Un personnage sympathique

Doit-on vraiment apprécier le personnage principal pour apprécier l’histoire ? Peut-on vraiment s’investir dans un personnage que nous méprisons ?
Il est certain que Luke Skywalker et Elliot dans E.T. bénéficient d’une cote d’amour non négligeable. Ce qui permet de nous intéresser à ce qu’ils leur arrivent et nous nous surprenons à espérer qu’ils réussiront dans leurs objectifs respectifs.
Ils sont innocents, ils ont du cœur et débutent leur histoire avec un déficit. Ils ne sont pas encore prêts à affronter ce qui les attend mais il est certain qu’ils vont se battre pour ce qu’ils considèrent être juste.
Ce type de personnage est enclin à attirer sur lui une sympathie immédiate et durable.

Mais que penser de Joe, le saxophoniste de Certains l’aiment chaud ?
Il nous est présenté comme un mufle, il joue, il ment, dort où il peut et nous avons la nette impression qu’il ne pense qu’à lui-même.
Et Richard dans Little Miss Sunshine ? Il est introduit comme un coach débutant, pathétique et égoïste envers sa famille.
Et malgré cela, l’histoire fonctionne.

Pourquoi un personnage serait-il antipathique pour commencer ?

La réponse est dans l’arc dramatique. En effet, cet arc décrit une sorte de processus d’individuation, d’une  prise de conscience progressive des éléments contradictoires et conflictuels de la psyché afin de mûrir ce qui en fiction revient à devenir l’être complet que le personnage aspire à être (selon sa vraie nature) mais qu’il n’est pas au début de l’histoire.

Cette transformation intérieure consiste à passer d’un état initial déficitaire à un état de complétude au fil des épreuves, des obstacles et des leçons que le personnage principal apprend de ses erreurs au cours de l’histoire.
Afin de devenir meilleur, il est nécessaire que le personnage fasse preuve d’imperfections pour commencer. Il faut bien que l’arc dramatique s’appuie sur quelque chose pour dessiner sa courbe.

Lorsqu’il nous est présenté, le personnage principal est donc affublé d’une faille dans sa personnalité. Cet attribut n’est généralement pas créé au moment de l’histoire. Il prend racine dans le passé du personnage (son enfance, par exemple). Il se traduit dans les comportements, les attitudes, les postures vis-à-vis d’autrui ce qui permet de montrer au lecteur des indices sur la personnalité de ce personnage pour lequel nous sollicitons sa sympathie (ou plutôt l’empathie).

Le besoin implicite de changer pour connaître enfin le bonheur consistera la plupart du temps pour le personnage principal à surmonter ce défaut dans sa personnalité.

Comment faire glisser le lecteur vers l’empathie ?

D’abord, les problèmes intimes de Richard et Joe ne sont pas foncièrement mauvais. Ils n’en ont d’ailleurs pas même conscience. Ils font de la peine aux autres, se comportent immoralement envers les autres mais il n’y a pas d’intention de faire le mal.

Ils ne sont pas particulièrement puissants non plus. Comme nous le disions, ils ne sont pas vraiment armés pour lutter à armes égales avec un monde intrinsèquement inhospitalier.
Partant de ce constat, le comportement égoïste dont ils font montre est soudain atténué dans l’esprit du lecteur qui commence à comprendre le personnage, à s’identifier à son comportement. Il est d’ailleurs plus facile pour le lecteur de reconnaître des attitudes (qu’il partage ou pourrait partager) justifiées par des failles qui sont à sa portée, beaucoup plus accessibles que les motivations d’un serial killer ou d’un tyran (on est effectivement plus proche de Maximus que de Commode).

Maintenant si vous montrez que le personnage est apte à changer, qu’il y a effectivement l’espoir d’une transformation intérieure, vous allez vous faciliter la tâche pour créer de l’empathie.
Comment y arriver ?
Simplement en contrebalançant la faille par des forces contraires. Si nous sentons que le personnage a les moyens de lutter contre ses faiblesses, alors nous aspirerons à ce qu’il y parvienne. Considérez Richard : c’est un bosseur, il a une vision des choses, il est passionné par ce qu’il fait. Cette énergie qu’il déploie (illustrée par les qualités que nous venons de lister) est suffisante pour que le lecteur croit qu’il peut y arriver et il va espérer qu’il y arrive. Le lien empathique est en place.

Une autre technique est d’adjoindre au personnage principal un compagnon qui force la sympathie. Généralement, celui-ci est très proche de  l’archétype Emotion tel que l’a décrit la théorie narrative Dramatica.
Cet archétype Emotion représente des motivations de Feeling et Uncontrolled selon la terminologie de Dramatica.
Feeling pointe vers une perception hautement émotionnelle des choses. Le personnage ne raisonne et résonne que par son ressenti immédiat. Il est en fait gouverné par ses passions. La façon qu’il explique le monde, le cheminement de ses pensées et sa façon de résoudre ses problèmes sont basés sur les émotions. Il ne se soucie guère si les choses sont efficientes ou même pratiques tant qu’il se sent bien avec. Cette caractéristique du Feeling chez un personnage le rend particulièrement empathique envers les autres ou envers une situation. Il sera par exemple très sensible à l’ambiance particulière d’un environnement beaucoup plus que les autres personnages présents.
Feeling correspond à la manière d’approcher les choses.
Uncontrolled qui accompagne souvent Feeling est le comportement, l’attitude du personnage. Uncontrolled définit d’une manière générale le comportement. C’est quelqu’un qui est très spontané, qui réagit au quart de tour, guidé qu’il est par ses passions, ses émotions, ses sentiments. C’est un personnage qui fait feu de tout bois éparpillant son énergie dans toutes les directions, ce qui souvent ne le mène nulle part. C’est un personnage libre.

Ces éléments de psyché (Feeling & Emotion) chez un personnage ont l’avantage de le rendre immédiatement sympathique aux yeux du lecteur. Comme ce personnage est très lié au personnage principal, cela facilite l’acheminement de l’empathie vers votre héros.
Par exemple, dans Little Miss Sunshine, la petite Olive est adorable et comme son père, Richard, est un personnage clef dans le succès de la gamine dans cette histoire, on est poussé à l’apprécier aussi à travers ses efforts pour venir en aide à Olive.

La technique, en fait, consiste à montrer qu’il y a quelque chose de bon enfoui dans le personnage, même s’il nous est montré sous un mauvais jour. Ce sera plus facile ensuite de faire accepter ce mauvais jour tout en préservant une possibilité d’amélioration.

Mais alors comment considérez Michael Corleone ? On ne peut moralement accepter qu’il devienne un parrain de la mafia, pas plus qu’il tue froidement ou qu’il mente à Key.
Le coup de génie ici n’est pas de juger les actes de Michael mais de comprendre pourquoi il agit ainsi. Ce n’est pas parce que  l’on n’a pas ce que l’on attendait que notre investissement dans l’histoire doit en pâtir. Il est encore trop tôt pour la frustration.
Ce qui compte est que nous nous impliquions pour ou contre quelque chose. Nous trouvons Michael Corleone sympathique parce que nous avons compris et identifié ses motivations et le lien empathique se remet en place.

L’empathie peut se poser soit sur les actes, soit sur les raisons de ces actes. Michael nous est présenté comme un héros de guerre et ce n’est pas accidentel. Tout doit être voulu dans un scénario. On nous montre aussi que ses intentions ne sont pas de devenir le parrain. Lorsque Key découvre de quoi est composée la famille de Michael, il lui réponds que c’est sa famille mais ce n’est pas lui.

Alors qu’est-ce qui cause le revirement de Michael ? Ce n’est pas la cupidité, ni la colère, ni un fond méchant. Michael plonge dans le crime parce que quelqu’un a tiré sur son père. C’est une question de vengeance et de survie. Mais par quoi s’explique cette nécessité de vengeance : pour l’amour du père. C’est une véritable  motivation partagée avec le lecteur qui est tout à fait capable de la comprendre. Cette compréhension est le premier pas vers l’empathie. Et elle restera accrochée à Michael Corleone parce que nous avons vu le potentiel pour le bien en lui et que nous comprenons ses raisons.

Si les exigences de votre histoire parent votre personnage principal d’une antipathie indécrottable, vous pourriez alors rechercher l’empathie non pas envers le personnage mais envers le but qu’il s’est fixé dans cette histoire. Un objectif noble n’attire généralement pas  l’opprobre. Nous voyons bien que Richard, le père d’Olive, cherche sincèrement à l’aider et bien que sa démarche peut paraître moralement suspecte, nous comprenons qu’il veut l’aider et la noblesse de ce geste compense pour le déficit empathique que ces actions ont creusé.

Il existe aussi une autre possibilité pour rendre moins antipathique votre personnage principal qui consiste à créer des personnages encore plus antipathiques. Ainsi par comparaison, vous atténuez le rejet de votre personnage et pouvez mieux justifier les actes immoraux qu’il pourrait accompllir.

Un dernier mot et non des moindres : le personnage central est un concept structurel. Habituellement, les auteurs recherchent à établir une connexion entre le lecteur et leur personnage, mais c’est une convention. Si vous estimez que votre antagoniste mérite davantage l’attention sur un plan au moins émotionnel, rien n’interdit de jouer autrement avec les habitudes narratives.
Considérez Fargo, par exemple, des frères Cohen : il est très difficile d’établir un lien émotionnel avec Jerry et encore moins de lui trouver des raisons valables pour ses actions.
Marge Gunderson qui est sans conteste l’antagoniste de cette histoire rencontre par contre la sympathie et l’empathie du lecteur bien qu’un lien se soit créé aussi avec Jerry mais ce lien est négatif. Ce qu’il importe, comme nous l’avons dit, n’est pas que la relation que vous établissez entre votre personnage principal et votre lecteur soit positive ou non, ce qui est nécessaire est qu’elle existe.