Zack Snyder fait ce qu’il peut, mais il n’est pas un surhomme.
Que l’on aime ou non Zack Snyder, il faut lui reconnaître une volonté de sortir des sentiers du blockbuster trop balisé, que ce soit par une esthétique onirico-opératique qui lui est propre, ou une réflexion constante (plus ou moins finaude selon les films) sur ce qui constitue la dimension mythologique d’une œuvre. De L’Armée des morts à Man of Steel en passant par Watchmen, le cinéaste a toujours mis en abyme les symboles qu’ils traite pour voir comment l’univers même de la fiction les manipule. Avec son reboot de Superman, il nous montrait moins la toute-puissance de l’enfant de Krypton que la façon dont il se retrouvait bridé par l’homme. Ce dernier devait voir pour croire aux pouvoirs et à la bonne foi d’un super-héros habituellement solaire. Le réalisme revendiqué du réalisateur a ainsi pour principal intérêt d’inclure le public dans la population de sa diégèse. Lui aussi doit accepter Superman en tant que mythe, certes imparfait, mais porteur de réponses à des questions qui nous dépassent. Il est donc logique que Batman V Superman profite de son statut de suite pour désormais introduire dans son monde ses autres super-héros et leur rapport au fantastique, bien qu’il s’agisse avant tout du plan de la Warner pour mener à son univers partagé et à la Justice League. Inspiré par le Dark Knight returns de Frank Miller, Snyder a décidé d’approfondir sa réflexion sur l’impact et les responsabilités des figures qu’il met en scène, tout en proposant un duel homérique entre les deux plus grandes icônes de l’écurie DC Comics.
En fait, si un personnage devait représenter à lui seul Batman V Superman, ce serait probablement Lex Luthor. Incarné par un Jesse Eisenberg en totale roue libre, la Némésis de Superman est encore une fois une métaphore du spectateur, excité comme un gosse à l’idée de voir les deux super-héros se foutre sur la tronche, mais aussi de la générosité de Snyder, portée vers le plaisir de son public et le sien. A ce titre, le réalisateur de 300 nous offre une nouvelle fois un pur délire fantasmatique, où chaque composition de cadre, chaque ralenti esthétisé, chaque effet de lumière capte la moindre subtilité dans les mouvements de ces êtres qu’il sublime, et ce même en shaky cam. Les inspirations picturales de Snyder, et ce goût pour la pose (donc l’immobilité) contrastent constamment avec ce pouvoir mobile du septième art, conférant à sa faculté de mythifier et sanctifier des figures immortalisées sur papier, alors que la société les remet en question à travers des procès. On sent d’ailleurs à quel point le cinéaste est tombé amoureux de Batman, plus hard-boiled et désabusé qu’à l’habituel, et campé par un Ben Affleck absolument impeccable. Ce qui intéresse Snyder, c’est bien la tortueuse remise en question de son rôle et de celui de ses collègues, surtout quand il nous fait assister à son point de vue face aux dégâts collatéraux provoqués par Superman dans son combat contre le Général Zod à la fin de Man of Steel. Le Chevalier Noir ne croit plus dans la pérennité de ses actions, et ne délivre qu’une rage désespérée offrant les deux moments de bravoure principaux du métrage : une course-poursuite en batmobile et un combat jouissif contre une quinzaine de mercenaires.
Le hic, c’est que Snyder montre sa préférence dès le premier quart du film (après tout, il s’ouvre sur la mort des parents de Bruce Wayne), sans pour autant assumer ce point de vue. Le principal problème de Batman V Superman réside dans sa dimension de couteau-suisse trop garni, à la fois suite (de Man of Steel), reboot (de Batman) et introduction d’un univers plus large dont il faut instaurer la cohérence toute relative et le rôle des personnages. C’est là que le film se rapporte également à Lex Luthor, en dévoilant sa psychose, sa frustration, et sa faculté à partir dans tous les sens. Constitué de multiples saynètes bien trop courtes pour poser une ambiance ou une scénographie, le réalisateur est pris au piège d’un matériau trop riche, que le montage scinde comme il peut (à savoir un nombre hallucinant de cuts au noir). Résultat, le métrage ne parvient jamais à imposer une véritable vision, bien qu’il tente de prouver le contraire à grands coups de cauchemars plus ou moins incompréhensibles pour appuyer le trauma de ses protagonistes. Il serait malhonnête de tomber dans le bashing facile accusant depuis quelques années le soi-disant vide du cinéma de Zack Snyder, mais il faut reconnaître à Batman V Superman une impossibilité de traiter en profondeur ses thématiques, qu’il s’agisse de la peur liée au terrorisme, de la justice représentée par les super-héros ou encore de l’espoir qu’ils incarnent pour le monde. L’ensemble est d’autant plus décevant qu’on sent une réelle tentative de donner sens à un récit éclaté qui transforme automatiquement ses personnages en pantins désarticulés, même quand Superman (toujours bien tenu par Henry Cavill) est à nouveau déifié dans une fête des morts au Mexique, ou que Wonder Woman (géniale Gal Gadot), redevient l’héroïne badass qui nous avait manqué dans une apparition trop courte, accompagnée par le thème musical galvanisant de Hans Zimmer et Junkie XL.
D’un autre côté, l’échec critique du film, instigateur depuis sa sortie d’avis bêtement extrémistes (en gros, la merde infâme face au chef-d’œuvre incompris), pourrait surtout être perçu comme la limite définitive aux univers partagés et à l’overdose de super-héros. Il est évident que Batman V Superman souffre en premier lieu des exigences de son studio, désireux de rattraper son retard sur le Marvel Cinematic Universe, qui commence à battre de l’aile. On s’en doutait, mais en voulant faire en deux films ce que Disney a réalisé en six, Warner risquait de se casser les dents. Dès lors, le long-métrage est touché par le même syndrome que The Amazing Spider-Man 2, ou dans une moindre mesure Avengers : L’Ère d’Untron : une incapacité d’exister par lui-même, de poser ses enjeux avec un début et une fin, dans une forme exaspérante de bande-annonce étirée sur plus de deux heures. Bien entendu, l’importance des séries télévisées a directement atteint le cinéma, et des bonshommes comme J.J. Abrams ont su, dès Mission : Impossible 3, montrer l’impact que le format aurait grâce à une écriture mariant les styles, maline (twists, cliffhangers…), et surtout toujours exigeante. Un film a le droit de s’inscrire dans une continuité, mais pas simplement de servir de transition en nous promettant que la suite sera meilleure. C’est pourtant dans ces travers que tombe Batman V Superman, perdu dans ses impératifs qui le poussent parfois à l’indigence (l’introduction de la Justice League, aussi subtile qu’un éléphant sous amphètes), ainsi qu’à des raccourcis narratifs qui empêchent tout lien émotionnel solide entre les protagonistes, à commencer par ceux du titre. Sans parler d’un troisième acte en forme de gloubi-boulga de CGI qui finit de nous laisser sur la carreau, incapable de donner vie à un Doomsday ridicule, aussi impactant que n’importe quel monstre sans âme. Qu’Hollywood parvienne à tayloriser et standardiser des cinéastes comme Zack Snyder ou Joss Whedon est tout de même révélateur de la peur de la créativité qui gangrène l’industrie. Batman V Superman n’est pas le navet ultime que la majorité pointe du doigt, mais une bien triste déception, étendard des problèmes actuels de la culture de l’imaginaire quand elle passe à la moulinette de la machine à rêves.
Réalisé par Zack Snyder, avec Ben Affleck, Henry Cavill, Jesse Eisenberg, Amy Adams…
Sortie le 23 mars 2015.