Theme & argumentation morale

L’argumentation morale pour John Truby consiste à décrire pour le héros et son opposant certains moyens d’action que l’un et l’autre prennent pour atteindre un but. Cette argumentation n’est donc pas un débat, une joute verbale entre deux personnages, chacun tentant d’imposer à l’autre son propre point de vue sur une certaine moralité.
Il ne s’agit donc pas d’un prêche que fait l’auteur. Au contraire, la proposition dramatique que procure l’argumentation morale permet de tisser le thème dans la structure de l’histoire.
Raconter une histoire ne consiste pas seulement à poser une structure qui articulera du contenu. Le contenu que véhicule une histoire est aussi bien plus puissant que les mots et les phrases que vous pourriez faire dire à vos personnages.
Pour John Truby, ce contenu qui est votre histoire ne s’exprime jamais aussi bien que dans le thème.

Le thème de votre histoire n’est pas connu du lecteur au moment où débute celle-ci. Il va s’épanouir dans l’esprit du lecteur tout au long de l’histoire et dans le même mouvement, l’histoire va se resserrer vers une confrontation décisive, vers un aboutissement, vers une découverte morale sur soi-même et vers une décision morale selon John Truby.

Tout commence avec un héros et un opposant (ou antagoniste, ou adversaire). Vous placez ces deux objets en opposition (considérons qu’en tant qu’auteur, vous manipulez des objets un peu comme un jeu de construction).
Mais au début de l’histoire, le conflit n’est pas très intense et le lecteur n’a pas encore suffisamment de données pour comprendre ce conflit. Il ne sait pas encore pour chacun des objets qu’on lui donne à voir quelles sont les valeurs (ou attributs, ou qualités) et pourquoi elles entrent en conflit. Et comme le thème se définit par des valeurs conflictuelles, plus précisément par la dynamique qui se crée dans la confrontation de valeurs opposées (par exemple, votre thème est que l’amour l’emporte toujours, l’argumentation morale se construira autour de la binarité Amour/Haine), au début de l’histoire, cette dynamique ne s’étant pas encore ou partiellement exprimée, le lecteur ne peut encore appréhender le thème.

Au fur et à mesure que l’histoire avance, la structure (ou ossature) qui maintient le contenu (selon le point de vue de Truby) converge.
John Truby tente d’aller au-delà de la linéarité que procure un début, un milieu et une fin. Il cherche à découvrir une certaine vérité dans le mouvement interne d’une structure, d’où ce concept (ou idée) de convergence structurelle où les éléments dramatiques exposés entre le début et la fin convergent vers une finalité.

La montée en puissance du conflit entre le héros et son opposant permet de faire émerger une différence dans les valeurs exposées et bien que le thème soit encore brumeux dans l’esprit du lecteur, celui-ci portera progressivement un jugement de valeur dont la certitude s’établira avec force à la fin de l’histoire.

Le point de convergence de la structure est la confrontation qui permet une révélation du héros sur lui-même (un peu comme s’il ouvrait enfin les yeux) et une décision morale.
La confrontation est le mécanisme dramatique qui permet au lecteur de comprendre la teneur de votre message en découvrant quel est le jeu de valeurs qui est supérieur à l’autre. Par exemple, vous avez d’un côté le bien et de l’autre le mal. Le bien et le mal se définissent selon des critères et vous pouvez opter pour n’importe quel critère pour valoriser ce que sont le bien et le mal dans votre histoire.
La confrontation ultime révélera aux yeux du lecteur quel est le critère (entre le bien ou le mal) qui l’emportera et sa compréhension du thème commencera à se solidifier.
La découverte par le héros d’une vérité sur sa vraie nature (sur qui il est vraiment) permet au lecteur de développer encore davantage le thème et la décision morale que doit prendre le héros comme élément structurel nécessaire (selon Truby) renforce encore le thème.
Cette structure qui mène à et inclut une confrontation, une découverte et une décision est ce qui permet d’exprimer principalement le thème comme s’il ne s’agissait pas d’un énoncé (un sermon dit Truby) mais d’une découverte personnelle du lecteur.

Avant de continuer la lecture de cet article, nous vous conseillons de lire ou de relire :
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (1)
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (2)
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (3)

John Truby propose une stratégie dramatique permettant d’exprimer l’argument moral (c’est-à-dire une opposition morale débouchant sur une signification précise décidée par l’auteur). En voici les éléments structurels :

VALEURS :
Le héros nous est introduit avec un jeu de croyances et de valeurs.
Nous devons reconnaître que l’approche axiologique de Truby dans la caractérisation des personnages semble très intéressante.

DEFAUT MORAL :
Au début de l’histoire, le personnage principal fait souffrir les autres. Ce n’est pas qu’il soit méchant en soi, mais son défaut, sa faille dans sa personnalité le fait mal agir envers les autres ou bien il ne sait pas comment agir convenablement envers les autres.

BESOIN MORAL :
A ne pas confondre avec le désir (avec ce que veut le personnage principal dans cette histoire, sa mission en quelque sorte). Le besoin moral s’élabore à partir du défaut moral. Le héros doit apprendre à agir convenablement avec les autres afin de lui permettre de grandir, d’évoluer et de connaître une vie meilleure.

PREMIERE ACTION IMMORALE :
Pour montrer au lecteur la faille du personnage principal, celui-ci doit agir presque immédiatement d’une façon qui va blesser ou faire souffrir les autres. Au début de l’histoire, cette faiblesse du héros est ce qui le définit le mieux aux yeux du lecteur.
A lire :
L’ETHIQUE DES PERSONNAGES

DESIR :
Avec le désir est introduite la notion de sacrifice. Le héros s’est fixé un objectif pour lequel il est effectivement prêt à tout « sacrifier ».
La fonction essentielle du désir, élément dramatique structurel (sans lui, toute l’histoire s’écroule), est d’alimenter un antagonisme qui a le même objectif mais des valeurs différentes. Combattant tous deux pour le même objectif, ils sont soumis à une relation nécessairement conflictuelle.

MOTIVATION :
Le protagoniste et l’antagoniste sont tous deux motivés pour atteindre l’objectif. C’est-à-dire qu’ils vont décider et entreprendre une série d’actions pour atteindre le but.

D’AUTRES ACTIONS IMMORALES :
Le protagoniste n’en a pas fini avec les actes immoraux. Au cours de l’intrigue, l’opposant déclaré ou des opposants mineurs l’emporteront sur le protagoniste. Il éprouvera une certaine désespérance qui va l’inciter à commettre des actes immoraux pour changer le cours des choses.
Un motif récurrent se produit alors :
– Une critique
car les actions immorales auxquelles le héros se livrent sont discutables et les autres personnages ne manqueront pas de questionner les moyens qu’il emploie,
– Une justification
car le héros va tenter de justifier ses actions. Mais attention, à ce moment de l’histoire, il ne s’est pas encore révélé à lui-même. Il a certes rompus certains de ses engagements moraux. S’il a volé, c’est parce qu’il avait faim : c’est sa justification mais il n’est pas encore capable de raisonner sur la vérité profonde de sa situation. Il est encore incapable de comprendre comment faire pour qu’il n’est plus faim (et donc ne soit pas forcé par la situation à voler, ne serait-ce qu’une pomme).

 LA PREUVE PAR L’ALLIE :
L’ami le plus proche du protagoniste lui apporte la preuve irréfutable que ses méthodes sont mauvaises. Cette étape structurelle permet au personnage principal de préparer sa prise de conscience.

LA MOTIVATION DU HEROS DEVIENT DE PLUS EN PLUS OBSESSIONNELLE :
Souvent galvanisé par la découverte de nouveaux moyens  pour réussir son objectif, le personnage principal est prêt à tout, s’aveugle littéralement dans la poursuite de son but. Il est comme possédé par cette volonté incoercible, cette détermination à aller jusqu’au bout quel qu’en soit le prix à payer.

LES ACTIONS IMMORALES S’INTENSIFIENT :
La remise en question par le personnage principal lui-même de son identité, de ses valeurs, de ses idéaux, de ses croyances, de sa morale le conduit à commettre de nouvelles actions immorales.
Le schéma se reproduit :
– Critiques
Les attaques contre les décisions du héros sont plus incisives.
– Justification
Le héros se défend avec encore plus de véhémence.

Comme l’histoire évolue, les valeurs contradictoires et les modes de vie du héros et de son opposant deviennent clairs au travers de leurs actions et de leurs dialogues.
Puis le thème se fait jour dans l’esprit du lecteur en quatre nouvelles étapes structurelles :

  1. Confrontation
  2. Révélation personnelle
  3. Décision morale
  4. Révélation thématique

La confrontation est le conflit suprême qui sanctionne l’objectif. Que celui-ci soit remporté par l’un ou l’autre est de l’entière responsabilité de l’auteur mais ce qui importe pour le lecteur est qu’il apprend quelles sont les valeurs et les idées qui sont supérieures. Cette confrontation finale peut être accompagnée ou non d’une dernière action du protagoniste contre l’antagoniste (que cette action soit jugée morale ou immorale n’importe pas). Elle a lieu soit juste avant la confrontation soit au cours de celle-ci.

L’épreuve que constitue cette confrontation est si intense qu’elle produit une révélation chez le protagoniste. Il réalise qu’il se trompait sur lui-même depuis tout ce temps et qu’il avait tort vis-à-vis des autres personnages. Il sait maintenant comment agir comme il faut envers eux. Cela a l’air simple comme définition « Comme il faut » mais c’est bien de la vérité du personnage dont il s’agit. Un personnage qui est enfin en accord avec sa nature profonde, qui sait qui il est et par là, est dorénavant capable de relations sincères avec ceux qui l’entoure. C’est comme s’il avait enfin trouvé sa place dans le monde.
Et comme le lecteur par le jeu de l’empathie s’est identifié avec le personnage principal, cette révélation personnelle que ressent le personnage transporte alors le thème directement à portée de la compréhension du lecteur. Et comme le thème est ce qui explique cette révélation, le lien émotionnel entre le lecteur et le héros prépare le lecteur à recevoir le thème dans son entièreté.

Le héros doit choisir entre deux lignes de conduite. Il doit prendre une décision morale. Cette décision est la concrétisation de la révélation personnelle qu’il vient de connaître.

Pour John Truby, le thème a le plus grand impact sur le lecteur au moment de la révélation thématique. Cette révélation thématique dépasse les limites de l’histoire, va au-delà des personnages et offre un point de vue sur le monde, sur une conduite que l’on devrait tenir, sur ce que c’est que de vivre. Contrairement à la révélation personnelle qui concerne le héros de votre histoire, la révélation thématique est un processus qui se produit chez le lecteur.
Le lecteur comprend l’histoire, y voit toutes les ramifications de ce qu’elle signifie et pas seulement chez le personnage mais aussi chez le lecteur lui-même. On ne devrait jamais ressortir totalement indemne d’une bonne histoire.

Il est important aussi de maintenir un équilibre de puissance entre le protagoniste et l’antagoniste non seulement en tant que personnages, au niveau de l’intrigue mais aussi au niveau de l’argumentation morale.
En somme, les différents arguments que vous exposerez au travers du héros et du méchant de l’histoire devraient être de force égale, défendus avec la même vigueur. Parce que si le héros est trop fort, l’antagoniste ne pourra pas le pousser jusque dans ces derniers retranchements et si c’est le méchant de l’histoire qui est vraiment trop intelligent, vous allez affaiblir votre héros et le mettre dans des situations dont il ne pourra pas s’extirper sans intervention divine. Pire en fait que cela, votre héros prendra la figure de la victime devant un méchant qui le surpasse en tous points.