Marussia

Par Cinealain

Date de sortie 21 janvier 2015

Réalisé par Eva Pervolovici


Avec Dinara Droukarova, Marie-Isabelle Stheynman,

Sharunas Bartas, Dounia Sichov, Georges Babluani,

Madalina Constantin, Alexei Ageev

et la participation de Denis Lavant


Genre Drame


Productions Française, Russe

Synopsis

Lucia (Dinara Droukarova), une maman russe de 35 ans, et Marussia (Marie-Isabelle Stheynman), sa petite fille de six ans, errent dans les rues de Paris, valises en main. Elles cherchent chaque nuit un endroit où dormir au gré des rencontres et du hasard.

Malgré l'incertitude et le regard désapprobateur de leurs compatriotes, la mère et la fille partagent de tendres moments.

Est-ce assez pour tenir ?

Un beau conte urbain vu à hauteur d'enfant, qui sait voir et trouver les merveilles dans le trivial, mais aussi regarder la réalité en face.

Eva Pervolovici est une jeune réalisatrice d’origine roumaine qui compte à son actif une impressionnante liste de courts métrages, vidéos artistiques, photographies et collaborations à l’écriture de romans et magazines d’art. Quels que soient les supports ou styles d’expression, son travail hétéroclite se concentre sur la même intention: rendre visible la subjectivité en laissant s’exprimer le surréalisme de la vie quotidienne.


Après des études de cinéma à Bucarest, Edimbourg et Paris, Eva Pervolovici, et l’originalité de son travail, ont été présentés et récompensés dans de nombreux festivals du monde entier. Elle a participé au Talent Campus de Berlin, Sarajevo et Rejkjavik. En 2010, la sélection pour le prix Berlin Today Award lui permet de réaliser un court-métrage Little Red, qui sera présenté au festival de Berlin 2011. Ses court-métrages LubaBen et Mina ont été présentés au festival de Rotterdam 2011. Dans ses derniers courts-métrages, notons Quiara Ah !, qui est inspiré d'une expérience personnelle, et questionne le rapport de force entre la mise en scène et la réalité. Lors d'une audition, une actrice chilienne voit ressurgir des moments traumatisants de son passé, en essayant de plaire à un réalisateur assoiffé de vraie souffrance.

Ovo, réalisé en 2013 est remarqué au Festival du film Roumain de Toulouse. C'est l'histoire d'Ovo qui a 5 ans. Mais il n’est jamais sorti du ventre de sa maman. Sa sœur ainée, Mila, veut qu’il sorte, tandis que leur mère voudrais être enceinte pour toujours.

Actuellement, elle développe plusieurs projets de fictions et de documentaires. Depuis 2008, Eva vit et travaille à Paris.

Interview de Camille Jouhair distributeur du film avec la réalisatrice, Eva Pervolovici.


Qu’est ce qui vous a motivé pour réaliser un film tel que Marussia ?


C’était vraiment la rencontre avec la petite Marussia. Je ne cherchais pas un sujet à l’époque, ou je ne me suis pas dit que je voulais faire un film avec des personnages russes à propos d’immigration. Tout simplement, un jour, il y a cinq ans, j’étais dans une salle de cinéma pour une masterclass de Nikita Mikhalkov, et Marussia, qui avait 3 ans à l’époque et ne parlait pas du tout français, est venue me parler en russe, jouer avec moi et je suis tombée sous son charme instantanément. Je n’écoutais plus du tout la masterclass, on a fait des photos ensemble. C’est grâce à cette rencontre que tout a commencé et que j’ai voulu raconter cette vraie histoire.

Cette histoire vraie, de quelle manière l’avez-vous connue ?


Après avoir rencontré la petite Marussia, j’ai regardé dans la salle et je me suis demandée à qui appartenait cette enfant. J’ai vu sa mère et je lui ai demandé son numéro de téléphone, ce que d’habitude je ne fais pas car je suis plutôt timide et que je n’aborde pas les inconnus comme je l’ai fait là. C’était un coup de chance car j’aurais pu rentrer chez moi sans son numéro. Ensuite, petit à petit j’ai commencé à les voir toutes les deux, à apprendre leur histoire. Mais je me suis rendu compte que l’on n’allait pas faire un documentaire ni une adaptation exacte de l’histoire vraie, et c’est bien là tout le travail qu’on a fait ensemble avec Dinara, de créer un personnage de fiction à partir des personnages de la réalité sans que cela soit une reproduction exacte de la réalité.

Cette histoire a-t-elle été racontée quelque part, dans un cadre littéraire ou autre, ou bien est-ce une histoire que les gens ont véhiculé sur cette femme, à cause de son parcours ?

Ce sont des petites histoires qu’elle m’a racontées mais c’est aussi moi qui ai passé du temps avec elle pendant une année. Je l’ai suivi avec une petite caméra 5D. Je filmais des scènes qui sont en fait les mêmes scènes que dans le film mais avec une mise en scène et des acteurs. Cela mélange des histoires racontées et vécues, de fiction, des histoires que j’ai inventées.


C’était une femme russe qui était mannequin et vivait à Paris, qu’est ce qui fait que sa vie a basculé ?

Ce qui m’a intéressée dans son histoire, c’est qu’il ne s’agit pas de l’immigrante typique, du cliché auquel on pense, misérabiliste et moche. C’est au contraire une femme très belle qui a beaucoup de respect de soi, qui a une énergie et une beauté que d’habitude on n’associe pas aux immigrants. C’est le fait qu’elle ne soit pas comme les autres ou bien que les autres ne soient pas comme on pense qu’ils sont qui m’a fascinée.

A-t-elle accepté assez facilement une adaptation cinématographique de sa vie ?


Oui bien sûr. Pour elle, c’était naturel, c’est ce qui devait se passer.

Pour quelle raison cette femme n’a pas pu revenir en France ?

Elle avait fait trois demandes d’asile politique, et elle ne l’a pas obtenu. Une fois que la troisième demande a expiré elle est repartie en Russie. Elle n’a plus droit à un visa maintenant, mais je ne sais pas exactement comment fonctionnent les lois françaises à ce propos.


Vous avez proposé le projet à plusieurs productions ?


Je suis allée directement voir Janja Kralj. On avait de très bonnes relations, je lui avais d’abord proposé un court métrage mais elle m’a dit qu’elle n’était pas intéressée par le court métrage, et elle a raison. Du point de vue du producteur, c’est le même effort et le même processus pour faire un court et un long métrage. Je lui ai parlé de ce sujet avant même d’avoir un scénario et on était d’accord pour faire un film. Je me suis donc mise à l’écriture d’un scénario et après quelques mois, on a développé tout le projet ensemble, dès le début.

Comment s’est déroulé le casting pour trouver l’actrice qui pouvait incarner ce personnage ?


Le casting a été vraiment dur parce qu’on a mis des mois à avoir toutes les comédiennes russes à Paris. Il y a même des comédiennes de Moscou qui sont venues. C’était vraiment un casting d’envergure pour un petit film sans trop de budget. Dinara s’est imposée comme une évidence, avec sa capacité à tenir le rôle, à créer un personnage qui ne soit pas une copie de la vraie vie mais un personnage qui soit elle. Elle est venue avec son apport créatif pour donner de la chaleur à un personnage de fiction. Aussi sa relation avec Marussia était importante car il fallait quelqu’un qui assumait un double rôle : jouer son propre personnage et faire jouer la petite, qui est un enfant sauvage qui n’a pas l’habitude du jeu ni de vivre dans un cadre.


Beaucoup de scènes ont été tournées dans la rue, dans des lieux particuliers à Paris car vous avez retrouvé les endroits où elle avait vécu pour essayer de retrouver certains cheminements.


Ce n’était pas exactement les mêmes endroits. On a cherché les décors qui y correspondaient mais c’est vrai que c’est un tournage où, presque 80% du temps, nous sommes dans la rue, en hiver. Ce n’était donc pas des conditions évidentes ni pour Dinara, ni pour la petite Marussia, ni pour l’équipe. C’était dur de tout filmer dans tous ces décors différents, on a eu chaque jour beaucoup de déplacements.

Comment avez vous formé l’équipe de tournage, qui était composée de plusieurs nationalités, et comment avez-vous vécu le tournage en France ?


J’habitais en France depuis quelques années donc je savais comment les choses fonctionnent. Janja est d’origine croate mais habite en France depuis une quinzaine d’année. On a formé l’équipe ensemble; Janja ne voulait que des professionnels dans l’équipe même si le budget était très réduit. On avait un ingénieur du son belge, un chef-opérateur mexicain, un premier assistant français; c’était vraiment un mélange de personnalités qui a fonctionné.


Pour conclure cet entretien, je vais vous demander si vous avez d’autres projets ?


Oui, j’ai pas mal de projets. Je viens d’avoir une aide de la part du CNC à l’écriture d’un documentaire. J’ai deux autres projets de documentaires, deux projets de fictions. Je suis en pleine écriture en ce moment.

Dinara Droukarova fait ses débuts au cinéma à 12 ans, elle est révélée par le long-métrage de Vitali Kanevski, Bouge pas, meurs, ressuscite, qui obtient la Caméra d’or au Festival de Cannes en 1990. Elle retrouve le cinéaste russe pour Une vie indépendante puis le documentaire Nous, les enfants du XXème siècle.
Elle poursuit une carrière en France et notamment dans le Fils de Gascogne de Pascal Aubier. Elle apparaît dans Petites coupures de Pascal Bonitzer, et incarne Ada dans Depuis qu’Otar est parti, portrait de trois générations de femmes en Georgie réalisé par Julie Bertucelli. Son interprétation lui vaut une nomination au César du Meilleur espoir féminin.
Depuis elle a travaillé avec des auteurs comme Pascal Bonitzer ou Laëtitia Masson ainsi qu’avec de jeunes réalisateurs tels que Léa Fehner et son très remarqué Qu’un seul tienne et les autres suivront, ainsi que Joann Sfar pour Gainsbourg, vie héroïque, qui a reçu le Prix du Meilleur Premier Film aux César 2011. Elle apparaît également dans le dernier film de Michael Haneke, Amour, Palme d’or au Festival de Cannes 2012.

Suite de l'interview de Camille Jouhair, avec Dinara Droukarova

Dinara, est-ce que le rôle vous convenait ? Car c’est un rôle profond d’une femme libre, pleine de doute. Comment êtes vous entrée dans le sujet du personnage, d’une mère et d’une actrice ?


Pour moi c’était intéressant de faire un film sur les relations entre une mère et sa fille qui sont à un moment donné dans des circonstances extrêmes, et suivre la relation entre elles. Parfois la maman est plus petite que la fille, dans le sens où elle est complètement enfantine dans ses gestes, dans ses choix.

C’était chouette car on a travaillé ensemble, et j’aime faire un film quand il y a un travail d’équipe. Quand on s’est rencontré avec Eva, le scénario était déjà très avancé mais on a travaillé toutes les trois avec Janja. J’ai assisté à des séances où l’on s’inspirait de l’histoire de Marussia et de Larisa. Ce qui est intéressant pour moi, en tant que comédienne, c’est de les avoir comme point de départ mais de ne pas faire une histoire calquée sur Larisa, pour pouvoir imaginer d’autres facettes.


Vous êtes d’origine russe. Quelles étaient vos relations avec la communauté russe et les autres acteurs russes ? Car j’ai appris que les russes n’aiment pas trop que l’on montre la "décadence" de la personne à l’étranger. L’avez-vous ressenti quand vous deviez par exemple chercher des lieux ? Les gens connaissaient-ils Larisa ?


Peut-être pas pendant le tournage, mais plus lorsque le film a été montré. Par exemple le film a été montré à Honfleur et un spectateur français posait des questions alors que les spectateurs russes étaient presque choqués de voir cette femme russe qui débarque à Paris, qui se retrouve à la rue et qui n’arrive pas à travailler, à donner une vie normale à sa fille. Ces gens n’arrivaient pas à réaliser que ca existait. Ils n’aimaient pas cette image qu’on donne, sauf que ce n’est pas une image de toutes les femmes, c’est une histoire imaginée. Le film de Zviaguintsev est sorti, et les russes n’aiment pas quand on montre ça. En Russie, on aime les films de princes et de princesses.

Vous avez pratiquement tenu le film à bout de bras en tant qu’actrice principale du film. Vous étiez presque dans tous les plans. Comment s’est passé le tournage en France, avec une équipe assez cosmopolite et avec des séquences qui n’étaient pas faciles sur le plan du regard, du toucher, à propos de la religion?


J’adore les tournages différents. Celui-là était formidable parce que l’équipe était internationale, réduite, et nous n’avions pas beaucoup d’argent donc nous devions être inventifs et très mobiles. J’ai beaucoup apprécié cela car c’étaient des tournages dans la rue. Avec les enfants, ce n’est pas évident de tourner car il faut être très souple. Ce qui était compliqué c’était de travailler avec l’enfant : ça peut être magnifique comme cela peut être désespérant, car parfois on est tous prêt et il peut être fatigué, il n’a pas envie ou ne comprend pas.


À la sortie du film, pensez-vous que la communauté russe parisienne pourrait y être sensible, qu’on pourrait les inviter à un débat assez critique, ou pensez-vous que ce sera une communauté qui refusera le film, peut-être même qui pourra donner des avis négatifs ? Comment voyez-vous votre avenir au niveau du cinéma, quels sont vos objectifs futurs ?


Moi j’aimerais bien que tout le monde voit le film, toutes les communautés possibles et imaginables. La communauté russe existe effectivement à Paris, mais je ne veux pas spécialement m’adresser à elle en particulier. C’est l’histoire d’un personnage qui n’est pas comme les autres.

Vous avez tourné dans des lieux d’accueil. Etait-ce facile de tourner dans ces endroits ? Spécialement la séquence avec les femmes sur les lits superposés. Comment se passe ce genre de tournage ?


Eva Pervolovici : Le tournage était très difficile. On a eu des décors confirmés qui finalement étaient impossibles à faire. On avait déjà fait un premier storyboard avec mon chef opérateur dans des décors et même dans des foyers sociaux qu’on n’a finalement pas pu utiliser. On en a trouvé d’autres. La scène avec les lits superposés et celle où elle trouve un appartement sont filmés dans de vrais foyers. Les gens y sont finalement très accueillants.


Dinara Droukarova. : Oui, ils sont accueillants, mais j’avais la chair de poule. Ce lieu m’a marquée par son odeur, par sa neutralité, sa lumière, ses draps en plastique. Ce qu’on voulait montrer dans le film, c’est que les adultes voient un côté des choses alors que les enfants voient sous ce drap en plastique tout un monde imaginaire, féérique. Le but le plus important du film était de voir à travers les yeux d’un enfant les situations extrêmes qu’il vit.


Camille Jouhair conclue : J’ai appris pas mal de choses dans le film à propos du 115, de l’accueil des foyers, et comment les chambres sont redonnées le soir lorsque la personne ne revient pas après une certaine heure, sans se soucier de ce que devient cette personne pendant la nuit.

En tant que distributeur, pour moi c’est un film ouvert à tous les sujets, petit par la taille, mais grand par toutes les idées et les sujets qu’il contient, comme la féminité, tout le drame humain de quelqu’un qui se cherche et qui cherche à avoir sa place dans une cité sans mendier.