Une comédie d’espionnage à l’humour joyeusement débridé. Un joli doigt d’honneur à la bien-pensance.
Au fil des années, on a définitivement perdu espoir en Louis Leterrier. Parangon du yes-man à l’américaine, sa mise en scène ostentatoire et paradoxalement peu inventive s’est démontrée au service des modes d’Hollywood, copiant sans les comprendre le style de réalisateurs (notamment avec Insaisissables, mélange pseudo-malin de la magie nolanienne et du cool soderberghien), voire de classiques du cinéma (son abrutissante et hérétique version du Choc des Titans). Mais alors, pourquoi son dernier opus, Grimsby – Agent trop spécial, se révèle particulièrement efficace ? Tout simplement parce qu’il est moins un film de Louis Leterrier qu’un film de Sacha Baron Cohen, dans la lignée de ses comédies trash (Borat, Brüno, The Dictator). Encore une fois, l’acteur-producteur se donne le beau rôle de loser stéréotypé, prenant ici la forme de Nobby, beauf de la classe ouvrière anglaise, oscillant entre la bière et le foot, sa dizaine de gamins et sa femme obèse (Rebel Wilson). Cependant, la connerie du personnage cache sa situation d’orphelin, qui a dû se séparer de son petit frère Sebastian (Mark Strong, mordant d’autodérision) durant l’enfance. Celui-ci a eu une vie plus chanceuse, qui l’a amenée à devenir le meilleur espion du MI6. Retrouvant son frangin après des années de recherches, Nobby provoque catastrophe sur catastrophe, au point de devoir partir en cavale avec Sebastian, tout en déjouant un complot jamesbondien. Les références sont évidentes et en cela, Grimsby ne diffère pas tant de la vague de parodies du cinéma d’espionnage, qui questionne plus ou moins subtilement les mécaniques et les acquis du genre (Kingsman, Spy, voire Code U.N.C.L.E.). Mais très vite, la film préfère se torcher avec le classe et le style que ses comparses conservent ou pastichent, et les troquent contre une franche vulgarité jouissive, qui prend le pari d’aller encore plus loin qu’Austin Powers.
Si l’on sait que Louis Leterrier peut posséder une mise en scène efficace à défaut d’être recherchée, elle a eu jusqu’alors du mal à s’exprimer, principalement à cause de l’indigence des scénarios qu’on lui confie. Ainsi, peut-être pour la première fois de sa carrière, le réalisateur se trouve heureusement canalisé par la folie de Baron Cohen et la fluidité d’un script qui a la bonne idée de foncer à toute allure en moins d’une heure trente. En témoigne cette surprenante introduction en vue subjective, ouverture vive et brutale qui traduit la mécanique des actions de Sebastian, et du fantasme de l’espion en général. Néanmoins, Leterrier ne s’est pas soudainement transformé en Matthew Vaughn (faut quand même pas déconner…), et le reste du métrage souffre d’un montage assez insipide basé sur des scènes filmées en multi-angles. Le résultat n’est pas sale pour autant, mais semble entrer en contradiction avec la quête d’une identité cinématographique unique qu’a toujours désiré Sacha Baron Cohen. Les vraies idées de Grimsby sont donc à chercher du côté de l’humour très visuel de son acteur, notamment dans des choix de cadrages qui laissent appréhender les débilités bien trash du duo principal. Sachant faire monter la sève, l’intéressé retrouve la verve et l’agressivité qui lui avait manqués sur The Dictator, ose les blagues les plus dégueulasses et les plus scatophiles sans aucun temps mort, allant même jusqu’à en répéter certaines (on retiendra tout particulièrement deux plans comprenant une balle et du sang infecté par le sida).
Ainsi, Grimsby se rapporte avant tout à son personnage principal, dans un hommage à une beaufitude assumée en réaction à une certaine bien-pensance. Baron Cohen tacle aussi bien l’hypocrisie des ONG que les magouilles de la FIFA, les grands de ce monde soi-disant propres sur eux qu’il met en opposition à une crétinerie sincère. Nul doute que l’acteur, beaucoup plus que son réalisateur, y distille une critique envers un Hollywood de plus en plus calibré. C’est alors que l’on se rend compte que malgré ses défauts, Grimsby est une anomalie réjouissante dans le paysage cinématographique américain, la preuve que la machine à rêves est encore capable d’oser risquer de gros budgets pour des projets aux revendications punks. Une occasion pour Baron Cohen d’intégrer toutes ses obsessions habituelles, à commencer par la notion de pénétration, quelle que soit sa forme. S’il est ouvertement régressif, le film n’en est que plus jubilatoire, mettant en images des scènes qu’il pourrait choisir de contourner. Non, le métrage fonce droit dans sa connerie la plus décomplexée, et compense les rires qu’il nous manque dans nos chères comédies françaises aseptisées et vaines. Pour quelqu’un qui s’est toujours perçu comme un artisan du cinéma, Louis Leterrier vient enfin de rendre justice à ce rôle, en livrant un pur ride à l’efficacité redoutable, du cinéma d’exploitation ne s’embarrassant que du plaisir immédiat de son spectateur, qui ressort de la salle le sourire jusqu’aux oreilles. Pour sûr, Grimsby est de loin son meilleur film.
Réalisé par Louis Leterrier, avec Sacha Baron Cohen, Mark Strong, Penelope Cruz…
Sortie le 13 avril 2016.