorte que votre personnage principal reste sympathique et crédible aux yeux des lecteurs.
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L’ETHIQUE ET LES PERSONNAGES
Tout d’abord, votre personnage ne devrait pas angoisser et se torturer moralement et physiquement sur la moindre action. Par exemple, briser les os d’un garde alors qu’il fait seulement son travail ne devrait pas causer un réel cas de conscience à votre héros. La nécessité justifie les moyens et il ne faut pas voir en cette nécessité un nécessaire dilemme. Un acte immoral se justifie très bien à la condition toutefois qu’il soit cohérent avec l’ensemble de la personnalité du personnage.
Voler une pomme sur l’étal d’un pauvre commerçant parce que la faim tenaille votre héros trouvera grâce aux yeux du lecteur parce que votre héros aura agi en réponse à un besoin vital : celui de se nourrir et par là, de survivre pour affronter les épreuves bien plus difficiles qui l’attendent.
D’ailleurs un personnage qui se sent toujours coupable et plein de regrets ou de remords sur chaque action quelque peu questionnable qu’il prend sera très rapidement instable souffrant d’une dissonnance cognitive. La dissonance cognitive est une théorie de psychologie sociale expliquant que lorsque les circonstances amènent une personne à agir en désaccord avec ses croyances, cette personne éprouvera un état de tension inconfortable appelé dissonance.
Cette personne aura alors tendance à réduire cet inconfort en une modification de ses croyances afin de rendre de nouveau cohérent son univers et surtout de justifier son anxiété. Par contre, un auteur ne peut constamment jouer avec son personnage comme s’il était une girouette. Un arc dramatique est nécessaire, certains points de vue du personnage doivent changer au cours de l’histoire mais l’auteur ne peut logiquement changer toutes les valeurs, toutes les croyances, tous les idéaux de son personnage.
Si votre personnage se met à tout rationnaliser, s’il n’a que des certitudes, il perdra en humanité. Son éthique personnelle est garante de ses certitudes la plupart du temps, mais il faut lui conserver une part d’incertitudes qui ne manqueront pas de le troubler et qui s’illustreront par quelques actes immoraux au cours de l’histoire qui n’auront pas être nécessairement justifiés.
Lorsque votre personnage est en prise avec une décision majeure, vous devez vous assurer, en tant qu’auteur, que votre personnage a bien compris les implications et conséquences de chacun des choix qu’il est susceptible de faire. Votre personnage agira en connaissance de causes. Il n’y a pas de hasard dans une fiction (à part peut-être au moment de l’incident déclencheur).
Par exemple, votre personnage est le régent d’un royaume que la famine guette. Allez-vous forcer la princesse, que vous aimez tant et contre vos propres valeurs, à épouser le vieillard qui gouverne le royaume voisin du vôtre et par cette alliance, sauver votre peuple de la famine ?
Ou bien, allez-vous détourner le regard de la misère de votre peuple, de ses souffrances pour le bonheur égoïste de votre fille ? Cruel dilemme…
Il devrait toujours y avoir des difficultés dans les décisions à prendre. Les conséquences de la décision (c’est-à-dire le futur) doivent être clairement formulées et le lecteur doit les comprendre et il doit appréhender aussi l’anxiété, l’angoisse du personnage qui doit prendre une décision. Cela crée l’empathie.
Que le méchant de l’histoire soit sans pitié et égocentrique, on peut le comprendre mais le héros doit assumer ses doutes. C’est humain, après tout.
Lorsque vous décrivez une action de votre héros, ne prenez pas partie pour lui en justifiant ses actions. Vous devez montrer les deux facettes du choix qu’il a à faire sans désigner l’une ou l’autre comme la meilleure. Autrement dit, ne montrez pas que ceux qui s’opposent au héros sont dans l’erreur et que votre héros a toujours raison.
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LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (1)
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (2)
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Puis les choses étant ce qu’elles sont, si votre lecteur n’a pas un sentiment très positif sur votre héros à ce moment, tentez de forcer par des manœuvres artificielles sa sympathie pour votre personnage le rendra encore plus haineux ou méfiant envers celui-ci.
L’ambiguïté morale de votre personnage ne doit pas non plus l’autoriser à faire ce qu’il veut sans conséquence ou blâme. Et cette permission d’être immoral ne le rend pas supérieur aux autres personnages. Ce n’est pas un trait distinctif de sa personnalité. Seule la situation est responsable d’un acte immoral. Si l’éthique est mise à mal, c’est parce que le personnage est face à un dilemme et qu’il va devoir prendre une décision même si celle-ci n’est pas très morale.
Les personnages qui seront blessés par une décision de votre héros ont toutes les raisons du monde et légitimes pour en vouloir à votre personnage principal. Montrez que ces personnages ont légitimement le droit d’être en colère, de chercher réparations.
Ce ne sont pas seulement des pleurnichards qui méritent leur sort.
S’il y a des répercussions, montrez-les immédiatement ou plus tard dans l’aventure mais puisqu’elles sont légitimes, elles sont une réaction normale qui augmente le conflit localisé à la scène.
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RIEN NE SE PERD : LES REPERCUSSIONS
Un personnage à la morale ambigüe pour être sympathique a besoin de temps en temps de briser son code moral et de prendre des décisions qui ne seront pas très populaires (ni auprès des autres personnages, ni pour le lecteur).
Le désaccord ou le mésamour qui s’ensuit renforce cependant l’humanité de votre personnage. Vous devez aussi statuer sur les conséquences de toutes les décisions possibles, cela doit être clair dans l’esprit du public si ce ne l’est dans celui des autres personnages. Et si les autres personnages, justement, estiment qu’ils ont droit à réparation, montrez leur colère et les répercussions que la décision du héros aura sur le déroulement de l’histoire.