Date de sortie 16 mars 2016
Réalisé par Léa Fehner
Avec Adèle Haenel, Marc Barbé, François Fehner,
Lola Dueñas, Marion Bouvarel, Inès Fehner,
Christelle Lehallier, Patrick d’Assumçao
Genre Comédie dramatique
Production Française
Synopsis
Ils vont de ville en ville, un chapiteau sur le dos, leur spectacle en bandoulière.
Dans nos vies ils apportent le rêve et le désordre. Ce sont des ogres, des géants, ils en ont mangé du théâtre et des kilomètres.
Mais l’arrivée imminente d’un bébé et le retour d’une ancienne amante vont raviver des blessures que l’on croyait oubliées.
Alors que la fête commence !
Entretien avec la réalisatrice relevé dans le dossier de presse.
Propos recueillis par Claire Vassé
D’où vous est venu le désir de réaliser ce film ?
J’ai grandi dans le milieu dont parle mon film, le milieu du théâtre itinérant. Dans les années 90, mes parents se sont embarqués dans cette aventure avec une dizaine de caravanes, un chapiteau, une troupe bigarrée et fantasque et ils ont sillonné la France pour faire du théâtre. (L'Agit créé il y a 25 ans à Balma). Étrangement, quand j’ai décidé à mon tour de raconter des histoires, je crois que j’ai quitté ce milieu pour celui du cinéma parce que j’avais la trouille. La trouille des rues vides où l’on parade mal réchauffés. La trouille de la truculence d’une vie où pour parler au spectateur tu lui postillonnes dessus, où les enfants sont au courant de la moindre histoire de fesse, où tu grandis au milieu des cris, du théâtre et des ivrognes. Et c’est sans parler de l’ingérence de tous dans la vie de chacun, du manque de tunes viscéral dont on clame que cela n’a aucune importance, des frustrations qu’on ressent face à ceux qui réussissent mieux… Mais récemment, tout s’est inversé. Là où je voyais des galères, je me suis mise à voir du courage, cette proximité avec le spectateur m’a fait envie. Les débordements se sont mis à s’inscrire pour moi dans la fête, dans la vie.
Alors au sortir de mon premier film, j’ai eu envie de filmer cette énergie. Mon premier film était sérieux, grave, et après l’avoir beaucoup accompagné en salles, j’ai eu envie d’offrir autre chose au spectateur. J’ai eu envie de faire un film solaire et joyeux, mais joyeux avec insolence et âpreté. J’ai eu envie de filmer ces hommes et ces femmes qui abolissent la frontière entre le théâtre et la vie pour vivre un peu plus fort, pour vivre un peu plus vite.
Vous parlez de votre désir d'un film solaire, mais la vitalité qui se dégage du film est puissante, certes, mais pas uniquement gaie. Elle brasse la vie sous tous ses aspects.
Peut-être, parce que je ne m’intéresse pas à l’âge d’or d’une compagnie mais plutôt à ce que l’âge a pu faire de cette compagnie. Je ne suis pas dans l’enfance de leur désir mais quand le désir rame pour être toujours là, quand il faut le provoquer pour qu’il reste vivant… Juste avant que j’écrive ce film, la compagnie de mes parents a fêté 20 ans. L’année avait été très rude, d’une violence inouïe Un des membres de la compagnie avait perdu son fils de 18 ans. Mon père, lui, atteignait cet âge où on hésite entre le désir et l’abandon.
Cet âge où la fatigue de faire ce métier commence à se faire sentir. Mais la fête a été maintenue et elle fut folle, incroyable, débridée. En traversant ce jour avec eux, je me suis dit que c’était de ça dont on avait besoin, qu’il fallait raconter : cette façon de dire merde à la mort et à la douleur par le rire, la musique, les excès ; cette énergie qui purge la tristesse dans le débordement et qui fait un pied de nez à la violence de la vie.
L’âge et les drames avaient érodé l’arrogance et la démesure des ogres de mon enfance et pourtant je les voyais toujours pétris de cette volonté de continuer, de vivre, de croquer le présent.
Mais comment continue-t-on avec nos morts ? Comment continue-t-on avec ce qui est mort en nous ? C’est cette question plus large, plus commune à nous tous qui m’a poussée dans l’écriture de ce film.
Adèle Haenel et Marc Barbé
Les Ogres ... Vos personnages portent bien leur nom !
Ce titre fut comme une colonne vertébrale dans notre écriture pour ne pas se laisser aller à la facilité, pour ne pas se faire séduire par la vitalité de nos personnages.
Nous avions envie de parler d’un appétit de vivre éclatant et puissant. Mais il fallait absolument ne pas nous cacher la part de monstruosité ou de violence qui résidait dans cet appétit. Nos personnages devaient être de ceux dont on pourrait se dire "j’aimerais bien les connaître, boire des coups avec eux" mais il fallait le faire sans complaisance, en regardant sous le tapis de leur voracité.
Ces ogres de vie sont aussi capables de bouffer les autres et de prendre toute la place ! Mais c’est aussi ça qui peut devenir passionnant : donner à voir des êtres puissants et drôles, indignes et inconséquents, foutraques et amoureux. Traquer l’ambivalence.
D’une certaine manière, parler des ogres c’est aussi se rendre compte que cette question de la démesure a autant à voir avec le théâtre itinérant qu’avec l’intimité des familles : comment certains y occupent toute la place, comment l’amour peut être dévorant…
C'est vrai qu'au delà de ce milieu singulier du théâtre itinérant, le film est d'abord un film sur le groupe, la famille.
On s’aime et pourtant on se fait mal. C’est peut-être ça la grande beauté et la grande douleur des familles : s’aimer et ne pas savoir faire autrement que de s’y prendre mal. Alors le film parle de ça oui, mais pas uniquement par les liens du sang. Parce qu’ici la famille c’est celle qu’on se choisit, qu’on rencontre, avec qui on travaille. À la base de l’esprit de troupe, il y a une utopie du collectif qui dépasse le cadre de la famille, qui pose la question de l’amour plus largement.
Une fois qu’on a dit ça, famille ou troupe, les questions de toute façon se rejoignent : le groupe me fait-il abdiquer ma propre liberté ? Ou au contraire me rend-il plus fort et donc plus capable d’exercer cette liberté ?
Comment s'est passé le processus d'écriture du film ?
J’ai commencé par récolter beaucoup d’histoires sur la troupe de mes parents et sur d’autres troupes de théâtre itinérant. J’ai fait appel à mes souvenirs bien sûr mais sans avoir peur de comment le temps les avait modifiés. À partir de cette matière brute, avec ma co-scénariste Catherine Paillé, nous avons commencé à fictionnaliser les évènements, à tirer les situations pour en faire une histoire de cinéma. Il fallait que cette histoire soit épique tout en restant quotidienne, accrochée aux basques des personnages qui grandissaient sous nos doigts. Très vite nous nous sommes éloignées de la chronique, du portrait d’un milieu. Nous voulions au contraire que le romanesque de ces choix de vie apporte son souffle au film.
Mais le traitement du groupe nous confrontait à des questions de tonalité. Deux films nous ont à ce moment là beaucoup aidées : Festen et Milou en mai. Ce sont des films de groupe mais très différents et nous recherchions justement à être à mi-chemin entre ces deux pôles, à allier la cruauté des sentiments à la tendresse du regard.
On s’est beaucoup amusées à tordre les histoires, à les défigurer, les réinventer. Le désir n’a jamais été d’être fidèle à la réalité mais plutôt d’atteindre une truculence et une vérité, que le film puisse avoir autant à voir avec Asghar Farhadi qu’avec Astérix ! En France on oppose souvent baroque et justesse. Je voulais au contraire montrer comment les deux peuvent se mêler et trouver la sincérité de ceux qui jouent un jeu, la douceur de ceux qui hurlent tout le temps, l’amour de ceux qui se déchirent.
Comment écrit-on pour autant de personnages
qui doivent coexister dans le même plan ?
C’était le défi. Faire coexister le collectif et l’individu. Le sujet est au centre du film et j’avais envie que la forme finale soit à l’unisson de cette thématique.
Nous avons alors essayé de concevoir des scènes qui soient des mille-feuilles d’action, où le premier plan tisse une ligne dramatique alors qu’au second une histoire est en train de débuter et qu’au dernier chacun vient mettre son grain de sel dans les deux autres. Et tout cela la plupart du temps dans le mouvement, le rush, la crise ou la danse.
Mais à la fin de la première écriture, nous ressentions pourtant un manque, une difficulté encore à trouver cet humain concert. Grâce à une subvention de la région Midi-Pyrénées, j’ai alors décidé de faire improviser une dizaine de comédiens de la troupe de mes parents à partir du traitement déjà écrit.
Il y a comme une forme de pudeur derrière cette profusion.
Vous saviez d'emblée que vos parents et votre sœur joueraient dans le film ?
Non, c’est vraiment l’aboutissement d’un processus, lié à ces improvisations, pendant lesquelles le noyau familial s’est livré avec une intensité qui m’a questionnée. Ils étaient généreux sans être impudiques. Fiévreux sans tomber dans le psychodrame. Petit à petit, il m’est apparu comme une évidence qu’il fallait que j’accepte de jouer avec le feu. C’était la chose la plus cohérente à faire, et en même temps complètement folle.
Pourquoi elle ?
Car c’était mettre en danger des relations qui sont vivantes et fragiles. C’était mettre mon père dans la position d’être dirigé par sa fille. C’était s’amuser à écrire à partir d’une histoire qui est encore en train de s’écrire. C’était prendre le risque tout d’un coup que quelque chose d’intime m’empêche de me sentir le droit d’aller trop loin. Mais je crois que j’avais besoin de cet inconfort de la réalité qui se mélange à la fiction pour ce film-là. Sur le tournage, j’ai été troublée par leur abandon. Et troublée par leur capacité à se trahir, à se réinventer un personnage. De toutes façons, est-ce si compliqué que ça de filmer ses proches ?
Le plus fragile et le plus difficile, c’est d’aimer ses acteurs et que cet amour ressurgisse dans le film. Là d’une certaine manière, on peut dire qu’une grande partie du travail était déjà faite…
Votre fils joue aussi dans le film ?
Oui. C’est la petite histoire sous le tapis de ce que raconte le film, mais oui. Mon fils, les enfants de ma soeur ont joué dans le film. Et le père de mes enfants, Julien Chigot, a monté le film.
À l’image de ce que raconte le film, je crois que j’avais moi aussi besoin d’expérimenter ce mélange entre vie et travail. Je n’ai pas cherché à me préserver mais cela dans le seul et unique but de voir cette friction entre la réalité et la fiction nourrir le film. Profondément. Ce n’est pas une mince affaire de faire un métier de passion comme le nôtre, aussi dévorant, quand on a des enfants. Alors comment on s’en sort ? Pour ma part, peut-être effectivement en embarquant ma famille dans l’histoire. En choisissant de faire un cinéma de tribu, avec la famille mais aussi avec les gens qu’on aime et qui viennent se rajouter à votre "troupe". C’est un pari fou de tout mélanger pour ne rien sacrifier. Mais c’est aussi un immense plaisir. Et j’espère que cela rejaillit sur l’énergie du film.
Et le reste du casting ?
On a cherché partout, dans la compagnie de mes parents, dans le cinéma, dans le cirque, dans notre vie quotidienne, dans d’autres compagnies… On a fait le casting comme on constitue une troupe, avec des gens qui sont historiquement là, des gens qu’on rencontre sur le bord du chemin, des gens dont on tombe amoureux. J’ai choisi des gens qui ne collaient pas forcément aux rôles écrits au scénario mais dont je me suis dit que la puissance de la personnalité allait inonder l’histoire et l’aventure du film.
Et puis le scénario était très écrit, précis, dialogué – on a un plaisir des mots avec Catherine et Brigitte Sy (l’autre co-scénariste du film). J’ai donc aussi cherché des acteurs capables de mettre un coup de pied là-dedans, d’amener leur fantaisie et d’inventer à côté de ce scénario pour qu’il y ait une lutte sur le plateau.
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Mon opinion
Un film bruyant et brillant à la fois.
Le scénario peut dérouter, mais difficile de rester indifférent. Réalisatrice et scénariste, Léa Fehner connaît parfaitement la vie de ces troupes de théâtre ambulant. "J’ai eu envie de faire un film solaire et joyeux, mais joyeux avec insolence et âpreté. J’ai eu envie de filmer ces hommes et ces femmes qui abolissent la frontière entre le théâtre et la vie pour vivre un peu plus fort, pour vivre un peu plus vite." Le résultat est là, et réussi.
Au fil des scènes qui s'enchaînent il sera question d'amour, de trahisons ou de ruptures. De réconciliations, aussi. Tout paraît exagéré. Mais la grande force de ce film est de rendre chaque personnage tour à tour attachant, exaspérant, indécis, paumé, triste ou joyeux. Autant de situations dans lesquelles tous les acteurs font preuve d'un grand talent. L'ensemble du casting est parfaitement crédible.
De Marc Barbé éblouissant à la superbe Lola Dueñas. Le père, la mère et la sœur de la réalisatrice sont magnifiques. Concernant Adèle Haenel, la réalisatrice commente : "C’est un soleil cette comédienne. Avec autant de lumière que de puissance et de danger potentiel." Tout un talent qui devrait exploser, aussi, dans d'autres rôles. Patrick d'Assumçao, dans une simple participation est toujours parfait. À quand un grand rôle pour cet excellent acteur ?