Un grand merci à Ad Vitam ainsi qu’à l’Agence Cartel pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Le fils de Saul » de Laszlo Nemes.
« A la fin cet enfant brûlera comme les autres »
Octobre 1944, Auschwitz-Birkenau. Saul Auslander est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture.
« Pourquoi as-tu besoin d’un rabbin ? Il ne te sauvera pas de la peur ! »
Fils du réalisateur hongrois Andras Jeles, Laszlo Nemes se passionne très tôt pour le Cinéma. Pour autant, ce profond francophile (il a vécu en France pendant quinze ans) préfère étudier longuement l’Histoire, les Arts et les relations internationales. Ce n’est qu’à son retour dans sa Hongrie natale, en 2003, qu’il se lance dans l’industrie cinématographique d’abord comme scénariste puis comme assistant réalisateur. Il travaille ainsi notamment avec Bela Tarr, l’étoile montante du cinéma magyar. C’est d’ailleurs sur le tournage d’un film de son compatriote, à Bastia, que le Nemes tombe par hasard sur un livre de témoignages sur la Shoah qui le passionne d’autant plus qu’il a lui-même perdu une partie de sa famille dans les camps d’extermination nazis. Après avoir fait ses armes en réalisant plusieurs courts métrages (dont le primé « With a little patience », 2007, sur le même thème), il décide donc de se lancer dans l’écriture de son premier long centré sur les Sonderkommandos, ces groupes de prisonniers juifs utilisés comme main d’œuvre pour l’industrie de la mort nazie. Refusé par Arte puis par le CNC, le projet recevra finalement le soutien de la Cinéfondation, sorte de résidence artistique du Festival de Cannes réservés aux étudiants et aux réalisateurs en devenir. Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes (un honneur rarissime pour un premier film !), le film a quitté la Croisette auréolé du Grand Prix, récompense la plus prestigieuse après la Palme d’Or. Représentant la Hongrie, il a également remporté l’Oscar du meilleur film étranger.
« Tu as abandonné les vivants pour les morts »
Les films consacrés à la Shoah posent toujours de façon inévitable la même question, à savoir comment montrer ce qui n’est pas montrable ? Comment représenter l’indicible ? Avec « Le fils de Saul », Laszlo Nemes opte pour un parti pris radical jamais utiliser à ce point dans ce type de film, à savoir la plongée en immersion dans l’enfer des camps de la mort. La caméra collant au plus près du visage de Saul, prisonnier juif hongrois utilisé comme forçat de l’extermination, le réalisateur nous montre le quotidien des Sonderkommandos avec en arrière plan la mécanique bien huilée des camps de la mort. Le film s’ouvre ainsi sur un plan-séquence étourdissant au cours duquel Saul et ses semblables conduiront dans le calme les nouveaux arrivants depuis les trains à bestiaux vers les chambres à gaz. Dès lors, nous assisterons à toutes les étapes de l’horreur : me déshabillage collectif, le gazage, la fouille des effets personnels laissés par les déportés puis l’évacuation des cadavres et le nettoyage de la chambre (en prévision du prochain convoi) puis enfin l’incinération des corps et la dispersion des cendres. Une mécanique de l’horreur parfaitement réglée et organisée, exécutée froidement par une cohorte de prisonniers épuisés, lassés, semblables à une armée de zombies. Avec un réalisme extrême, Nemes reconstitue devant la caméra l’horreur de la Shoah. En prenant soin, comme ses prédécesseurs, de laisser hors champs les images les plus insoutenables. On devinera en filigrane les atrocités notamment aux détours de sons (cris, pleurs, tirs...). Pour autant, le talent de Nemes est de réussir à évoquer de nombreux sujets connexes (les rivalités entre clans de prisonniers, les tentatives d’insurrection, les brimades et les humiliations infligés par les soldats, le cynisme de ses derniers, les « expériences » médicales...) sans faire dans l’esbroufe, faisant du « Fils de Saul » un film particulièrement dense. Le film est d’autant plus intéressant qu’il s’agit en plus de l’un des rares films produit par un pays d’Europe centrale ou orientale à traiter de façon aussi directe du sujet de la Shoah. Ce qui constitue en soi un petit exploit quand on sait combien le sujet est parfois encore tabou dans ces pays où les questions identitaires sont encore très sensibles et où l’antisémitisme est malheureusement toujours fort. Un certain malaise moral demeure quant au rôle de ces sonderkommandos qui de véritables victimes deviennent également complices malgré eux. Le réalisateur opte d’ailleurs pour une fin plus ouverte et sans jugement, imaginant une ultime tentative désespérée de fuite pour ces hommes que la providence semble avoir définitivement abandonné. L’expérience cinématographique proposée par Nemes se révèle au final bouleversante, « Le fils de Saul » étant un film qui ne laisse pas indifférent et encore moins indemne. Formellement critiquable parfois, il n’en demeure pas moins un film très puissant.
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