[Avant-première] Les malheurs de Sophie ou de l’Education

Publié le 18 avril 2016 par Rémy Boeringer @eltcherillo

Les malheurs de Sophie, onzième film de Christophe Honoré, voit le cinéaste, adepte des beaux mots, adapter un grand classique de la littérature enfantine. Le film reprend quasiment, mots pour mots, les dialogues de l’œuvre originale mais, paradoxalement, vide souvent les scénettes écrites par la Comtesse de Ségur, de leur substance morale et de leur vocation à éduquer. Un choix qui plonge la première partie dans un ennui bourgeois avant de nous rendre plus empathiques pour les malheurs de la petite fille, le récit adoptant une posture plus universelle. La candeur du jeu des jeunes acteurs ravira, de toute manière, les plus jeunes d’entre nous. Nous avons pu voir le long-métrage qui sortira le 20 avril, en avant-première.

Sous la Restauration, Sophie (Caroline Grant), jeune aristocrate, vit une enfance heureuse, seulement perturbée par ses caprices de petites filles gâtée et les facéties de son cousin Paul (Tristan Farge). Sa mère, Madame de Réan (Golshifteh Farahani que l’on a vu dans Exodus : Gods and Kings), tourmentée par son prochain voyage aux États-Unis, abandonne souvent son éducation au père Huc (Michel Fau que l’on a vu dans 9 mois ferme et Marguerite) et se montre un peu laxiste. La voisine, Madame de Fleurville (Anaïs Demoustier que l’on a vu dans Au fil d’Ariane, Une nouvelle amie, La ritournelle, Caprice et A trois on y va) entretient de bon rapport avec les Réan et amène souvent ses filles, Camille (Céleste Carrale) et Madeleine de Fleurville (Justine Morin), de véritables petites filles modèles. A ce joli petit monde vient s’adjoindre la présence de Madame de Rosbourg (Marlène Saldana), une veuve vivant au château des Fleury et de sa fille, Marguerite (Aélys Le Nevé). Tout se passe bien jusqu’à ce que Sophie perde successivement ses deux parents d’une manière tragique et que sa belle-mère, Madame Fichini (Muriel Robin) prenne en charge son éducation.

Marguerite (Aélys Le Nevé), Madeleine (Justine Morin), Sophie (Caroline Grant) et Camille (Céleste Carrale)

Les malheurs de Sophie selon la Comtesse de Ségur sont composés de petites aventures assez courtes débouchant toujours sur une leçon de morale à destination des jeunes lecteurs que Madame de Réan donne avec une juste miséricorde, pardonnant facilement, mais n’oubliant jamais d’expliquer sa faute à Sophie. C’est un pan entier, important, de l’œuvre que Christophe Honoré semble quasiment passé sous silence. Les domestiques sont là comme faire valoir du calvaire que leur fait subir la jeune gamine insupportable, mais sa mère présente et absente à la fois, vaporeuse, soit lui pardonne aisément, soit se complaisant dans la misère supposée de sa riche existence. Ce personnage de la mère est tout bonnement rendu insupportable avec ces considérations de bourgeoise oisive auxquelles il est impossible de s’identifier. Pendant un long moment, les bêtises de Sophie ne prêtent pas plus à sourire, cette enfant mal élevée, appelant sa bonne à tout beau de champs, n’attirent pas la sympathie et attise notre agacement. D’autant plus que ses agissements réellement cruels ; elle torture des animaux (lesquels sont animés pour ne pas rendre les images trop violentes); ne sont jamais punis à leur juste mesure. On se demande d’ailleurs pourquoi Honoré a édulcoré les leçons de morale si c’est pour choisir les nigauderies les moins pardonnables et les moins drôles de Sophie. Avant l’arrivée de la marâtre Madame Fichini, Les malheurs de Sophie produisent donc une drôle d’impression, où les domestiques totalement aliénés sont la caution d’un monde qui nous reste totalement étranger voire fortement désagréable par son caractère fictif.

Madeleine (Justine Morin), Camille (Céleste Carrale), Sophie (Caroline Grant) et Paul (Tristan Farge)

Les malheurs véritables de Sophie, pas ceux qui impliqués par ces caprices d’enfants, rendent le personnage empathique. C’est alors que Sophie, de petite héritière prétentieuse trompant son ennui, se transforme en petite fille universelle dans laquelle on peut commencer à se reconnaître. Ses énormes défauts deviennent des actes de saine rébellion. Douée d’un verbe qu’on ne lui connaissait pas, d’un sens de la répartie hors-norme, la voilà, devenue chantre d’une résistance intelligente à la tyrannie de sa belle-mère. L’histoire, racontée par Madame de Fleury, laisse entendre que les enfants ne sont probablement que le reflet de l’éducation de leurs parents. Délaissée par ses parents, sans autre repères que celle d’une bourgeoisie sclérosée, la petite Sophie ne fait finalement que reproduire la condescendance de sa mère. Face à l’injuste traitement que lui réserve sa belle-mère, à l’opposé du laisser-aller qu’elle connaissait avec sa mère, elle s’affirme alors plus mature. Revenant à la matière première de la Comtesse de Ségur, Christophe Honoré met en avant le juste milieu que représente Madame de Fleury dans l’éducation de ses enfants, ferme quand il le faut mais n’ayant pas peur de se montrer tendre. Il est amusant de noter que le jeune Paul lit Émile ou de l’Éducation qui par bien des aspects retrouve des analogies dans Les malheurs de Sophie où la liberté de l’enfant doit primer sur les brimades et où la surprotection est néfaste, comme pour rappeler que Madame de Fleury a sûrement lu Rousseau.

Madame Fichini (Muriel Robin) et Sophie (Caroline Grant)

De ce réveil de Sophie, qui finit par canaliser sa colère en de sains combat, on pouvait noter les prémisses dans les aventures qu’elle inflige à sa poupée, trompant le rôle prédéterminé que l’on impose aux jeunes filles pour faire de cet avatar, une véritable aventurière. Pour conclure, il faut noter les prestations magiques, débordantes de sincérité de la joyeuse troupe d’enfant qui semblent s’éclater devant la caméra et que le cinéaste met en avant comme personnage principaux. Les adultes restent secondaires. Certains, comme le jardinier Joseph (David Prat) incarne des entités bienveillantes, d’autre comme le garde-chasse sont inquiétants dans l’imaginaire des enfants. Malgré des hésitations dues à la première partie laborieuse du long-métrage, prenant sens si l’on considère l’ensemble, force est de constater que Les malheurs de Sophie ont fini par nous toucher.

Boeringer Rémy

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