[DVD] Le Douanier Rousseau ou l’éclosion moderne : les loisirs sacrés de la lumière réelle

Publié le 14 avril 2016 par Rémy Boeringer @eltcherillo

À l’occasion de l’exposition temporaire Le Douanier Rousseau ou l’éclosion moderne, qui a débuté le 22 mars 2016 et s’achèvera le 17 juillet 2016, le Musée d’Orsay, en collaboration avec les éditions Arté, édite un DVD éponyme qui revient sur la carrière du peintre controversé. A la lisière de l’ancien et du nouveau, à l’origine du cubisme, Henri Rousseau a défini malgré-lui les bases de l’Art Moderne. Raillé en son temps, son art qualifié de naïf, ne l’était peut-être pas temps. Cela mérite une explication.

Henri Rousseau (1844-1910) s’est consacré sur le tard, la quarantaine passée, à l’art pictural. Issu d’une famille bourgeoise de la classe moyenne, il est mis en pension après la faillite de son père. Ayant dérobé 20 francs à son patron, alors qu’il est commis d’avocat, il est condamné à un an ferme de prison qu’il évite en s’engageant pour sept ans dans l’armée, en 1863. Marié deux fois, avec Clémence Boitard et Joséphine-Rosalie Nourry, deux fois veuf, il sera le père de neuf enfants dont huit mourront en bas-âge. Marqué par la vie, il abandonne son poste de commis à l’Octroi de Paris pour se consacrer à la peinture, ce dont il avait toujours rêvé. Ses premiers tableaux, exposés au Salon des Indépendants, provoque la raillerie mais certains comme Delaunay, Picasso, Jarry ou Apollinaire lui reconnaissent un talent certains et deviennent des amis proches.

Moi-même, portrait paysage (1890)

Lorsqu’il expose pour la première fois, au Salon des Indépendants, dont le public est pourtant ouvert aux excentricités et aux nouveautés, où aucun prix n’est remis et auquel aucun jury ne préside, Henri Rousseau devient la risée du tout Paris artistique. On le moque pour ses traits enfantins. Dans tous les journaux, les critiques d’art se pâment de son innocence et de l’absence totale de technique dans son art. C’est qu’Henri Rousseau, malgré sa volonté évidente, est bien en mal de retranscrire une quelconque perspective dans ses tableaux, alors même qu’il se gargarise de rendre la réalité mieux que quiconque. Tous les aspects des scènes qu’il décrit sont sur le même plan. D’abord paysagiste puis portraitiste, il occasionne l’étonnement en réalisant des portraits en plein air où les personnages sont plus grands que les décors. Avec la curiosité et l’émerveillement d’un enfant, il prend plaisir à peindre les évolutions techniques de son époque et nombre de ses tableaux mettent en scène des aéroplanes et des villes industrielles de banlieue. Malgré les quolibets, dans lesquelles il voit toutefois des signes de considérations, il collectionne dans un carnet, toutes les coupures de presse le concernant, alors qu’elles sont, pour la plupart, très vexantes. Rousseau considère qu’il est incompris, car il a un génie qui n’est pas de son temps. Son autoportrait intitulé Moi-même, Portrait-paysage donne par son intitulé une idée de la haute idée qu’il se fait de lui-même.

Le rêve (1910)

Sur les bords de la Seine, son personnage dépasse en hauteur la Tour Eiffel. L’histoire lui donnera raison. Des artistes modernes qui deviendront majeurs reconnaissent en sa peinture les prémisses de quelque chose de fondamentalement nouveau ainsi qu’une spiritualité poétique immanente qui échappe au premier regard mais qui nous étreint diffusément. Son travail va d’ailleurs, peu à peu, s’éloigner d’un réalisme patenté mais maladroit, pour s’orienter vers des œuvres plus oniriques. Alors qu’il n’a jamais voyagé au-delà de la région parisienne, contrairement à ce qu’affirme son ami Guillaume Apollinaire à propos de voyages au Mexique, Rousseau se met à peindre des jungles luxuriantes. C’est au Jardin des Plantes qu’il trouve son inspiration. Sa manière de ne pas poser de perspective donne à ses tableaux des airs de songes suspendus. On ne peut réduire son art à une expression naïve. Adepte de spiritisme, convaincu que les spectres hantent son pinceau, saisi parfois d’effroi lorsqu’il peint des choses inquiétantes, Rousseau exprime la part de magie qui habite les lieux les plus simples. Dans de nombreux tableaux, la seule source de lumière est une lune blanche de plein jour qui couvre le monde d’une lumière irréelle. Dans Le rêve, par exemple, une femme nue, Eve au jardin d’Éden, dont le serpent quitte la scène, est plongée dans un paradis éternel par les mélodies d’un charmeur que l’on ne distingue pas au premier regard et qui, pourtant, est la clé pour comprendre le tableau et en saisir pleinement la portée symbolique.

La bohémienne endormie (1897)

La bohémienne endormie représente la quintessence de sa fibre imaginaire. Ce magnifique tableau représentant une bohémienne endormie dans le désert sans qu’aucune trace de pas ne marque son passage, à la merci d’un lion tout droit sorti de sa psyché, , semble perdu dans un ailleurs intemporel. La postérité de cette œuvre se retrouve jusqu’à Dali qui déclara s’en être inspiré. Sur la fin de sa vie, la bonhomie de ses paysages se mua en scène de carnage, où les carnassiers mettent à mort leurs proies. On ne peut s’empêcher d’y voir l’obsession du peintre appauvri pour sa propre subsistance. Guerre marque toute l’horreur qu’il éprouva lors de la guerre de 1870 contre la Prusse, véritable guerre moderne, qui se conclura par le massacre des communards par les traîtres versaillais. À sa mort, Apollinaire écrivit cette épitaphe émouvante :

«  Gentil Rousseau tu nous entendsNous te saluonsDelaunay sa femme Monsieur Queval et moiLaisse passer nos bagages en franchise à la porte du cielNous t’apporterons des pinceaux des couleurs des toilesAfin que tes loisirs sacrés dans la lumière réelleTu les consacres à peindre comme tu tiras mon portraitLa face des étoiles »

Guerre (1894)

Abattu à boulet rouge par la critique de son époque, Henri Rousseau qui consacra le reste de sa vie à la peinture après l’avoir consacrée à ses deux amours, est devenu une référence pour des générations de peintre moderne. Nous ne pouvons que vous conseillez, si vous le pouvez, de vous rendre à cette exposition du musée d’Orsay qui rend hommage à ce grand précurseur, ou à défaut, de vous procurer le DVD de l’exposition.

Boeringer Rémy

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