Y a-t-il un absolu dans le bien et le mal dans le monde ? Et vos personnages, pour quoi se battent-ils ? Et de quel côté versent-ils ? Il est indéniablement intéressant de voir la moralité d’un personnage osciller d’un pôle à un autre.
Si vous l’expérimentez, vous vous rendrez compte aussi qu’il est amusant d’écrire les compromis moraux auxquels se livre un personnage selon les circonstances. Un personnage qui dans les faits oscille entre des valeurs positives et négatives possèdent un grain de personnalité qui ne laisse pas de retenir l’attention.
Des astuces dramatiques comme des petits compromis qui peuvent influencer sinon la direction de l’histoire du moins celle d’une scène, ou bien faire prendre à votre personnage une pente très glissante, sont très utiles pour encourager ce mouvement de balancier entre valeurs.
Vous pourriez le confronter à un dilemme ou aucun des deux choix n’est le bon, par exemple.
Lorsqu’un personnage fait le choix d’agir immoralement (du moins lorsque le lecteur juge qu’il a agi immoralement), le lecteur ressent un malaise, un certain inconfort tout comme le personnage. Et que dire si ce lecteur trouve sympathique le méchant de l’histoire, ce qui n’est pas un souci, d’ailleurs, au contraire.
Cette tendance à avoir des personnages qui ne soient plus tout à fait moraux ou immoraux et capables d’agir et de prendre des décisions dans un sens ou l’autre vient probablement en réaction aux héros purs et durs ou aux méchants taillés dans le roc et ne déviant ni l’un ni l’autre de leurs propres codes moraux.
Nos personnages ne s’inscrivent plus dans un dualisme manichéen. Les histoires ne cherchent plus vraiment à décrire la lutte éternelle entre ces principes antagonistes que sont le bien et le mal. Maintenant, ces principes contraires sont associés et définissent la personnalité d’un personnage. Nous sommes anges et démons (et d’autant plus que selon les sources bibliques, les démons autrefois étaient des anges rebellés contre Dieu et qui ont suivi Satan dans sa tanière forcée sous terre).
C’est en formulant votre histoire, au tout début de votre processus de création, que vous saurez si celle-ci exige des personnages qui ne soient ni tout blanc, ni tout noir. C’est d’ailleurs un des premiers choix que vous devrez faire et qui conditionnera le déroulement de votre fiction.
Lorsque vous décrirez des scènes à l’atmosphère sombre, aux personnages angoissés ou anxieux, des scènes où une certaine violence réside (et cette dernière n’est pas seulement physique), partout où une tension s’installe, il est probable que vous sentirez l’envie de pousser vos personnages vers des extrémités auxquelles on ne s’attend pas. Vous aurez ainsi tendance à jouer avec les valeurs morales en laissant le personnage exprimer la part d’ombre en lui avec peut-être un rappel de sa conscience. Vous soulignerez ainsi davantage son humanité en le faisant osciller entre le bien et le mal (pris dans un sens global).
Même un méchant comme Loki du Marvel Universe nuance ses actions et il lui arrive, bien que sa fonction soit clairement définie dans l’esprit du lecteur, de faire de bonnes choses (du moins jugées comme telles).
La fiction est une copie de tranche de vie qu’un auteur a dramatisée. Il raconte une histoire. Et lorsqu’on commence à comprendre ou à assimiler les codes moraux et le mode de fonctionnement du monde, on s’aperçoit de toute la clarté de l’évidence, qu’il n’y a pas le bien d’un côté et le mal de l’autre, qu’il n’y a pas les ténèbres d’un côté et la lumière de l’autre. Le monde est tout en nuances de gris selon la situation et le contexte.
Il existe effectivement des situations lorsqu’un personnage qui est pourtant convaincu qu’il ne ferait jamais telle ou telle chose se voit forcé par les circonstances d’agir contre ses propres valeurs. On ne peut éluder cette possibilité chez un personnage et un moyen de retranscrire un tel dilemme est d’en passer par un compromis moral.
Il vous faut donc repérer dans le flux des événements quelles sont les scènes qui appellent un tel compromis pour le personnage.
Imaginez une scène où vous avez votre personnage principal qui est prêtre et aspire à faire le bien et le méchant de l’histoire qui fait vraiment des choses méprisables et ces deux-là (nous n’en sommes pas encore au climax, d’ailleurs) sont face à une situation où leurs vies respectives sont menacées.
Vous avez la possibilité dans cette scène particulière de permettre au prêtre de sceller un accord temporaire avec le méchant (et c’est réciproque pour le méchant).
Donc les personnages vont devoir faire un compromis pour se sauver mutuellement la vie et mieux reprendre ensuite leur lutte jusqu’à l’ultime confrontation.
La nécessité a mené le bien et le mal à s’associer pour offrir un front commun face à une adversité qui les menace ou les dépasse tous deux.
Le but de cette proposition narrative est simplement et fondamentalement de rester dans le domaine de l’humanité de vos personnages sans compter l’ajout bénéfique au niveau de votre intrigue.
Vous pourriez ainsi prendre deux frères qui, pour des raisons perdues depuis l’enfance, ne peuvent s’entendre et sont en conflit permanent. A chaque scène où ils se retrouvent, l’un comme l’autre ne cherche qu’à prendre le dessus sur l’autre.
Pourtant, si vous découvrez, au moment où vous construisez ces deux personnages, certaines similitudes d’idées, de comportements, de postures, de réactions… vous allez pouvoir mettre en relief davantage encore la relation conflictuelle qui existe entre eux, vous allez pouvoir l’expliquer.
Vous pourrez écrire des situations où une complicité s’installera entre les deux frères malgré leur conflit et cela vous permettra d’illuminer la personnalité de chacun des personnages en fonction de votre thème.
En décrivant des personnages qui font montre d’un entêtement ou qui ne bouge pas d’un iota de leur position dans l’histoire, le lecteur s’en lassera rapidement. Quelles que soient les fonctions qu’ils occupent dans votre fiction (qu’elle soit archétypale ou autre), il faut nuancer la moralité des personnages. N’importe qui est capable d’être juste ou injuste lorsque les circonstances commandent.
Des personnages comme Boromir ou Gollum sont si intéressants parce que leurs valeurs morales sont capables d’être régulièrement ébranlées et revenir à ce qu’elles étaient. C’est cette fluctuation de leurs codes moraux qui les rend si passionnants à travailler. C’est l’expression d’un conflit permanent. Et le conflit est à la fiction ce que l’air est à une poitrine.
C’est simple en somme. Vous avez des personnages que vous avez décrit indolents ou qui ont fait des tas de choses mauvaises au cours de leur vie (dans l’intrigue ou avant que l’histoire commence) et qui se retrouvent soudain au pied du mur avec cette question : Est-ce que je reste, que je défends ce mur et probablement vais-je y mourir ? ou bien je fuis ?
Et vous avez d’autres personnages qui ont fait le bien toute leur vie, qui ont des standards moraux élevés et exemplaires et qui vont fuir.
Et puis, bons ou mauvais, les personnages peuvent avoir une soudaine révélation et ils se sentent soudain capables de faire quelque chose qu’ils n’avaient jamais fait ou dont ils ne se sentaient pas capables.
Cela a aussi l’avantage de ne pas rendre vos personnages prévisibles. Le lecteur ne sait jamais ce que sera leurs réactions. Vous donnez de la profondeur à vos personnages et vous évitez le stéréotype.
Mettre en place le moment où la moralité oscille
Evidemment, vous ne pouvez pas avoir quelqu’un de bien (du moins qui réponds à une certaine normalité) devenir un serial killer du jour au lendemain. Pour qu’il bascule dans une nuance plus sombre de sa personnalité, il va lui falloir faire quelques compromis moraux soit avec les autres personnages, soit avec lui-même.
Prenons un personnage qui doit faire un compromis parce qu’il doit protéger un témoin et qu’ils sont dans une situation à la tension soutenue.
Votre héros protecteur est un homme intègre, à l’honnêteté exemplaire et bien, dans cette situation précise, il va devoir mentir à son témoin pour le préserver. Il va devoir tordre son code moral pour accomplir sa mission quelque soit la relation qui peut exister entre ce témoin et lui.
Puis plus tard, il va lui falloir sacrifier un innocent pour que son témoin puisse vivre et qu’il ne peut faire autrement parce que la situation est désespérée.
Le premier compromis était somme toute pardonnable, sans conséquence véritable et sur l’intrigue et envers le personnage lui-même mais il était nécessaire pour rendre crédible le second compromis bien plus grave. Vous préparez ainsi le lecteur à un geste immoral qui n’aurait pas été compris si vous n’aviez pas montré auparavant que votre héros était capable d’un tel geste.
Puisque votre personnage si intègre est capable de mentir dans certaines circonstances, il est cohérent qu’il puisse accomplir d’autres actes bien plus immoraux.
Par ailleurs, cette façon de faire nourrit l’arc dramatique de votre personnage principal. Il peut être amené à découvrir des choses sur lui-même en laissant parler son aspect le plus sombre.
Pour justifier les dilemmes moraux auxquels vous allez soumettre votre personnage, il vous faudra peut-être réviser son passé ou modifier sa personnalité de façon à ce que ces dilemmes soient logiques. Préparez donc bien les éléments qui vont structurer votre personnage lors de sa construction.
Une autre astuce dramatique consiste à défier votre personnage avec un dilemme où les seuls choix possibles sont mauvais. Cela se produit aussi dans la vie réelle alors pourquoi non dans la vie des personnages fictifs.
Lors de l’élaboration des personnages, on établit généralement une liste de règles qui définissent le comportement, la vie sociale, le code moral, la façon d’être des personnages dans le monde fictif. C’est en brisant certaines de ses règles que le personnage devient imprévisible et gagne en profondeur.
D’abord, afin de préparer le lecteur a accepter un comportement extrême du personnage, celui-ci brisera des règles sans qu’il y ait trop de conséquences et parce qu’il est incité à le faire par quelque chose. C’est davantage un choix dicté par les circonstances qu’un dilemme.
Maintenant, imaginez qu’un serial killer se confesse à un prêtre qui ne peut briser le secret de la confession. Les meurtres continuent en ville et le serial killer continue de se confesser.
Le prêtre se rend sur les scènes de crime, il parvient parfois à donner l’absolution à certaines victimes du serial killer.
Puis vient le moment du dilemme : le prêtre a maintenant deux possibilités et toutes deux sont mauvaises. Soit il trahit le secret de la confession et les meurtres continuent, soit il tue lui-même le serial killer ce qui élimine la menace mais enfreint une des toutes premières règles de son dogme. Et il va devoir choisir…
Face au dilemme du protagoniste, le lecteur devrait ressentir un certain inconfort, un trouble. Pour cela, il doit croire suffisamment dans le personnage au point de ressentir le même inconfort que le personnage face à la décision qu’il doit prendre.
Le trouble disparaîtra après que l’intrigue continue de se dérouler mais s’il y a un moment où l’empathie doit jouer le plus, c’est bien lorsque le personnage doit prendre une décision cruciale.
Et de même, lorsque le méchant de l’histoire se retrouve face à un dilemme où il doit choisir entre deux solutions dont aucune n’est bonne, il se produit un phénomène étrange. Le simple fait de placer un antagoniste dans une telle situation le rend meilleur aux yeux du lecteur.
Ces dilemmes où la moralité d’un personnage est questionnée sont tellement une vérité de la nature humaine que quelque soit la fonction que ce personnage occupe dans l’histoire, le lecteur reconnaît en lui cette part d’humanité et ne peut qu’éprouver de la sympathie.
Essayez de placer votre personnage principal dans des situations où il est moralement engagé. Cependant, ne lui laissez pas le choix de choisir une solution plutôt qu’une autre parce qu’il est évident qu’une des deux solutions est la meilleure.
Le choix doit être difficile et aucune des solutions ne doit l’emporter sur l’autre et vous devez préparer le moment du dilemme pour le justifier, le rendre logique et cohérent. Il est nécessaire que le lecteur soit convaincu par le dilemme du personnage.