Un grand merci à Tamasa Diffusion pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « Maman a cent ans » de Carlos Saura.
« Le temps passe tellement vite. Vous ne comprenez pas que la chair n’est pas éternelle ? »
Anna est vivante et mariée à Antonio. Les deux reviennent dans le manoir où Ana fut nounou quelques années auparavant afin de fêter les cent ans de la matriarche de la famille. Au cours de la réunion, elle découvre que José mourut trois ans de cela, que Juan a quitté sa femme et que Fernando vit toujours avec sa mère, cherchant à toujours à faire voler infructueusement son deltaplane. Reste les trois filles qui ont bien grandi. Juan, de son côté, arrive pour fêter l'anniversaire avec une idée en tête : tuer, avec l'aide de Fernando et Luchy, la grand-mère, afin de toucher l'héritage.
« Dans la vie, on n’obtient rien d’intéressant sans prendre de risques ! »
Passionné de photographie depuis son plus jeune âge et issu lui-même d’une famille d’artistes, Carlos Saura mène brillamment des études de cinéma avant de se lancer dans la réalisation de ses premiers films documentaires à la fin des années 50. Passant peu à peu à la fiction, il accède à une réelle reconnaissance au milieu des années 60 en réalisant des films qui traitent de la société espagnole alors sous le joug de la dictature franquiste tout en réussissant à contourner habilement la censure alors en vigueur. En 1973, avec « Anna et les loups », il réalise un pamphlet acide sur les obsessions et les frustrations de la société franquiste, brocardant notamment l’armée et la religion Catholique. Ou comment une jeune étrangère venue comme gouvernante dans une famille bourgeoise traditionnelle et vivant à l’écart du monde se retrouvera malgré elle le fantasme et la proie des hommes de la maison, tous frustrés et névrosés. En apparence léger, le film se terminait pourtant sur un final cauchemardesque et ne laissant aucune place à l’espoir. Toutefois, Carlos Saura décidera de donner une suite à son film en 1979 avec « Maman a cent ans », qui sera nommé à l’Oscar du meilleur film étranger.
« Il n’y a pas de femmes frigides, il n’y a que des hommes incompétents ! »
On avait abandonné la belle Anna à son funeste destin. On la croyait morte et enterrée, comme la poupée des fillettes de la maison. Sept années après « Anna et les loups », Carlos Saura décide finalement de la ressusciter et de l’inviter au centenaire de la matriarche de cette étrange famille. Un moyen d’effacer les ardoises, de remettre les pendules à l’heure, comme si tout cela n’avait été qu’un vilain cauchemar et que rien ne s’était vraiment passé. Seulement voilà, dans les faits, beaucoup de choses se sont passées durant ces sept années : Franco est mort (en 1975), la dictature militaire s’est petit à petit effondrée laissant place à une démocratisation progressive de l’Espagne. Et comme un symbole, si la maison n’a en apparence pas changé, l’équilibre familial a volé en éclats. D’abord, José, le militaire zélé et névrosé, est mort (l’acteur qui l’interprétait est décédé quelques mois avant le tournage). Fernando, le frère ascète, qui cherchait l’élévation spirituelle par la prière, cherche désormais l‘élévation du corps par le deltaplane. Quant à Juan, l’obsédé sexuel, il a quitté femme et enfants pour le lit d’une riche étrangère. Le pouvoir est donc désormais aux mains des femmes, et notamment de l’autoritaire Luchy. La génération suivante (là encore que des filles !) se cherche encore, entre désir d’émancipation et d’ouverture (l’ainée assume sa sexualité, la dernière s’ouvre à la littérature étrangère) et morale rétrograde (la cadette aussi rigide que sa mère), donnant lieu à de nombreuses confrontations (très belle scène d’essayage des costumes dans le grenier). Surtout, si elle est apparait affranchie de ses démons militaro-religieux, la famille semble désormais en proie à l’obsession de l’argent. Un nouveau démon poussant à toutes les amoralités et notamment à vouloir se débarrasser de la centenaire pour jouir de la propriété. Là encore, comme un symbole, ce vaste terrain désertique et cette vieille maison en ruine isolée du monde attisent désormais l’appétit des promoteurs étrangers. Les vieux pièges à loups, installé naguère pour protéger la maison semblent bien désuets, comme des vestiges du passé qu’il faudra retirer. Avec beaucoup d’ironie, entre grandeur et décadence, Carlos Saura filme donc la chute du régime franquiste et fait souffler un vent de liberté sur son film. Après avoir consacré une quinzaine d’années à la chronique des travers de la société espagnole et à la critique du régime franquiste, Carlos Saura semble vouloir clore ce cycle par une énorme farce, à l’image de la cérémonie d’anniversaire de la doyenne, à la fois improbable et pathétique. Le film se clôt magnifiquement par la mise au banc des enfants et petits-enfants qui voulaient la peau et l’argent de la vieille. Les tenants des valeurs morales et de la bonne société d’hier sont désormais les parias. Comme un joli pied-de-nez à l’histoire, qui peut tranquillement désormais reprendre son court.
***
Le dvd : Le film est proposé en version originale (espagnole) avec des sous-titres optionnels français. Côté bonus, le dvd propose une galerie de photos.
Edité par Tamasa Diffusion, « Maman a cent ans » est disponible en dvd à l’unité depuis le 1er mars 2016, au même titre que « La chasse », « Peppermint frappé » et « Anna et les loups », tous du même réalisateur. Le film figure également dans le très beau coffret « Carlos Saura : les années rebelles (1965-1979) » également édité par Tamasa Diffusion.
Le site Internet de Tamasa Diffusion est accessible ici. Sa page Facebook est ici.