Marie et les naufragés

556159.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx« Le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs » écrivait le critique André Bazin. Celui que propose Sébastien Betbeder aux spectateurs est un monde de poésie, une bulle de douceur qui fait la part belle à la fantaisie, un univers fait d’improbable, où souffle un vent de liberté revigorant. L’impensable côtoie le possible, l’inspiration se trouve à un arrêt de bus, l’amour au détour d’un cimetière, l’amitié lors d’un concert de rock, l’aventure dans un bistrot qui sert de « planque », la créativité au large de l’île de Groix…  Nos envies de promesse, d’insouciance, de bonheur et d’optimisme prennent alors vie sous la caméra bienveillante de Sébastien Betbeder (qui nous avait déjà régalés avec le génial 2 automnes 3 hivers).

Le cinéaste nous invite au voyage à travers l’histoire de Marie et les naufragés.
« Marie (Vimala Pons) est dangereuse » a prévenu Antoine (Eric Cantona). Ce qui n’a pas empêché Siméon (Pierre Rochefort) de tout lâcher, ou plus exactement pas grand-chose, pour la suivre en secret. Oscar (Damien Chapelle), son co-locataire somnambule et musicien, et Antoine, le romancier en mal d’inspiration, lui ont vite emboîté le pas. Les voilà au bout de la Terre, c’est-à-dire sur une île. Il est possible que ces quatre-là soient liés par quelque chose qui les dépasse. Peut-être simplement le goût de l’aventure. Ou l’envie de mettre du romanesque dans leur vie…

Aventure, romanesque, imprévu, folie douce, exotisme… autant d’ingrédients réunis dans le nouveau film de Sébastien Betbeder, bel et bien envoûtant. Mais plutôt que d’user des superlatifs pour dire tout le bien de ce film, laissons la parole au réalisateur.

Des Films et des mots : On retrouve dans Marie et les naufragés le même esprit joliment décalé que  2 automnes 3 hivers, ce même charme un peu désuet, ces mêmes personnages marginaux qui semblent évoluer dans un espace qui leur est propre. On se laisse chaque fois porter par vos histoires sans vraiment savoir où vous nous emmenez mais en étant en totale confiance et la curiosité piquée au vif. Quelles sont vos sources d’inspiration?
Sébastien Betbeder : Elle me vient surtout au moment de filmer! Je fonctionne souvent de la même manière : je pars d’abord du réel, de mon rapport au monde. J’ai le souci de faire des films qui s’inscrivent dans leur époque, à l’image d’un certain cinéma qui m’anime et que je respecte. Je sais ce que je dois aux cinéastes de la Nouvelle Vague. Resnais par exemple, dont j’admire la capacité à relever des défis, à concevoir le cinéma comme ludique, à diriger ses acteurs, à se soucier du récit… Il y a quelque chose d’expérimental chez lui, dans le bon sens du terme, que l’on retrouve aussi chez Rivette et Truffaut. J’aime également le cinéma indépendant américain, en particulier Jude Apatow ou les frères  Duplass, qui ont inventé la « dramédie », un concept que l’on retrouve souvent dans mes films. L’idée qu’une comédie puisse dériver vers le registre dramatique me plaît beaucoup.
La littérature anglosaxone, tels les romans de David Foster Wallace, m’influence aussi. Je me nourris de la construction non linéaire d’un roman pour structurer mes films, allant même jusqu’à la mise en abîme. Je trouve qu’il est important que plusieurs formes d’art puissent se faire écho.

DFDM : En parlant de structure, on retrouve là encore quelques éléments communs à vos précédents films : trois personnages principaux (même si dans Marie…, le personnage d’Oscar mériterait son propre chapitre), le chapitrage, un travail autour du verbe et des répliques, une ambiance bohème… Comment l’expliquez-vous?
S.B : La littérature me fascine autant que le cinéma! D’où ce souci des dialogues très écrits, comme s’il s’agissait d’objets littéraires. J’aime que les mots employés par les personnages ne soient pas forcément ceux du quotidien mais que leur sens soit extrêmement pensé. Je réfléchis à la sonorité, au registre de paroles des personnages, à l’utilisation de la voix off que j’utilise par opposition à ce qui est montré à l’image. Le fait de construire un film autour de chapitres dédiés aux personnages principaux me permet des va-et-vient, de multiplier les angles de vue, de nourrir le récit et de ne pas l’enfermer dans une temporalité trop marquée.

DFDM : Vous avez évoqué votre envie initiale de faire un film dans lequel « les personnages feraient eux-même avancer l’intrigue », comme s’ils étaient libres d’auteur. Quelle place prend l’écriture dans vos films? Y a-t-il une place pour l’improvisation?
S.B : Plutôt que de parler d’improvisation, je préfère le terme d’adaptation. Mes scénarios sont toujours très écrits : j’ai besoin de prévoir la fin d’une scène avant même de la tourner. C’est ce qui me permet d’envisager le film dans sa globalité, de visualiser la façon dont il avance, de travailler les jonctions entre les scènes, d’évaluer le rythme… Marie… a été composé comme une partition. Les dialogues sont très écrits, mais avec toujours la possibilité d’un « autre possible » permettant d’ajuster le texte, une idée, un regard. Il y a eu plusieurs ajustements lors du tournage du film, en particulier lors des scènes comiques, où c’est l’instantané qui prime.

DFDM : Un film composé comme une « partition », différentes formes d’art qui se font écho (le personnage d’Antoine est écrivain, Oscar et Cosmo sont musiciens, la scène finale est dansée). La musique est quasiment un personnage à part entière dans votre film. Parlez-nous de votre collaboration avec Sébastien Tellier.
S.B : J’avais à coeur que la musique de Marie... soit une musique omniprésente, avec des références au cinéma des années 1970-80, dans la veine de ce que composait Ennio Morricone (Les Incorruptibles, Pour une poignée de dollars…).  A travers le personnage d’Oscar, qui réussit à créer « une musique à la fois triste et dansante », j’envisageais une musique aux accents mélancoliques sur laquelle on puisse se mouvoir, avec une certaine récurrence. J’ai alors contacté Sébastien Tellier, qui a composé la bande son sans voir les images du film. Chacun doit pouvoir fantasmer le film, se l’approprier et donner libre cours à son imagination, à sa créativité. Nous avons travaillé ainsi, à distance, mais dans une cohérence presque magique! Il émane de cette collaboration un grand sentiment de liberté, que j’espère le public ressentira dans la musiquette et dans le film. Car même si celui-ci est concentré sur son époque, avec des peines et des tracas universels – le chômage, la rupture amoureuse, le deuil… -, je tenais à montrer des personnages résolument positifs, qui croient encore à l’amour, à l’amitié, à la possibilité d’être libres de ses propres choix et de ses actes.
C’est d’ailleurs pour ce la que le film est écrit sans réel début ni fin. On a accompagné les personnages pendant le film puis on les quitte, les laissant vivre leur vie. Que va-t-il se passer ensuite? Tout reste à écrire!

Sortie le 13 avril 2016.