Un grand merci à Blaq Out pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « Nous venons en amis » d’Hubert Sauper.
« Ils veulent nous imiter mais je ne suis pas certain qu’ils en soient capables. Il doit bien y avoir une raison pour qu’ils aient 200 ans de retard »
Après Le cauchemar de Darwin, Hubert Sauper nous embarque dans une vertigineuse aventure au cœur du plus grand pays d'Afrique. Divisé en deux nations, le Soudan est devenu une proie de choix que se disputent avidement les plus grandes puissances: la Chine et les Etats-Unis. Et sous couvert d'amitié, les vieux démons du colonialisme et de la domination étrangère ressurgissent !
« Quelle tristesse... Un si grand pays sans intelligence pour l’exploiter »
Réalisateur et journaliste autrichien (mais vivant en Bourgogne), Hubert Sauper s’est bâti une solide réputation dans le domaine du documentaire. Depuis près de vingt ans, il sillonne ainsi le monde, et plus particulièrement l’Afrique, pour dénoncer les ravages de la mondialisation sur les territoires et les populations. Après « Loin du Rwanda » (1997), il accède à la reconnaissance publique en 2004 avec « Le cauchemar de Darwin », nommé à l’Oscar du meilleur documentaire. Centré sur l’introduction à des fins commerciales d’une espèce de poisson dans le lac Victoria qui finira pas détruire toutes les espèces endémiques, le film dénonce les méfaits de l’homme voulant maitriser et rentabiliser la nature ainsi que les trafics et la corruption liés à la mondialisation, et en particulier le trafic d’armes. Dix années après le succès du « Cauchemar de Darwin », il nous revient avec « Nous venons en amis », documentaire centré sur la naissance de l’état du Soudan du Sud. Présenté dans de nombreux festivals prestigieux, tels Venise ou Sundance, le film a notamment été récompensé lors du Festival de Berlin.
« Le Soudan du Sud est un pays qui a un besoin immense d’aides. Il n’y a pas de honte à gagner de l’argent en même temps. »
Plus grand pays d’Afrique, le Soudan et les richesses de son sous-sol furent au cours des siècles l’objet des convoitises des grandes puissances étranges (égyptiens, romains, arabes, français, anglais...). Mais, du fait de populations très disparates et antagonistes (musulmans au nord, chrétiens au sud), le pays a vécu au rythme d’incessantes guerres civiles depuis son indépendance en 1956. Avec en point d’orgue la crise du Darfour au cours des années 2000. Ces guerres ont finalement abouti à la scission, en 2011, du sud du pays qui, par son indépendance, devient la plus jeune nation du monde. Un évènement dont Sauper se sert comme point de départ pour présenter le pays comme un immense front pionnier. Un espace vierge et sauvage à aménager. Un énorme gâteau qui attise forcément l’appétit du reste du monde. Tout le talent de Sauper et l’intérêt de son documentaire reposent sur sa façon de présenter et de dénoncer le comportement des étrangers qui affluent dans ce pays reculé officiellement pour participer au développement économique de cette jeune nation. Tous se disent bien évidemment animés de bonnes intentions. Alors qu’en fait, chacun cherche à importer et imposer sa culture, son savoir-faire pour profiter des richesses du pays et asseoir son influence. Chinois, Américains, Anglais se livrent ainsi une guerre économique qui ne dit pas son nom pour se tailler la part du lion dans le pays. Sauper, lui, joue des contrastes pour justifier son propos et dénoncer le néocolonialisme des grandes puissances, en montrant notamment la coexistence de deux mondes, l’un traditionnel et pauvre (les villageois qui vivent nus dans leur hutte) et l’autre moderne et riche (tels les chinois dans leur complexe pétrolier). On reste ainsi ébahit par les propos de tous ces expatriés, sans retenu et ouvertement condescendants envers ce pays et sa population, qui marchent main dans la main avec la classe politique locale, corrompue et prête à vendre le pays aux plus offrants. La palme de l’hypocrisie revenant peut-être aux religieux de tous bords, qui, animés par des « bonnes intentions », s’occupent d’apporter des vêtements pour lutter contre la nudité des autochtones et des bibles à énergie solaire plutôt que d’apporter de l’eau et de la nourriture dans un pays frappé gravement par la famine. Bien sûr, on pourra se dire que la vision de Sauper, qui sélectionne ses images et ses interlocuteurs sans lui-même apporter le moindre commentaire, est forcément parcellaire et partiale. Mais on se dit que, au-delà de son simple aspect corrosif, ce qu’il nous montre doit tout de même être très proche de la réalité. Et c’est encore cela qui est le plus flippant.
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