Date de sortie 30 mars 2016
Réalisé par Léa Pool
Avec Céline Bonnier, Lysandre Ménard,
Diane Lavallée, Valérie Blais, Pierrette Robitaille,
Marie Tifo, Marie-France Lambert
Genre Drame
Production Canadienne
Synopsis
Simone Beaulieu, devenue Mère Augustine (Céline Bonnier), dirige avec succès un petit couvent sur le bord du Richelieu au Québec. Passionnée, résiliente, Mère Augustine met toute son énergie et son talent de musicienne au service de ses élèves.Bonnier), dirige avec succès un petit couvent au Québec. Passionnée, résiliente, Mère Augustine met toute son énergie et son talent de musicienne au service de ses élèves.
Lorsque sa nièce Alice (Lysandre Ménard) lui est confiée, c'est non seulement une nouvelle pianiste prodige qui fait son entrée, mais aussi une jeune femme dont les aspirations sont au diapason de l'époque et qui rappelle à Mère Augustine un passé qu'elle avait cru mis de côté définitivement.
L’école, malgré sa petite taille, est un joyau musical qui rafle tous les grands prix de piano.
Les murs respirent la musique. Matin, midi et soir, du grand couloir à l'escalier principal, résonne un flot de gammes, d’arpèges, de valses de Chopin et de fugues de Bach.
Et à défaut de prier, on chante !
Mais lorsque le gouvernement instaure un système d’éducation publique au milieu des années soixante, l’avenir de Mère Augustine et de ses Sœurs semble menacé.
Céline Bonnier et Lysandre Ménard
Née en Suisse en 1950, à Soglio, Canton des Grisons, Léa Pool a émigré au Canada en 1975. Très vite, elle s’est dirigée vers le cinéma. Elle commence sa carrière en 1979 avec Strass Café.
Suivent, La Femme de l'hôtel, Anne Trister, À corps perdu, La demoiselle sauvage et Mouvements du désir, qui a décroché 8 nominations aux Prix Génie.
Emporte-moi a remporté plusieurs prix, dont le Prix Spécial du Jury œcuménique au Festival de Berlin et Lost and delirious a été présenté à plusieurs festivals.
Avec Le papillon bleu, elle réalise un premier film pour la famille. Par la suite, il y aura le long métrage Maman est chez le coiffeur avec Céline Bonnier et La dernière fugue, adapté du roman, Une belle mort, de Gil Courtemanche.
Léa Pool a également réalisé plusieurs documentaires pour la télévision, dont Gabrielle Roy qui a remporté le Prix Gémeaux du Meilleur Documentaire. Depuis 1989, Léa Pool a reçu plusieurs hommages et rétrospectives de son oeuvre à travers le monde. La réalisatrice travaille actuellement sur deux autres projets de film, un documentaire et une fiction, dont l’adaptation du roman de Sophie Bienvenu, Et au pire on se mariera.
Entretien avec la réalisatrice Léa Pool relevé dans le dossier de presse.
À l’origine de La passion d’Augustine, il y a la scénariste Marie Vien…
Oui, c’est elle qui a écrit la première version de cette histoire. Son scénario était très documenté et fourmillait d’idées – elle-même a été pensionnaire dans un couvent quand elle était jeune. Elle a alors fait appel à moi pour deux choses. D’abord pour l’aider à structurer ce matériau scénaristique qui manquait un peu de forme. Ensuite pour le mettre en scène.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette histoire ?
Deux choses m’ont tout de suite interpelée. La musique, parce que j’y ai toujours accordé beaucoup d’importance dans mes films. Et mettre en scène un univers entièrement féminin. C’est tellement exceptionnel d’avoir quarante rôles féminins dans un film !
Et puis j’étais intéressée par cette époque de la fin des années soixante au Québec, que je n’ai pas connue personnellement. Quand je suis arrivée au Québec en 1975, j’ai été fascinée par la liberté qui y régnait. Je suivais des études en communication dans une université très progressiste où les professeurs et les étudiants se tutoyaient, la musique et le théâtre étaient en pleine effervescence, le nationalisme aussi, avec des gens comme René Lévesque qui donnaient l’espoir à un peuple d’avoir un pays… Et puis j’ai appris qu’à peine six ans plus tôt, la religion avait encore une emprise incroyable sur la population, tout le monde souffrait d’une éducation très rigide, c’était un peu l’âge des ténèbres ! Ce changement tellement profond de la société avait été si rapide que j’ai été étonnée que ce sujet n’ait pas encore été traité de l’intérieur. Ce que permettait justement le scénario de Marie Vien, en se plaçant du point de vue d’une petite communauté religieuse. Car ce sont vraiment les écoles religieuses de filles qui ont été les premières touchées par ces bouleversements sociétaux, notamment par la laïcisation de l’enseignement. Les curés ont pu garder leurs écoles de garçons beaucoup plus longtemps.
Soeur Augustine a-t-elle été inspirée par une personne réelle ?
Marie Vien avait une professeur de piano qu’elle aimait beaucoup et qui, je crois l’a inspirée mais je ne pense pas qu’il reste énormément de cette femme-là dans le film. Elle a juste été l’étincelle qui lui a donné envie d’écrire ce scénario.
L’originalité de l’histoire est que les religieuses de ce couvent sont pour la plupart progressistes. Notamment soeur Augustine qui, paradoxalement se bat pour les valeurs mêmes qui vont mener à la perte son école.
Cette idée était déjà là dès la première version du scénario de Marie et j’y ai tout de suite adhéré. On tombe trop souvent dans le cliché de la religieuse rigide et rétrograde. Beaucoup d’entre elles étaient au contraire des personnes d’exception, très libres et avant-gardistes. Au Québec – mais je pense que c’est un peu pareil en France –, les plus grands hôpitaux, en particulier les hôpitaux pour enfants ont été fondés par des soeurs. Ainsi que les grandes écoles de musique. Elles étaient des bâtisseuses et ont apporté beaucoup de choses au niveau social et culturel. La plupart avaient des idées de gauche, des positions très affirmées face au monde, à la pauvreté. Souvent, elles entraient en religion car elles n’avaient pas envie de se marier, d’avoir des enfants, de se couler dans le moule de la femme au foyer. A l’époque, les écoles laïques existaient déjà mais principalement pour les garçons. Pour les femmes, ces couvents étaient donc vraiment le lieu d’émancipation où elles pouvaient étudier, faire de la musique, devenir infirmière en chef, voyager...
Soeur Lise est néanmoins moins moderniste…
Certes, Soeur Lise ne supporte pas les changements et enseigne le français de façon extrêmement rigide mais en même temps, c’est une passionnée de la langue française. Et puis en découvrant son parcours personnel, on comprend peu à peu ses peurs. À l’opposé, il y a la religieuse syndicaliste qui parle de "cheap labour".
Ces deux femmes couvrent le champ de ce qu’étaient ces communautés, où des femmes rétrogrades côtoyaient des femmes de la gauche progressiste.
La scène où une sœur un peu fantasque fait cirer le parquet en rythme par les jeunes pensionnaires est symptomatique de votre désir d’injecter sans cesse de la fantaisie et de l’humour dans cette histoire…
Cette soeur est particulièrement extravertie mais dans le fond, cette scène est véridique... Là encore, j’avais envie de me départir de l’image fausse de la religieuse coincée et montrer que ces femmes étaient souvent très drôles. C’était important pour moi d’oser cet humour à côté de choses plus dramatiques. Le montage de Michel Arcand a été primordial pour tisser musicalement ces humeurs diverses, pour rendre cette histoire vivante.
Peut-être que j’étais la bonne personne pour faire ce film aussi parce que je n’avais pas d’animosité envers ce monde religieux puisque je n’avais pas subi ce moment pénible où il occupait trop de place. J’avais de la bienveillance envers ces femmes-là, le film ne porte pas de jugement sur elles.
Et les flash-backs ?
Il fallait connaître un minimum le passé d’Augustine pour comprendre son parcours et lui donner de l’épaisseur. Elle n’est pas entrée en religion par la question religieuse mais par la musique, qui a été salvatrice pour elle à un moment difficile. Ce que l’on apprend sur elle est extrêmement minime mais essentiel pour comprendre son côté rebelle, que l’on retrouve chez sa nièce.
On a tendance à filmer les religieuses comme une communauté, un bloc… La Passion d’Augustine réussit à les singulariser.
Oui, chacune a sa personnalité. Quand mon directeur artistique a lu le scénario, il était inquiet : "Elles ont un visage mais pas de corps. Comment vas-tu inscrire leur personnalité et leur identité à chacune ?".
Son interrogation a allumé une petite lumière en moi qui m’a guidée, notamment au moment du casting. La plupart des rôles adultes sont tenus par des actrices aux visages assez singuliers et dont j’étais sûre du talent. Elles sont très connues au Québec, mais, hormis Céline Bonnier – qui joue Soeur Augustine –, davantage par le théâtre ou les shows télé que par le cinéma. Et dans le registre de la comédie. En peu de mots et de temps à l’écran, elles réussissent à exprimer une sensibilité, à être reconnaissables.
Le cœur du film, c’est d’abord filmer des visages et des mains. Cet enjeu a t-il modifié votre rapport à la mise en scène ?
C’est sûr que j’avais besoin d’être plus proche des actrices que d’habitude mais pas non plus en trop gros plan car elles étaient peu ou pas maquillées. Et puis je ne voulais pas que le film soit trop claustrophobe. La nature était donc importante, il fallait maximiser sa présence, en faire un espace de liberté, une ouverture conquise peu à peu par ces soeurs. J’ai été beaucoup inspirée par le peintre Jean-Paul Lemieux pour les scènes de neige. Je voulais partir de l’hiver pour aller vers un dégel progressif, jusqu’à l’éclosion du printemps. Le film raconte aussi le dégel d’une société.
Où avez-vous tourné ?
Les extérieurs à Saint Jean sur Richelieu et les intérieurs dans un couvent à Saint Jacques, dont les six dernières soeurs partaient pour une maison de retraite appartenant à la congrégation le jour même où l’on y entrait. Il y a eu une sorte de passation très touchante.
Votre expérience du documentaire vous a-t-elle servi à rendre si prégnants cette époque et ce couvent ?
Je dis toujours que le documentaire nourrit mes fictions et vice-versa. Plus ça avance, plus j’ai vraiment besoin de l’un et de l’autre. La matière de base de Marie était déjà très riche. Elle avait fait beaucoup de recherches et d’interviews, lu des journaux de soeurs… Des expressions comme "vous avez vos permissions" par exemple, je ne les aurais pas trouvées. Mais de mon côté aussi, j’ai ressenti le besoin de me documenter, de visionner des choses, de regarder des photos… Et puis j’ai été secondée par mon directeur artistique, qui connaissait bien cette époque. Tout ça mis ensemble donne effectivement un film assez documenté.
Le choix de filmer les jeunes filles en train de réellement jouer du piano renforce la dimension documentaire du film…
Au départ, j’ai commencé par rencontrer de jeunes comédiennes qui savaient tout juste jouer du piano. Je me disais que cela suffirait, qu’on tricherait un peu. Mais après quelques auditions, je me suis rendu compte que ça allait être tellement difficile et ennuyeux de devoir à chaque fois faire un autre plan sur les mains d’une vraie pianiste. J’ai donc complètement changé de direction et j’ai été cherché dans des écoles de musique. Au final, aucune des jeunes filles n’est comédienne, mais musicienne ! Et il n’y a pas une image trichée dans le film. On passe du visage aux mains, on revient sur le visage, tout ça de manière très fluide car mon premier assistant caméra est lui-même musicien. Il était capable de devancer le mouvement des mains, de sentir quand elles allaient partir à droite sur le piano. Céline Bonnier, c’est aussi elle qui joue.
Dans le film, la spiritualité ne passe pas tant par la religion que par la passion de la musique.
Oui, ce n’est pas du tout un film sur la religiosité mais sur la spiritualité qui s’exprime par la musique. Et aussi par le sens de la solidarité de cette communauté qui se tient les coudes, défend ce qui lui tient à cœur.
Comment avez-vous choisi les morceaux de musique classique ?
De manière assez collégiale avec Marie Vien, avec l’une des comédiennes qui était en examen et proposait des morceaux qu’elle connaissait déjà car elle n’aurait pas le temps d’en apprendre d’autres et avec le directeur musical François Dompierre. Par ailleurs, des morceaux pour moi étaient vraiment au coeur de l’émotion que je voulais exprimer : Enée et Didon de Purcell pour la scène de dévoilement et le chant russe assez grave qui renvoie au passé d’Augustine.
Et Bach revisité par le jazz ?
Dans le scénario, il était écrit qu’Alice improvise mais comme Lysandre Ménard a une formation hyper classique, ce n’était donc pas fait pour elle, et François Dompierre lui a écrit une partition de jazz, qu’elle a appris comme un morceau de classique.
François a aussi composé le chant autour de Schubert et le morceau à quatre mains interprété lors de la conférence de presse.
À partir d’un milieu et d’un sujet très particuliers, vous faites un film universel et actuel sur l’émancipation…
Quand on parle aujourd’hui du port du voile et de la burka, la problématique n’est effectivement pas très différente. Ces femmes musulmanes sont aussi aux prises avec la religion et une habitude de se couvrir qui les rassure. Pour nous occidentaux, cette pratique rabaisse la femme et moi-même, je suis pour qu’elle disparaisse mais il ne faut pas oublier que l’accession à cette libération nécessite tout un chemin. Ce geste n’est pas anodin.
Cette scène de dévoilement est mise en scène de manière moins réaliste que le reste du film…
Cette scène était importante, il ne fallait pas passer à côté et j’y ai beaucoup réfléchi. Au départ, je la voulais encore plus graphique, avec juste des bouts de voiles enlevés et qui tombent. Mais plus j’avançais et plus je me disais qu’il y avait quelque chose de plus fondamental à exprimer, et surtout de moins froid. J’ai filmé avec une seule source de lumière, dans laquelle j’ai demandé aux comédiennes de venir en leur disant précisément quoi faire : "Tu te tournes lentement, tu enlèves la première épingle…" Tout était très chorégraphié, elles étaient prisonnières de leur corps et des gestes que je leur demandais d’effectuer mais leurs émotions leur appartenaient, elles pouvaient décider de ce qu’elles ressentaient. Pierrette Robitaille a notamment beaucoup pleuré et quand je lui ai demandé ensuite pourquoi elle avait éprouvé une telle charge, elle m’a répondu : "C’est comme si on m’arrachait la peau." Après coup, j’ai appris dans un entretien qu’elle a donné à un journal que son père et sa mère étaient des religieux défroqués. Ils avaient ôté leur habit pour se marier, et donc lui donner la vie…
Beaucoup de vos films parlent de l’émancipation féminine…
C’est sûr que cela fait partie de mes préoccupations. Faire du cinéma quand tu es une femme est déjà un acte d’émancipation. En tout cas, c’était le cas il y a trente ans. Aujourd’hui, il y a plus de femmes. Et encore, pas tant que ça…
Mon opinion
Un film inclassable. À la fois délicat et virulent dans certains propos, avec pour cadre le Canada des années 60. Québec en particulier. La photographie et l'éclairage sont remarquables. La réalisation très sage se met au diapason de ce que devait être la vie d'un pensionnat pour jeunes filles à cette époque.
Si certaines situations semblent dérisoires de nos jours, il n'est guère difficile de se laisser emporter par la musique qui côtoie, ici, la vie des ces religieuses dont on apprend, pour certaines, les causes réelles de leurs engagements. "Des femmes rétrogrades côtoyaient des femmes de la gauche progressiste." déclare la réalisatrice.
De jeunes virtuoses, face à ces religieuses en charge de leur éducation, verront tout un enseignement mis à mal par une série de réformes politiques. Dans l'éducation plus précisément.
Il est également question de l'émancipation féminine. À ce sujet Léa Pool déclare "C’est sûr que cela fait partie de mes préoccupations. Faire du cinéma quand tu es une femme est déjà un acte d’émancipation. En tout cas, c’était le cas il y a trente ans. Aujourd’hui, il y a plus de femmes. Et encore, pas tant que ça… "
Les actrices sont toutes remarquables.
L'ensemble des jeunes pensionnaires, passionnées de musique bercent le film avec, entre autres, les musiques de Beethoven, Chopin, Bach, Mozart. De purs moments d'enchantement.