13 HOURS : Peinture abstraite ★★★☆☆

Michael Bay s’attaque à l’implication des États-Unis dans le conflit libyen pour l’un de ses films les plus complexes.

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Comment expliquer qu’après vingt ans, Michael Bay continue de cartonner au box-office, malgré ses échecs critiques plus ou moins importants ? Mais surtout, comment justifier que le roi de l’artifice, réduit à la caricature d’un beauf aux ambitions de destruction démesurées, engendre au fil du temps des avis plus modérés, voire une guerre entre ses détracteurs et des défenseurs de plus en plus nombreux, visant justement à changer cette image ? Probablement parce que le réalisateur de Transformers a su prouver qu’il avait un style reconnaissable au premier coup d’œil, ainsi qu’une exigence cinématographique, certes parfois veine, mais toujours au service d’un jusqu’au-boutisme qui le différencie d’un quelconque yes-man. En bref, même si le débat fait rage, Michael Bay est un auteur, bien que l’on puisse accorder qu’il n’est peut-être pas très enclin au renouvellement. C’est d’ailleurs pourquoi ses meilleurs films (No Pain No Gain en tête) possèdent des scénarios adaptés à ses thématiques, à ses obsessions et à son regard sur le septième art. Une catégorie que rejoint instantanément 13 Hours, en choisissant de raconter les attaques d’insurgés libyens durant la nuit du 11 septembre 2012 à Benghazi, contre deux complexes secrets des États-Unis. En étant concentré sur les agents de sécurité de la base, ex-Forces Spéciales devenant l’unique espoir des américains présents sur place, abandonnés par le gouvernement, le long-métrage pousse Bay dans les retranchements du contraste qui jalonne sa filmographie : celui entre un patriotisme idéalisé, et la réalité d’un pays qui manipule ses enfants, quitte à les laisser mourir.

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Pour être plus précis, 13 Hours est un cas assez complexe dans le cinéma de son auteur, tant il atteint certains paroxysmes de son style, tout en étant étonnamment mesuré. Si l’on devine que cette histoire de siège, presque dépeinte en temps réel, est avant tout le terrain d’une expérimentation quasi-constante dans le domaine de l’action, Bay n’a rarement autant développé son contexte et ses personnages. Les armes sont bien présentes à l’écran pendant la première heure, mais les hommes qui les emploient font tout pour ne pas avoir à appuyer sur la gâchette. Un choix étonnant pour quelqu’un qui a toujours opposé de façon assez manichéenne le courage et la lâcheté comme un pouvoir d’action face à l’inaction. Pour autant, le héros bayien ne s’est pas soudainement transformé en simple lopette. Il possède toujours ce corps viril suriconisé par la contre-plongée, ce visage perlé de sueur et de sang, avec en prime ici un quota de barbes imposant, afin de marquer la badassitude de ses protagonistes. Non, dans 13 Hours, le héros bayien est juste perdu. Perdu dans un combat dont il ne comprend pas les enjeux (Bay n’exprime jamais les revendications des insurgés), perdu dans un pays dans lequel il ne devrait pas être (l’opération de la CIA sur place est illégale) et sans cause à défendre. Ainsi, le réalisateur se livre à une critique beaucoup plus pertinente qu’il n’y paraît du bourbier libyen, où l’honneur et les justes causes des États-Unis (mais aussi de la France et du Royaume-Uni, il le rappelle) se sont retrouvés bafoués afin d’aggraver la situation d’un pays déjà bien mal en point.

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Ainsi, bien qu’il jouisse d’un premier degré qui ne le rend que plus haletant, 13 Hours se rapprocherait presque plus de l’ironie de No Pain No Gain dans sa manière de détourner intrinsèquement les codes du cinéma bourrin et patriote auquel se réfère Bay. Les soldats font face à une parodie de guerre, se délectant des dialogues de Tonnerre sous les tropiques et jouant de façon presque caricaturale à Call of Duty. Il est donc dommage que le cinéaste se force à tomber dans des travers sentimentaux faciles, créant artificiellement de l’enjeu au travers des familles des personnages, que ces derniers appellent tous en vidéo conférence avec la larme à l’œil et la promesse de rentrer vivant. D’autant plus qu’ils ont malgré tout une réelle difficulté à s’incarner, à commencer par Jack Silva (John Krasinski), censé être le protagoniste principal. En réalité, 13 Hours aurait sans doute gagné en force évocatrice s’il avait choisi d’assumer pleinement son aspect abstrait. Michael Bay est souvent vilipendé pour sa notion toute relative du découpage, donnant parfois l’impression que ses plans sont pensés dans leur unité, et non dans l’ensemble qu’ils forment. A vrai dire, il est avant tout en quête d’expérimentations, profitant des possibilités offertes par le numérique, notamment en ce qui concerne la taille des caméras, pour faire oublier leur présence, et les placer dans des endroits improbables. De cette manière, 13 Hours revendique une mise en scène bordélique dans un conflit qui l’est tout autant. Qu’il s’agisse de la shaky cam, du montage rapide ou de l’usage de caméras RED, connues pour leurs forts contrastes qui accentuent le travail remarquable sur les couleurs vives de Dion Beebe (le chef opérateur de Collatéral), tout dans le film est pensé pour éreinter l’œil et les oreilles, et donc nous faire endurer avec les héros leur longue nuit. Et comme à l’accoutumée chez Bay, le besoin de la cinégénie passe avant le reste, quitte à ce que les corps soient privés de visage. Le spectateur devient presque un drone qui observe passivement l’action, ne constatant que des silhouettes considérées comme de la chair à canon. Avec un certain nihilisme, le réalisateur laisse planer un sentiment de mort constant, comme s’il condamnait déjà ses personnages. Il insuffle même à son film une inspiration inattendue : celle du cinéma de morts-vivants. Difficile en effet de ne pas penser, face à ce siège voyant une masse indistincte l’envahir, au Zombie de George Romero, surtout quand la zone qu’utilisent les assaillants pour atteindre la villa est appelée par les militaires… Zombieland. Bien évidemment, cette façon de déshumaniser l’ennemi pourra être critiquée, mais il faut plutôt s’attarder sur les efforts déployés par le cinéaste pour éviter les amalgames, malgré quelques maladresses (principalement un traducteur motivé par les soldats qui servira de sidekick). Le temps d’une séquence tétanisante, une fois le jour levé, il décide de s’attarder sur les cadavres des insurgés et sur les pleurs de leurs familles, leur rendant l’identité dont ils étaient jusque là privés.

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Cela ne veut pas dire pour autant que 13 Hours se veut simplement anti-islamiste, avec une fin putassière pour rappeler que tous les membres de ce conflit sont des êtres humains. Le métrage entier est privé d’une identité parce que le conflit en Libye avait lui-même cette forme. Bay exploite même comme un running-gag l’impossibilité pour les soldats de savoir si les hommes qu’ils ont en face d’eux sont des alliés ou non. Les deux camps prétendent défendre le pays, alors que celui-ci n’existe déjà plus en tant que tel. Le combat est inutile, et le film nous le remémore tout du long, surtout dans un dernier quart d’heure lent et amer, à l’opposé des fins abruptes des Transformers. Jamais le chaos visuel auquel nous a habitué le cinéaste n’avait pris autant de sens, car il nous laisse le temps de le digérer, de prendre du recul avec afin de dénoncer toute la futilité de la guerre qu’il représente. Avec lucidité, Bay constate que le patriotisme qu’il chérit tant n’est plus. Il est tout autant désillusionné que ses protagonistes, oubliés par leur pays au point de devoir attendre qu’un avion daigne les récupérer durant les cinq dernières minutes. Il est certain que 13 Hours n’est pas aussi complexe et subtil qu’un American Sniper, mais comme ce dernier, on peut féliciter sa volonté de rester éloigné de toute considération politique, et ce malgré les accusations des démocrates y percevant une critique envers Hillary Clinton, à l’époque chef de la diplomatie. Le spectateur est ainsi libre d’interpréter la portée des symboles qu’il met en scène. S’il est évident que Michael Bay continue de louer de façon générale l’héroïsme militaire, sa vison du drapeau américain et de ses chères étoiles est plus floue. Certes, il rend hommage aux soldats décédés durant l’opération en filmant un monument commémoratif, mais n’est-ce pas là une nouvelle dénonciation ? Réduire des hommes à un symbole qui a perdu de son sens, les démythifier, voire les déshumaniser à leur tour. En tout cas, Bay vient peut-être d’utiliser au mieux sa capacité à l’abstraction, voire même de pousser à son paroxysme le cinéma post-11 septembre démocratisé par Paul Greengrass. Tout comme ses personnages, 13 Hours est une œuvre sans but, dénuée d’un héroïsme que l’Amérique semble avoir abandonné et exploitant la froideur du numérique pour traduire son nihilisme. Comme quoi, même le plus infantile des artistes hollywoodiens est capable de gérer son style au service d’une certaine gravité. C’est peut-être aussi pour cela que l’on aime Michael Bay.

Réalisé par Michael Bay, avec John Krasinski, James Badge Dale, Max Martini, Pablo Schreiber

Sortie le 30 mars 2016.

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