Sans réellement surprendre, les nouvelles aventures de Po convainquent sans peine.
Si le respect d’une culture étrangère n’est toujours pas le fort d’Hollywood, la saga Kung Fu Panda s’est révélée avec succès comme un hommage au cinéma hong-kongais et à sa surenchère cinétique dans le rapport aux arts martiaux. Le combat devient une danse, voire une transe du corps que l’animation sait rendre dans tous ses extrêmes. Ce troisième volet ne déroge pas à la règle et propose son lot de séquences visuellement ahurissantes, portées par cette magnificence des textures et des couleurs dont Dreamworks a le secret depuis le premier Dragons. De plus, Kung Fu Panda est une franchise de l’admiration, représentée par son héros, Po, panda maladroit devenu maître du kung fu, mais avant tout fan de la mythologie qui entoure sa discipline. Ce nouvel opus trouve alors son principal intérêt dans la maturité vers laquelle est amené ce grand gamin en plein rêve, déjà amorcée avec le deuxième film. Outre un énième méchant, Kaï, bien décidé à détruire cet héritage auquel Po tient tant, ce dernier retrouve son père biologique, panda exilé avec son peuple dans les montagnes, qui place son fils en pleine crise identitaire.
Par rapport à l’autre licence phare de Dreamworks, Kung Fu Panda est beaucoup plus marquée par l’humour et le second degré, tout en développant avec équilibre une véritable mythologie. Sorte de Bruce Lee du pauvre qui aurait malgré tout réussi grâce à son amour sans faille pour ses modèles, Po remet plus que jamais en question sa légitimité, alors qu’il est chargé d’enseigner à ceux dont il possède des représentations en figurines. Plus généralement, ce troisième opus revisite quelques passages du premier film, afin de mettre en perspective l’évolution de son héros, surtout après les événements (légèrement) plus sombres du deuxième. Mais par cet angle, Kung Fu Panda 3 montre plus facilement ses limites. Certes, il défend son message de tolérance et d’acceptation de l’autre malgré ses différences, explicité lorsque Po comprend qu’il doit entraîner ses compères selon leurs capacités et leurs talents, pour les exacerber. Néanmoins, le métrage exprime par le même biais son incapacité à mûrir, et donc d’épouser pleinement la fresque épique et initiatique à laquelle il se raccroche. Le troisième acte, que l’on aurait aimé plus impactant et sérieux, est celui qui en pâti le plus, bien qu’il conserve un aspect hautement jouissif et fantasmatique.
D’ailleurs, Kung Fu Panda 3 assume avant tout sa dimension d’hommage à un ensemble de références qu’il mélange avec plaisir. Que Guillermo Del Toro soit à la production n’étonne guère, tant le film se délecte de (contre-) cultures dont il développe la beauté et la philosophie. Plus encore que ses prédécesseurs, ce troisième volet s’attarde sur l’impact de l’imaginaire asiatique, et plus particulièrement de la mythologie autour des arts martiaux. Avant nos super-héros si populaires, ces combattants répondaient déjà au fantasme d’un corps parfait, et à son contrôle parfait pour des mouvements parfaits. Autrement dit, l’illustration du dépassement de soi si cher aux mythes fondateurs, aujourd’hui aussi bien exportés en littérature qu’au cinéma ou dans les jeux vidéo. A ce titre, l’une des meilleures idées de Kung Fu Panda 3 réside dans la caractérisation et le style de combat de son antagoniste, joyeusement copiés sur le Kratos de God of War. Volontairement anachronique dans l’usage de ses références, le film fait autant rire qu’il magnifie une culture souvent mal traitée par l’Occident, alors qu’elle l’inspire depuis toujours. De ce fait, Kung Fu Panda sait surtout relier sa mythologie à la métaphysique du cinéma d’animation, qui crée dans les moindres détails le mouvement. Il le compose, le maîtrise comme Po apprend à maîtriser le shi (la technique qui lui permettra de vaincre Kaï), avec un sens de la minutie bluffant, sublimant la moindre texture. En fait, la saga a toujours été en quête du mouvement, donc en quête de cinéma. L’anthropomorphisme, qui s’adapte aux facultés de chaque animal, pousse ici cet aspect à son paroxysme, en proposant à Po de redécouvrir auprès de son peuple le mode de vie d’un panda (notamment le déplacement en roulade assez drôle). Il s’agit par ailleurs de la première source comique d’un film au fort potentiel burlesque, mais que l’on aurait vu peut-être plus adulte pour pleinement convaincre. Avec ce troisième film, Dreamworks touche à un moment charnière pour sa saga en atteignant les limites de son concept. Si une seconde trilogie est d’ors et déjà prévue par le studio, il faudra qu’elle sache faire des choix scénaristiques forts pour assurer sa pérennité, et pour toucher autant Po que le spectateur.
Réalisé par Jennifer Yuh et Alessandro Carloni, avec les voix (en VO) de Jack Black, Dustin Hoffman, Kate Hudson, Bryan Cranston…
Sortie le 30 mars 2016.