Un grand merci à Carlotta Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « L’année du dragon » de Michael Cimino.
« Voilà ce qui vient de se passer : un nouveau shérif vient d’arriver. Moi. Les règles du jeu changent. Désormais, vous devrez contrôler les gangs. »
Le capitaine Stanley White, un vétéran du Vietnam au tempérament bien trempé, est l’un des flics les plus respectés de New York. Il est muté dans le quartier de Chinatown suite à l’assassinat du représentant de la communauté chinoise. White est persuadé de l’existence d’une mafia qui régit l’ordre du quartier et alimente le trafic de drogue. Il se lance dans une véritable croisade contre les dirigeants de cette soi-disant triade, elle-même rongée de l’intérieur. Malgré les mises en garde de ses supérieurs hiérarchiques et les menaces de la communauté chinoise, Stanley White se lance dans cette bataille envers et contre tous…
« Ici ce n’est ni le Bronx, ni Brooklyn. Ce n’est même pas New-York. C’est Chinatown. Pour vous, ça peut être très facile. Ou très difficile. »
Après des études de peinture et un crochet par la réserve de l’Armée américaine, Michael Cimino fit ses débuts dans l’industrie du cinéma en qualité de scénariste. Il signa notamment le scénario de « Magnum force » (1972), deuxième volet des aventures de « L’inspecteur Harry ». D’une certaine manière, Clint Eastwood lui porta chance. D’ailleurs, il offrit à l’acteur le rôle principal de son premier film en tant que réalisateur, en l’occurrence « Le canardeur » (1974). Puis vint le mythique « Voyage au bout de l’enfer » en 1977, film somme sur les traumatismes liés à la guerre du Vietnam. Véritable carton au box-office, récompensé par cinq Oscars (dont meilleur film et meilleur réalisateur), le film propulse le jeune Cimino au sommet de la gloire et lui ouvre toutes les portes. Surtout, ce succès lui permet d’enchainer sur son troisième film, « La porte du paradis », un western au budget pharaonique et dont la démesure n’aura d’égale que son échec cuisant. Lors de sa sortie, le film est considéré comme le pire flop de l’histoire du cinéma américain au point d’engendrer la faillite de la mythique United Artists, pourtant fondée, entre autres, par Charlie Chaplin. De prodige, Cimino devient un paria. Un artiste maudit dont plus aucun studio ne veut. Il lui faudra attendre cinq années pour revenir derrière la caméra. Ce sera avec « L’année du dragon », un polar adapté d’un roman de Robert Daley dont l’adaptation sera signée Michael Cimino et Oliver Stone.
« On est en pleine guerre. Et celle-là je ne la perdrai pas. C’est le Vietnam qui recommence. Et personne n’a l’air ici de vouloir se battre ! »
Après cinq années de purgatoire, « L’année du dragon » devait être le film de la réhabilitation pour Michael Cimino. Son retour sur le devant de la scène et sur le droit chemin du succès, dans un registre plus commercial et plus grand public, à même de le rendre à nouveau « bankable ». Malheureusement pour lui - et heureusement pour nous ! - le réalisateur était d’un naturel trop rebelle et trop insoumis pour obéir pleinement au cahier des charges dressé par les producteurs. Résultat, « L’année du dragon » est un film beaucoup moins lisse et policé que prévu. Un polar urbain, radical et âpre, qui nous plonge au cœur des arcanes de la mafia chinoise, alors en pleine expansion à New-York. Dès la scène d’ouverture - festivités du nouvel an chinois magistralement filmées - Cimino nous donne le ton et nous montre l’envers du décor de Chinatown, à savoir les assassinats, le racket, les tripots clandestins et les luttes de pouvoir internes. Une sorte d’état dans l’état. Toutefois, si le film est bien ancré dans la réalité des années 80, il parait par moments un peu anachronique, à l’image de son héros, dont l’imper poussiéreux, le chapeau et les manières brutales semblent toutes droit sorties des films des décennies antérieures, renvoyant à Bogart, Raymond Chandler ou encore au « Chinatown » de Polanski. D’ailleurs, Cimino donne à son polar des allures de western moderne, tant dans l’attitude de ses personnages - dont l’affrontement prend très vite une tournure personnelle plutôt que moral - que dans le duel final. Mais plus encore, « L’année du dragon » s’inscrit de façon très étonnante dans la continuité de « Voyage au bout de l’enfer », dont il reprend en partie les thématiques (traumatismes liés à la guerre du Vietnam, racisme, communautarisme, jusqu’auboutisme des personnages). Le personnage principal du film, antihéros par excellence, semble lui-même poursuivre une guerre personnelle qu’il n’a jamais réussi à terminer. Cimino poursuit également avec ce film sa radioscopie de l’Amérique en s’intéressant aux thèmes fondateurs du mythe américain (immigration, communautarisme, idée de la justice). Injustement boudé lors de sa sortie, « L’année du dragon » n’en demeure par moins un excellent polar, à la fois sombre et haletant, et dont le scénario se révèle d’une profondeur et d’une densité incroyables. En flic torturé et jusqu’au-boutiste, Mickey Rourke trouve là l’un de ses meilleurs rôles. Maitrisé de bout en bout, « L’année du dragon » est définitivement l’un des sommets du film policier.
****