LA GRANDE AVENTURE LEGO est-il un film anti-copyright ?

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Alors que Warner vient de dévoiler le premier trailer de Lego Batman : Le film, retour sur la première aventure inspirée par les briques danoises, pur bijou au génie bien moins enfantin qu’il n’y paraît, et surtout critique acerbe envers un Hollywood trop attaché à ses licences.

N.B. : Cet article est constitué de 5 parties, réparties sur 5 pages.

Le contenu de fan : un nouveau moyen d’expression

Quand on traite du cinéma hollywoodien, celui-ci est souvent divisé en diverses phases, des modes représentatives d’une pensée en constant renouvellement. Nul doute que la « révolution numérique » amorcée depuis les années 90 fut une immense onde de choc pour l’industrie, aussi bien sur un plan thématique (l’informatique devenant un sujet respectable pour le grand écran, et plus uniquement une menace prométhéenne) qu’économique. Mais la démocratisation d’Internet a surtout permis une nouvelle forme de liberté d’expression, désireuse d’ouvrir un dialogue plus aisément entre l’artiste et son public, et ainsi de détruire cette hiérarchie plaçant ce premier dans une sorte de tour d’ivoire. Hollywood a donc dû se rendre à l’évidence, et constater que les médias dits « traditionnels » (la presse papier, la radio et la télévision) ne suffiraient plus à entretenir la promotion et la réflexion autour de ses films. Une occasion pour remettre en question la légitimité de ces élites, et plus généralement de poser un tout autre regard sur le cinéma.

En effet, la création de plus en plus importante de blogs et autres vidéos postées sur Youtube a ouvert la voie à une nouvelle génération de critiques et de théoriciens, bien décidée à intellectualiser le septième art à partir de leur culture. Dans le cas des chroniques vidéos, si l’on rapporte souvent la naissance de ce mouvement au succès du « youtubeur » Doug Walker et de sa chaîne Nostalgia Critic, ce choix d’une mise en scène proche de son public, le plus souvent face caméra, a vu éclore de nombreuses émissions plus ou moins inspirées, chacune avec un style propre, s’attardant parfois sur des œuvres oubliées qu’ils ont fini par réhabiliter. Par exemple, la culture du nanar, tout droit sortie d’un certain cinéma d’exploitation, a trouvé une seconde jeunesse avec Internet, permettant à certains films tels que Troll 2 (Claudio Fragasso, 1990), Hitman le Cobra (Godfrey Ho, 1987 ; voir l’extrait ci-dessous, pour le plaisir) ou encore les productions de Chuck Norris et Steven Seagal, de devenir les étendards désormais ancrés d’une contre-culture aussi pertinente à chérir et à analyser que les grands classiques.

Mais plus précisément, la culture populaire a évolué, au travers d’Internet, dans l’expression de l’amour de son public. Il est possible aujourd’hui d’aller bien au-delà d’un simple commentaire expliquant pourquoi l’on aime telle œuvre ou tel univers de fiction. On peut en montrer l’impact sur notre vie en en réexploitant le canevas, qui s’en retrouve donc mêlé à une sensibilité et une créativité personnelles. L’œuvre originelle n’est plus sacrée, car elle appartient à son public qui la rend plus malléable, l’amenant dans toutes les directions possibles, avec pour seule limite l’imagination. Cette réappropriation d’un outil culturel peut prendre de multiples formes, s’adaptant à tous les médias. Néanmoins, dans le cas du septième art, deux de ces formes prédominent : la fan-fiction (un récit écrit par des fans) et le fan-film (un film réalisé par des fans).

Prolonger la diégèse, la réécrire, ou s’intéresser à une intrigue dans le hors-champ des métrages, nombreuses sont les propositions qui embrasent les forums ou encore Tumblr, et qui ont d’ailleurs contribué à la reconnaissance de ces nouveaux moyens d’expression. La fan-fiction est aujourd’hui acceptée, pour le meilleur et pour le pire, comme une véritable forme de littérature, engendrant le succès de concepts tels que celui de Cinquante nuances de Grey, qui demeure à la base une fan-fiction autour de Twilight. Dans le cas du fan-film, Youtube s’est révélé comme un parfait tremplin de ce mouvement, offrant la possibilité à de jeunes talents sans producteurs de diffuser gratuitement et massivement le fruit de leur travail, voire même de pouvoir en vivre avec les revenus publicitaires de la plateforme.

Dès lors, la notion de droit d’auteur entre en jeu. Le problème, c’est que ses lois se montrent obsolètes à l’heure de la révolution numérique. Pour être plus précis, la propriété intellectuelle se rapporte à deux types de droits. Si le droit moral, qui se concentre sur la paternité d’une œuvre et le respect de son intégrité, ne pose pas réellement d’embarras, il n’en va pas de même pour le droit patrimonial, qui se concentre sur son monopole d’exploitation économique, avant que l’œuvre ne tombe dans le domaine public. Cependant, la faculté d’Internet à partager du contenu immatériel rend impossible l’application de ces lois, alors que n’importe qui peut numériser un livre ou extraire un film d’un DVD. Internet est perçu comme un monde de la liberté, où chacun peut avoir accès à toutes les informations et le savoir qu’il désire gratuitement. Il s’agit de l’un des buts premiers du médium, qui a donc imposé la reconnaissance d’exceptions dans l’exercice de la loi. Mais le droit d’auteur tel qu’il est appliqué dans les pays de droit civil (dont la France) diffère de celui des pays du common law, à l’instar des États-Unis. En effet, ceux-ci possèdent des exceptions plus larges grâce au concept du « fair use », car l’interprétation de ces exceptions n’est pas rendue stricte. L’usage d’une propriété intellectuelle répond à certains critères (usage à des fins parodiques, pour mener une analyse ou un commentaire, etc.) tout en donnant le pouvoir aux tribunaux d’étudier des reprises de droits d’auteur au cas par cas.

En fait, le fair use est aujourd’hui presque mondialisé grâce aux sites qui l’exploitent, à l’image de Youtube. Avec son système Content ID, la plateforme vidéo utilise des robots qui sillonnent le site à la recherche d’atteintes aux droits d’auteur. Par ailleurs, dans le cas du cinéma, les producteurs ou les boîtes de distribution peuvent eux-mêmes se plaindre auprès de Youtube s’ils voient leurs œuvres réexploitées, proposant alors à l’utilisateur deux types de sanction : un avertissement, appelé aussi « strike » (qui, par accumulation, peut mener à la clôture de la chaîne), et une revendication, plus connue sous le nom de « claim », permettant à Content ID de bloquer automatiquement une vidéo si du contenu sous copyright y apparaît. Malheureusement, ce système, à priori juste, se révèle fortement manipulé par les ayant droits, qui n’hésitent pas à attaquer n’importe quel utilisateur, même si sa vidéo répond au droit du fair use. En plus d’en décourager certains, cette pratique handicape fortement certains youtubeurs, qui n’ont pas toujours la possibilité de contrer l’accusation. Doug Walker, comme tant d’autres, ont été touchés par cette atteinte pure et simple à la liberté d’expression, et cela l’a même poussé à produire une vidéo sur le sujet pour montrer les failles de Content ID, appelée Where is the fair use ?.

Cette méfiance d’Hollywood envers le médium d’Internet est révélatrice d’une incompréhension de cette culture du web, alors qu’elle est l’une de celles qui fait le mieux vivre l’industrie du cinéma à l’heure actuelle en s’exprimant à son sujet. Bien entendu, il ne faut pas généraliser, car certaines sociétés sont capables de reconnaître cet apport, à l’instar de Lucasfilm, qui organise chaque année un concours de fan-films autour de l’univers de Star Wars, avec un jury composé de personnes ayant travaillé sur les films d’origine, à commencer par George Lucas. Si Hollywood tente encore vainement de marquer sa suprématie, elle ne peut pas être complètement autiste à cette vague de démocratisation et de créativité. Elle défend globalement ses droits, mais existe-t-il des dissidents ? Des hommes ou des films qui exprimeraient leur désaccord avec cette politique, et prônant justement cette liberté artistique offerte à tous ? Y-a-t-il des films anti-copyright ? Oui, ils existent, et l’un d’entre eux se révèle d’une intelligence rare, mais surtout d’une puissante ironie, puisqu’il concerne justement… une marque de jouets.

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