Le jeune Jonás Cuarón se jette dans le grand bain avec un survival brutal et nihiliste.
Neuf ans après son premier film Año Uña, drame mexicain composé uniquement de photos accompagnées d’une voix-off, Jonás Cuarón s’attaque aux choses sérieuses avec Desierto. Produit par son père Alfonso Cuarón, le film raconte le voyage épuisant d’un groupe d’immigrés mexicains tentant de traverser illégalement la frontière pour se rendre aux Etats-Unis. En plein cœur du désert de Sonora, le groupe devient la cible d’un homme accompagné de son terrible chien, bien décidé à les éliminer un par un pour « défendre son territoire ». Pour cette co-production franco-mexicaine, on retrouve le toujours excellent Gael Garcia Bernal ainsi que Jeffrey Dean Morgan, assez terrifiant en raciste impitoyable. En s’attaquant au genre du survival, le fils a donc décidé de marcher dans les pas de son père, pour lequel il avait co-signé le scénario de Gravity.
Si la comparaison parait inévitable, il serait toutefois injuste et maladroit de juger Desierto à l’aune de la claque Gravity, le chef-d’œuvre absolu de son père Alfonso Cuarón. En effet, là où le survival spatial du papa s’imposait comme l’œuvre terminale d’un maître arrivé au sommet de son art, Desierto quant à lui est une entrée bien plus modeste dans le même genre. Tout l’exploit du fiston est ainsi de s’être trouvé une véritable identité filmique tout en développant une filiation évidente avec son paternel. En effet, point de plans-séquences démentiels ici au profit d’une réalisation plus simple et percutante à base de caméra-épaule immersive et de cuts violents. La première scène de massacre est à ce titre absolument sidérante, à la fois chaotique et d’une extrême précision dans son orchestration de la violence. Comme conscient de l’ombre du père, Jonás Cuarón se différencie ici par un style sec et nerveux, renouant avec la mise en scène épurée des classiques du genre tels que Délivrance et Duel. Si le jeune cinéaste partage néanmoins une qualité indiscutable avec le cinéma de son père, c’est bien sa faculté à faire passer énormément de choses uniquement par les agissements des personnages dans l’action, ce qui constitue l’essence même du survival. Comme il était déjà question dans Gravity, tout ici n’est que pure mise en scène, traduisant ses thématiques et ses personnages uniquement à travers l’action ininterrompue d’un récit en ligne droite qui ne laisse pas le temps au spectateur de reprendre son souffle.
La principale force du film réside ainsi dans la simplicité de son récit, dépouillé de tout artifice pour atteindre une forme d’épure de plus en plus rare aujourd’hui. Jonás Cuarón l’a bien compris, il est inutile de surligner son propos lorsque les enjeux du film contiennent déjà en eux-mêmes une puissante dimension allégorique. En filmant la fuite désespérée d’un groupe de clandestins traqué par un redneck xénophobe qui applique sa propre justice, le cinéaste n’a pas besoin d’appuyer ses thématiques pour déployer la puissance politique et existentielle de son sujet. A travers cette traque éprouvante, le film se fait ainsi le reflet d’une actualité brûlante où la question de l’immigration est centrale. Tout ceci s’intègre naturellement à la mise en scène sans jamais prendre le pas sur la dynamique d’un récit où la tension ne décroît jamais. Si l’on regrette le manque de rigueur dans l’écriture des personnages, dont les enjeux sont à peine esquissés au détour d’un dialogue, le long-métrage constitue en effet un modèle de tension, faisant preuve d’une ingéniosité remarquable pour renouveler ses sous-enjeux. De par son atmosphère anxiogène (soutenue par la musique sobre de Woodkid), sa frontalité et son nihilisme, Desierto relèverait presque du film d’horreur, dont chaque apparition du chien Tracker génère de formidables moments de trouille. Malgré des erreurs de jeunesse pardonnables dans l’écriture, il révèle un jeune cinéaste doué, aussi appliqué que respectueux du genre.
Réalisé par Jonás Cuarón, avec Gael Garcia Bernal, Jeffrey Dean Morgan, Alondra Hidalgo…
Sortie le 13 avril 2016.