Le Juif Süss ("Intolérance")

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Genre : drame (interdit aux - 12 ans)
Année : 1940
Durée : 1h38

L'histoire : L'ascension politique de Süss Oppenheimer, riche francfortois devenu ministre du Duc Charles Alexandre

La critique :

En 1916, D.W. Griffith réalise une superproduction (pour le moins) polémique. Son nom ? Intolérance. Si le film suscite l'admiration et les louanges de certains cinéastes de l'époque, il obtient à l'inverse des critiques peu enthousiastes. Pis, le long-métrage est même taxé de raciste et d'oeuvre colonialiste. La réponse de D.W. Griffith ne se fera pas attendre. Il signe Naissance d'une Nation en réponse à ses nombreux contempteurs. Déjà à l'époque, le cinéma est un outil de propagande.
Et c'est ce qu'ont parfaitement compris Hitler et Goebbels, fans du Septième Art. L'objectif est d'amadouer les foules et de produire plusieurs films à caractère xénophobe et antisémite. Le Juif Eternel (Fritz Hippler, 1940), Le Triomphe de la Volonté (Leni Riefenstahl, 1935) ou encore Le jeune hitlérien Quex (Hans Steinhoff, 1933) sont autant d'oeuvres propagandistes.

Vient également s'ajouter Le Juif Süss, réalisé par Veit Harlan en 1940. Cette oeuvre est souvent considérée comme le film le plus antisémite de toute l'histoire du cinéma. Un film choc donc et évidemment polémique. Pourtant au moment de sa sortie, Le Juif Süss obtient un immense succès, pas seulement dans son pays (donc l'Allemagne nazie), mais à travers toute l'Europe avec plus de vingt millions de spectateurs dans le continent. Encore aujourd'hui, le long-métrage suscite à la fois les ferveurs et les quolibets de la profession. Certains cinéastes, entre autres Stanley Kubrick et Michelangelo Antonioni, sont panégyriques. A l'inverse, d'autres critiques le fustigent de diverses acrimonies.
Après la Seconde Guerre Mondiale, Le Juif Süss subit les foudres de la censure et les avanies du monde occidental. 

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Le long-métrage est nûment interdit en Suisse avant de connaître le même sort dans toute l'Europe par la suite. Le réalisateur Veit Harlan est sommé de s'expliquer. Il subit plusieurs procès successifs. Certes, il est lavé de toute culpabilité mais le cinéaste est prié de se faire oublier, donc de disparaître totalement de l'univers cinématographique. L'interprète principal du film, Ferdinand Marian, subira peu ou prou le même sort. C'est lui qui joue le rôle de Joseph Süss Oppenheimer, donc du "Juif Süss".
Certes, ce personnage va le rendre célèbre dans toute l'Allemagne nazie. Paradoxalement, peu avant la sortie du film, il récuse ce rôle et le film qu'il juge contraires à ses opinions politiques. Mais sous la pression de la propagande, il accepte le rôle principal. Après la Seconde Guerre Mondiale, l'acteur voudra s'expliquer et même s'excuser publiquement.

Il sera tancé et prié de sombrer (lui aussi) dans l'oubli. Ferdinand Marian ne s'en remettra jamais. En 1946, il meurt à l'âge de 43 ans. A l'origine, Le Juif Süss est l'adaptation d'un roman de Lion Feuchtwanger. Lorsque l'histoire rejoint à la fois la propagande et la littérature... Dès l'introduction du film, les intentions de Veit Harlan, sous l'égide de Goebbels, sont éloquentes.
Le Juif Süss serait tiré d'une histoire vraie. Attention, SPOILERS ! À Stuttgart en 1733, un juif ambitieux, Süss Oppenheimer, devient le ministre des Finances du faible duc de Wurtemberg. Il parvient à s'infiltrer dans l'État grâce au prêt usuraire. Les notables refusent au duc les financements d'un opéra, d'un corps de ballet et d'une garde ducale et c'est Süss qui avance l'argent nécessaire.

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Pour compenser ses dettes, le duc confie à Süss l'administration des routes du duché et les péages. Ceci provoque un renchérissement des denrées alimentaires, puis la spoliation directe des administrés parmi lesquels un forgeron du nom de Bogner. Aujourd'hui encore, le film fait l'objet de nombreuses analyses. Certes, tout le monde est d'accord pour taxer le long-métrage d'antisémite.
Difficile de prétendre l'inverse tant les insultes sont nombreuses. Le Talmud est même gourmandé de "livre satanique". Quant à l'aspect physique du Juif Süss et de ses prosélythes, le ton est volontairement outrancier et caricatural à l'excès : une chevelure longue et bouclée, des yeux maléfiques, une barbe (postiche) apposée sur un menton crochu et une allure légèrement courbée...

Quant aux intentions du Juif en question, le film nous présente ce "héros" (vraiment un terme à guillemeter) comme un personnage fallacieux, séditieux, pusillanime, rusé et opiniâtre, prêt à tous les subterfuges et toutes les couardises pour parvenir à ses fins. Son objectif final serait de transformer le territoire de Wurtenberg en une nouvelle terre israëlite. Pour y parvenir, il obtient les ferveurs d'un duc qui brille surtout par son ingénuité. Oeuvre scandaleuse, Le Juif Süss est également chapitré de film antiféministe. Sur ce point précis, les (nombreux) contempteurs du film se leurrent.
Les femmes ont des rôles assez secondaires dans le film. Certes, par certaines allocutions, on comprend que Joseph Süss Oppenheimer multiplie les conquêtes sexuelles, dont l'épouse du duc. Les femmes sont également utilisées dans un esprit de lucre et de conquête. Guère plus.

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En l'état, difficile réellement de parler d'une oeuvre antiféministe. En revanche, on retrouve en effet une conception nazie de l'Etat. Le Juif ne doit pas être seulement chassé et finalement pourchassé. Il doit être pendu et éliminé. Il constitue (pour le film hein...) une grande menace pour la Nation. Or, le véritable responsable de la destruction du territoire de Wurtenberg, ce ne sont pas accointances et les nombreuses perfidies du Juif en question, mais justement la faiblesse du pouvoir en place.
Le duc se laisse facilement appâter et flagorner. Déjà à l'époque, le film pointe et morigène nos hommes politiques, incapables d'entendre et d'écouter la voix du peuple, et obéissant à des forces incoercibles, en particulier ceux du pouvoir et de l'argent ; telle une régence despotique et mercantile.

Même certains contempteurs du film de Veit Harlan reconnaissent malgré tout son caractère assez complexe, en dépit des apparences. Evidemment, le caractère encore une fois antisémite est inexcusable. Oui, Le Juif Süss est bel et bien une oeuvre de propagande au discours insupportable. Mais à travers son histoire, le cinéma a exalté d'autres films, aujourd'hui considérés comme de grands classiques, à l'effigie de son art et en oubliant parfois (souvent) leur discours comminatoire, à l'image du fameux Intolérance
Lui aussi transmet une idéologie raciste, douteuse et colonialiste. Pourtant aujourd'hui, le film est unanimement considéré comme un chef d'oeuvre. Dans le cas du Juif Süss en particulier, il s'agit plutôt de s'interroger sur la doxa dominante. Car en matière de mise en scène, de technicité et de virtuosité, Le Juif Süss est souvent considéré comme un parangon du noble Septième Art.
Je le répète, mais encore aujourd'hui, le film suscite l'admiration des plus grands cinéastes. 
Ici, l'art se retrouve associé à la propagande. Une propagande pernicieuse dans les deux cas (nazie ou celle érigée par certaines de nos élites cinématographiques).

Note :

sparklehorse2 Alice In Oliver