Un film sensible et drôle sur un sujet pourtant glaçant et révoltant.
Le rédacteur en chef du journal Fakir, François Ruffin, décide de faire un documentaire sur Bernard Arnault, le PDG de LVMH. Au lieu de partir l’arme au poing, Merci Patron ! adopte la rhétorique opposée. Le postulat de départ est donc le suivant : M. Arnault est un gentil garçon, bienveillant, qui gagne beaucoup d’argent certes, mais pour qui le bien-être de ses employés est important. Le ton ironique n’échappe jamais au spectateur. Ruffin, par son attitude innocente, projette les licenciements et la misère des protagonistes au chômage au premier plan. Les propos du grand patron et la situation des travailleurs poussés dans la misère par leur perte d’emploi nous accablent. Grâce à de judicieux graphiques et un percutent montage d’images d’archives, la vue d’ensemble sur les activités du groupe LVMH et sur la personnalité de Bernard Arnault est réalisée en quelques minutes. Histoire de donner au spectateur de manière diablement efficaces les éléments qui permette de comprendre ce qu’est réellement LVMH : un empire du luxe et du profit à tout prix.
La caméra embarquée complète le dispositif technique, sans pour autant nous donner la nausée ! Ruffin filme avec peu de moyen (un cameraman, une preneuse de son), dans l’ombre parfois de la caméra cachée, afin d’accéder à certaines assemblées cadenassées. Comme par exemple dans cette séquence surréaliste, où l’on apprend que les petits actionnaires du groupe, indignes de voir le PDG Arnault en personne, sont parqués dans une salle où la réunion annuelle est diffusée sur grand écran, alors qu’elle se déroule dans une pièce adjacente…en présence des gens qui comptent, eux.
Après une première partie drôle et décalée, Merci Patron ! s’arrête à Poix-du-Nord. La petite ville du Pas-de-Calais, dans laquelle l’usine de la marque Kenzo (intégrée groupe LVMH), a subi la délocalisation de sa fabrique en Pologne, laissant sur le carreau des centaines d’employés. Ruffin se range alors du côté de M. et Mme Knur, anciens ouvriers, licenciés et devenus précaires, sur le point de perdre leur maison. Prenant la tête d’une véritable opération de sauvetage, le journaliste déjoue quelques pièges, donne parfois dans la manipulation, qu’on lui pardonne facilement : ses réactions, profondément humaines, nous entraînent avec lui dans cette démarche. Sa mission ? Empêcher la saisie de la maison, sauver le couple Knur, laissé pour compte alors que les hauts dirigeants du groupe, eux, nagent dans l’opulence.
Loin du pathos et de la dépression ambiante de certains films engagés, François Ruffin parvient à insuffler une énergie bienveillante envers les personnes qu’il rencontre. Si l’on ajoute à cela les stratagèmes qu’utilise ce journaliste déterminé, on obtient de bons moments de poilade, qui nous laissent pensif, profondément révolté ou ému aux larmes. Sous ses dehors légers, Merci Patron ! secoue. Alors que faire ? Boycotter les multiples enseignes du groupe pour ne pas alimenter cet horrible ogre capitaliste ? S’il y a bien une chose que le film montre, c’est que les employés trinquent toujours, jamais le grand patron et les actionnaires majoritaires.
Sorti le 24 février dernier, ce « petit » film puissant bénéficie d’un ample bouche-à-oreille…cet article en est la preuve vivante ! Alors courez-y !
La Cinéphile Éclectique (Carnets Critiques)
Réalisé par François Ruffin.
Sorti le 24 février 2016.