Un grand merci à Carlotta Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray de « La taverne de la Jamaïque » d’Alfred Hitchcock.
« Je n’aime pas passer par ici, ça me donne la chair de poule. Cette taverne à une mauvaise réputation : il s’y passe des choses louches ! »
A la mort de sa mère, la jeune Mary Yellard part en Cornouailles retrouver la seule famille qui lui reste : sa tante Patience et son mari Joss. Ce dernier est le tenancier de la taverne de la Jamaïque, un lieu à la réputation des plus sordides, repaire des brigands du coin. Le soir de son arrivée, Mary sauve la vie d’un des malfrats, Jem Trehearne, accusé d’avoir volé une part de leur dernier butin. Tous deux parviennent à s’échapper de la taverne et trouvent refuge chez l’excentrique juge Pengallan. Mais ils ignorent que ce dernier est en réalité le chef des bandits, à la tête de toutes les opérations de pillage…
« Puisque vous êtes digne des poèmes de Byron, vous êtes digne de mon cheval ! »
Après avoir mené une prolifique carrière de réalisateur durant les années 20, à l’ère du muet, la carrière d’Alfred Hitchcock s’accélère avec l’avènement du cinéma parlant, au cours des années 30. Les succès s’enchainent alors (« Le chant du Danube » (1934), « L’homme qui en savait trop » (1934), « Les 39 marches » (1935), « Quatre de l’espionnage » (1936) ou encore « Agent secret » (1936)) au point de l’imposer comme l’un des réalisateurs les plus reconnus et les plus populaires de son époque au Royaume-Uni. En 1939, il choisit d’adapter un roman de Daphné du Maurier, la romancière britannique la plus en vogue de son époque. En l’occurrence, il s’agit de « L’auberge de la Jamaïque », publié trois ans plus tôt. Le film est ainsi la première des trois adaptations que le réalisateur fera des œuvres de la romancière, avant « Rebecca » (1940) et « Les oiseaux » (1963). Toutefois, Hitchcock reniera globalement son film après coup, expliquant que les nombreux caprices scénaristiques de l’immense Charles Laughton, acteur principal et surtout producteur du film, lui avait fait perdre progressivement la maitrise de celui-ci. « La taverne de la Jamaïque » est ainsi le dernier film anglais d’Alfred Hitchcock qui partira ensuite poursuivre sa carrière en Amérique. A noter également qu’il s’agit de l’un des rares films dans lequel le réalisateur ne fait pas d’apparition.
« Sans cerveau, le corps se meurt. Inutile de vous rappeler que dans cette organisation, vous et vos hommes n’êtes que la charpente »
« La taverne de la Jamaïque » apparait comme une parenthèse dans la (riche) carrière d’Alfred Hitchcock. Un film à part, tel un intrus, dans sa filmographie. D’une part parce qu’il s’agit d’un film d’aventures en costumes, chose plutôt rare pour le réalisateur qui a en règle générale toujours préférer inscrire ses récits dans son époque. D’autre part parce qu’à la différence de nombre de ses films précédents, marqués par la schizophrénie ambiante de leur époque, et notamment par l’imminence de la seconde guerre mondiale, « La taverne de la Jamaïque » demeure un film - quoi qu’on en dise - à la tonalité étonnement légère. Et ce alors même que son sujet - un gang qui provoque des naufrages sanglants pour faire masse basse sur les cargaisons des navires échoués - ne l’était a priori pas. En soi, l’intérêt du film repose avant tout sur son intrigue, construite sur le double jeu des personnages, qui ne sont pas réellement ceux qu’ils prétendent être. Ainsi, l’honorable juge de paix, seigneur de la région, se révèle être le machiavélique meneur d’un gang sanguinaire et crapuleux, tandis que celui qui apparaissait comme une vulgaire canaille indisciplinée au sein du gang s’avère être en fait un inspecteur infiltré de la police militaire. Astucieux, ce procédé qui joue sur les apparences des personnages donne lieu à quelques scènes assez savoureuses, même s’il sera beaucoup mieux exploité dans « Rebecca », adapté de la même auteure et tourné l’année suivante. S’il n’est pas toujours aussi trépident qu’il aurait pu l’être (mais pourquoi diable le juge de paix ne se débarasse-t-il pas de l’inspecteur alors qu’il en a mille fois l’occasion ?) et si les personnages manquent parfois de relief (le personnage de Trehearne semble souvent bien niais, impression renforcé par l’interprétation falote de Robert Newton), le jeu des manipulations se révèle cependant d’autant plus amusant qu’il est mené de main de maitre par l’interprétation truculente de l’immense Charles Laughton. Le film permet également de découvrir une jeune première à la beauté renversante et qui fera par la suite une belle carrière hollywoodienne, en l’occurrence Maureen O’Hara. « La taverne de la Jamaïque » s’avère être au final un Hitchcock mineur mais demeure un divertissement bien sympathique.
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