Au centre de la scene

Le centre d’une scène n’est pas à proprement parler au milieu de la durée d’une scène. Le centre a cela d’abstrait qu’il consiste en un champ de possibilités entre l’ouverture de la scène et la fin de celle-ci.
Le centre d’une scène est l’espace où l’expression dramatique et le conflit se déploie (indépendamment de la durée de la scène).
Il y a cependant un piège avec le centre d’une scène. Celui-ci a un fort pouvoir d’attraction d’emmener l’auteur vers des ornières narratives dans lesquelles le lecteur risque au mieux de se perdre, au pire de s’ennuyer.

Lorsque le lecteur est accroché dès le début de la scène, ce qui suit sera le terrain sur lequel cette accroche sera mise à l’épreuve. Et cette épreuve sera de faire monter les enchères, d’ajouter des complications.
Vous devez compliquer la vie de vos personnages et vous devez le faire là où le lecteur peut le voir, c’est-à-dire dans les scènes. Faire monter les enchères consiste non seulement à augmenter ce qu’il y a à gagner pour l’un des personnages mais aussi le risque qu’il prend s’il échoue.

Ce qu’il a à gagner ou à perdre est une question de valeurs : fierté, foyer, un amour véritable… En insistant sur les valeurs qui sont en jeu dans la scène, vous créez de l’anticipation, vous donnez du sens et vous ajoutez un suspense de bon aloi pour l’élan propre de la scène. Et vous entraînez le lecteur dans le mouvement.

Insister sur les valeurs revient à bousculer durement vos personnages, leur arracher ce à quoi ils tiennent le plus, leur refuser le moindre de leurs désirs et parfois même les tuer afin de préserver la tension dramatique. Par contre, cela a l’avantage de permettre à votre lecteur de s’investir davantage dans la scène, de s’engager émotionnellement avec les personnages.

Qu’est-ce qu’une fiction ?
C’est avant tout un problème à résoudre ou une situation dont les tenants et aboutissants doivent être compris d’ici la fin de l’histoire.
Par exemple, une jeune fille tombe enceinte, elle est abandonnée par sa famille et son amant, tombe dans la prostitution avant de trouver la voie vers une rédemption spirituelle.
Parallèlement au problème majeur de l’histoire (autrement dénommé Story Goal), des problèmes de moindre importance (qui constituent autant d’intrigues secondaires ou bien des tournants majeurs de l’histoire (ou nœuds dramatiques)) avec leurs propres conséquences feront l’objet de scènes qui mises bout à bout illustreront le Story Goal, l’intrigue principale.

Il devrait y avoir une intention dans chaque scène, c’est-à-dire un aspect du problème de l’histoire qui sera mis en avant dans une scène spécifique. L’idée qui sous-tend l’exécution d’une scène est une expérience pour le lecteur. Et cette expérience s’ajoute soit à la jouissance qu’il tire de l’histoire, soit à la frustration.

Reconsidérons l’exemple de la jeune femme abandonnée de tous et sans ressource. Une des tâches à accomplir est de montrer la situation désespérée de la protagoniste dans quelques scènes claires et surtout non ambiguë quant à ce que nous cherchons à faire comprendre au lecteur.
Notre héroïne a besoin de trouver de la nourriture et un abri afin de réfléchir à peu près sereinement à sa situation et comment en sortir. Cette première scène décrit son intention, sa motivation qui viendront nourrir les scènes suivantes.
Son désir, son but est de trouver un endroit et de faire quelque chose qui vont lui permettre de se rapprocher de son objectif (trouver le moyen de sortir entière de sa situation).
Nous avons maintenant besoin d’une scène pour montrer que les premières décisions de notre personnage ne sont pas les bonnes. Au fil de ses errances, elle aboutit dans un bar miteux. Gardez à l’esprit que les lieux dans lesquels vient se glisser un personnage ne sont jamais gratuits : ils portent en eux le reflet de l’intériorité d’un personnage ou sont l’écho d’une situation, de circonstances. Donc insistez bien sur l’aspect crasseux de ce bar pour traduire une exacte atmosphère en harmonie avec la situation sinon ce qui se passe dans la scène et là où cela se passe risque de détonner et l’information sera mal perçue.

A lire :
QUESTION DE TON

Pourquoi notre héroïne a t-elle besoin d’un tel lieu ? Parce qu’elle s’est convaincue que dans un tel endroit, elle va pouvoir attirer le regard des hommes et que pour le moment, c’est la solution la plus probable, la plus immédiate pour la tirer momentanément d’affaire.
Elle prend une décision d’urgence dans une situation urgente.

La scène qui va suivre doit prendre le lecteur à contre-pied. Alors qu’on s’attend à des regards biaisés, des remarques désobligeantes et quelques quolibets salaces, rien de tout cela ne se produit.
Les actions décrites ne seront que d’indifférences. Il s’agit bien d’actions, ne cherchez pas à remplir par du dialogue. Les comportements et attitudes des clients et du serveur doivent suffire à expliquer ce qui se passe après que notre héroïne ait pénétré dans le bar.

Maintenant, elle est là, toute recroquevillée sur un tabouret de bar, effrayée, manquant d’assurance. Puis un homme à l’aspect minable s’approche d’elle et votre intrigue peut commencer.
Peut-être cet homme lui fait une proposition indécente, pas très acceptable mais elle est suffisamment désespérée pour la considérer.
C’est là où le centre de la scène prend toute sa dimension. Les choses se compliquent pour elle : l’enjeu est qu’elle a maintenant quelque chose à perdre (son intégrité, sa moralité, son corps…) en échange de ce qu’elle a besoin d’obtenir : de l’argent, de la nourriture, un abri.
Par cette complication ou ce dilemme, le lecteur s’engage avec le personnage. Il se crée un suspense, une anticipation et le lecteur veut connaître ce qui va se passer ensuite.

Ce qui se passera ensuite, vous pourriez être enclin à vouloir préserver votre héroïne et faire en sorte que ce personnage s’avère en fin de compte être un homme bon. Mais Non ! vous devez continuer à pourrir la vie de votre protagoniste.
Par contre, rien ne vous empêche de travailler l’arc dramatique de cet homme afin qu’il aide votre personnage principal mais ce sera lors du dénouement de votre histoire. Pour le moment, les complications doivent continuer, le centre de la scène n’est décidément pas le lieu où cet homme doit être montré comme un saint. Les scènes ont besoin de tension dramatique afin de mettre en branle leur pouvoir de tiraillement sur le lecteur.

Le schéma d’une scène pourrait se résumer à :

  1. Intentionnalité
  2. Complication
  3. Conséquence

Par exemple, l’intention de votre héroïne dans cette scène est de trouver un abri et de la nourriture. Elle choisit bien mal de se rendre dans un bar mal famé (anticipation d’une complication chez le lecteur). Alors, elle rencontre un homme qui semble vouloir l’aider.

La séquence continue par :
Intention : votre héroïne veut saisir sa chance auprès de cet homme (elle pense qu’il peut l’aider à résoudre son problème).
Complications : l’homme est mauvais voire un criminel.
Conséquence : la jeune femme frappe l’homme avec une bouteille de bière et s’enfuit.

Et ainsi de suite…
Une scène (ou une séquence) a un temps de fiction spécifique. Ce temps correspond à une série d’événements logiquement liés. Ne vous préoccupez donc pas si votre séquence semble trop longue tant que les événements décrits font sens avec votre intrigue.
Les complications comme nous venons de les décrire sont un moyen dramatique de maintenir l’attention du lecteur sur le devenir de votre personnage. En fin de compte, c’est ce but que vous devriez rechercher en tant qu’auteur.