Genre : horreur, drame, inclassable (interdit aux - 18 ans)
Année : 1990
Durée : 1h15
L'histoire : Sept jours de la semaine. Sept manières différentes de se donner la mort. L'homme confronté à sa propre déchéance corporelle et psychologique. Une vision sans concession de la solitude et du désespoir par l'un des grands maîtres de l'horreur morbide.
La critique :
En 1982, un livre suscita un immense scandale en France: "Suicide, mode d'emploi". Co-signé par Claude Guillon et Yves Le Bonniec, ce bouquin maudit passait en revue toutes les façons possibles et imaginables de mettre fin à ses jours. L'affaire prit une tournure politique lorsque Le Bonniec donna des conseils à Michel Bonnal, un homme fragile psychologiquement, sur la manière dont il pouvait en finir... et Bonnal se suicida le 4 mars 1983. Une proposition de loi et un procès suivirent dans la foulée et le livre fut définitivement banni de l'hexagone. C'est cette affaire qui inspira Der Todesking à Jorg Buttgereit.
Trois ans après l'ovni Nekromantik, le réalisateur allemand revient, plus morbide que jamais, et confirme tout le bien que l'on pensait de lui. Mais dieu que cet homme est tourmenté ! Il faut vraiment être en proie à de sacrées angoisses existentielles pour accoucher de pareils films... Cela précisé, là où Nekromantik jouait sur un registre trash et extrémiste, Der Todesking s'apparente plutôt à une oeuvre contemplative et méditative. Une mise en abîme des turpitudes de la condition humaine, en quelque sorte.
Der Todesking signifie littéralement "Le roi des morts". Buttgereit le représente comme un être malingre, décharné, trônant dans une cave, tenant un crâne dans une main avec enfant à ses pieds. Le film se compose de sept histoires différentes se déroulant les sept jours de la semaine, dont le seul point commun est le suicide de ses protagonistes. Attention spoilers: Lundi: un homme est seul dans son appartement avec pour toute compagnie un poisson rouge. Il prend le téléphone et donne sa démission à sa direction. Puis, il se déshabille, remplit sa baignoire et y plonge tout en avalant une grosse quantité de médicaments.
Mardi: un homme loue un film de naziexploitation dans un vidéo club. Alors qu'il regarde la cassette, sa femme débarque et lui fait une scène. Il l'abat alors d'une balle dans la tête et encadre le sang projeté sur le mur. Mais en fait, tout ceci n'était qu'un film qu'un couple regardait sur son lit avant de se suicider par arme blanche.
Mercredi: une jeune femme déambule sous la pluie et rencontre un inconnu assis sur un banc. Extrêmement déprimé, celui ci lui fait part de problèmes intimes et personnels. La jeune femme sort un revolver de son sac à main. L'homme s'en saisit et se tire aussitôt une balle dans la bouche. Jeudi: un pont immense surplombe une route nationale. Tandis que la caméra s'attarde sur les détails de la construction, sur l'écran apparaissent les noms, âges et professions des personnes qui se sont suicidés en sautant du haut de l'édifice.
Vendredi: de sa fenêtre, une femme observe un couple d'amoureux. Peu après, elle découvre sur son palier une lettre lui enjoignant de se supprimer, continuant ainsi la chaîne de la mort. La caméra revient dans la chambre des amoureux qui gisent dans une mare de sang. Samedi: deux projectionnistes regardent un document amateur dans lequel une femme se filme méthodiquement dans les préparatifs d'un meurtre de masse puis dans son exécution lors d'un concert de rock.
Dimanche: un homme se réveille et pris d'une crise d'angoisse, il se cogne la tête contre les murs jusqu'à ce que mort s'en suive. Entre les différentes histoires, apparaît un corps putride dont la décomposition est filmé en accéléré. A travers ce film, Jorg Buttgereit dit n'avoir voulu délivrer aucun message. Difficile cependant de ne pas être interpellé par la manière dont le réalisateur aborde le thème de la mort et plus précisément, du suicide. Un sujet tout aussi délicat à traiter que l'était la nécrophilie dans son film précèdent. Et Buttgereit s'en tire une nouvelle fois avec les honneurs.
Avec un style reconnaissable entre mille, il confirme sa fascination pour le morbide et démontre que Nekromantik n'était pas qu'une lubie de jeunesse. Force est de constater qu'il dresse un portrait pour le moins désespéré de la condition humaine. Pour lui, le destin de l'homme étant scellé à l'avance, chacun a le choix de sa propre mort et a le droit, s'il le désire, d'en avancer le moment et l'heure.
Pour cela, il est aidé dans son entreprise par Der Todesking, le roi des morts, incarnation des sentiments les plus noirs et des ressentis les plus douloureux. Pour Buttgereit, l'homme est condamné à naître seul, vivre seul et mourir seul. La société, la notion de groupe, les rapports humains, tout cela n'est que pure illusion pour masquer l'état de solitude qui est indéfectiblement attaché à la condition humaine.
Il est évident qu'il vaut mieux ne pas regarder ce film lorsque l'on est déprimé ! Der Todesking est une oeuvre terriblement nihiliste qui assomerait le plus optimiste des spectateurs. Au niveau du style, si la patte du réalisateur est toujours là, on ne retrouve plus l'accroche sulfureuse d'un Nekromantik et le film, malgré sa durée limitée, n'est pas exempt de quelques longueurs.
L'interdiction aux moins de 18 ans ne me paraît guère justifiée car mis à part une émasculation (bien sentie, il est vrai), le film présente très peu de scènes choquantes visuellement parlant. Une simple interdiction aux moins de 16 ans m'aurait parue plus appropriée. Cependant, il faut quand même tenir compte que le propos jusqu'au boutiste de Buttgereit peut présenter un danger aléatoire pour les personnes dépressives ou mentalement instables. Il convient donc d'être prudent avec ce genre de message et ne pas le laisser à la portée de jeunes esprits, encore friables et influencables.
Alors certes, Buttgereit ne fait pas l'apologie du suicide mais il ne le condamne pas pour autant. Donc, au final, une oeuvre bien dérangeante que ce Der Todesking qui plonge le spectateur dans un tourbillon de questionnements sur sa propre existence et surtout, sur sa propre mort.
Note : 14,5/20