L'opéra de quat'sous

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Rimini Editions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « L’opéra de quat’sous » de Georg Wilhelm Pabst.

« L’Homme ne vit que pour faire le mal »

Dans un quartier misérable de Londres, deux hommes se livrent à une véritable guerre des gangs : Peachum, le roi des mendiants, et Macheath, un dangereux criminel surnommé Mackie-le-Surineur. Macheath courtise et épouse Polly, la propre fille de Peachum. Et tandis que Mackie prévoit un coup qui lui permettrait de faire main basse sur la banque de la ville, Peachum met tout en œuvre pour se débarrasser de lui...

« Si vous ne pendez pas Mackie, il y aura au couronnement un scandale qui pourrait vous coûter votre poste : une armée de mendiants crasseux viendra défiler pour saluer la Reine. Ce ne sera pas un spectacle de fête. Ces gens-là présentent mal. »

Si le cinéma est né en France, c’est avant tout en Allemagne et aux Etats-Unis qu’il s’est le plus rapidement développé durant les années 10 et 20. Berlin, capitale de l’avant-gardiste et libérale République de Weimar, était alors la place forte du cinéma européen, attirant à elle les talents de toute l’Europe centrale. Des réalisateurs comme Robert Wiene, Fritz Lang, Ernst Lubitsch, Friedrich Wilhelm Murnau, Michael Curtiz ou encore Zoltan Korda feront ainsi les beaux jours du cinéma allemand avant de fuir pour la plupart à Hollywood la montée du nazisme. Moins connu de nos jours que ses pairs, Georg Wilhelm Pasbt fut pourtant l’une des figures majeures du cinéma allemand des années 20, signant de gros succès en faisant tourner les plus grandes stars de l’époque, telles que Greta Garbo (« La rue sans joie ») ou Louise Brooks (« Loulou »). Continuant sa carrière avec l’avènement du cinéma parlant, il signe quelques films pacifistes avant de se lancer dans l’adaptation en 1931 de « L’opéra de quat’sous », une pièce à succès écrite trois plus tôt par le grand Berthold Brecht. Ce dernier participera d’ailleurs un temps à l’adaptation de son œuvre pour le grand écran avant de quitter brutalement le projet pour divergence de point de vue, estimant que son texte n’était pas respecté. Il perdra d’ailleurs le procès qu’il intentera à la production. Pour la petite histoire, le film fut tourné simultanément en allemand et en français (avec Albert Préjean dans le rôle principal), une pratique courante à cette époque où la technique du doublage était peu prisée. Une seconde adaptation sera réalisée au cinéma en 1962 par Wolfgang Staudte avec Curd Jürgens et Lino Ventura.

« Les puissants de cette Terre, s’ils provoquent la misère, n’en supportent pas la vue. Ils ont le cœur dur mais les nerfs délicats »

Créée pour la première fois sur la scène berlinoise en 1928, la pièce de Brecht « L’opéra de quat’sous » rencontre très vite un immense succès populaire qui lui vaut d’être immédiatement traduit en une quizaine de langues et joué dans les grandes capitales occidentales. Ainsi, en quelques mois, la pièce compte pas moins de 10 000 représentations à travers le monde. De quoi attiser l’intérêt de la jeune industrie cinématographique, dont le passage au parlant permet désormais de rendre parfaitement grâce à cette œuvre à la fois dialoguée et chantée. Satire sociale à l’ironie mordante, « L’opéra de quat’sous » est une œuvre expressionniste, qui rend compte de la réalité sociale de son époque, marquée par les crises économiques à répétition, la corruption et une misère omniprésente. Les personnages centraux sont d’ailleurs des malfrats, des mendiants et des prostituées. Un univers misérable de la rue, qui rapproche davantage la société de 1931 de celle décrite par Dickens près d’un siècle plus tôt que de celle moderne qui naitra au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais plus que tout, la force du récit repose sur l’acidité et le cynisme quasi subversif avec lequel il dénonce une société totalement corrompue, marquée par une collusion forte entre les gangsters et la classe dirigeante (à l’image de l’amitié entre Mackie et le chef de la police). D’ailleurs, comble de l’immoralité, les gangsters ne se contentent pas de voler les banques mais finissent par la racheter. Tandis que la masse des pauvres hères - prolétaires, mendiants et miséreux - finissent invariablement manipulés pour le seul bénéfice des puissants de ce monde. Souvent amusant, le film est également bien servi par ses chansons, elles-mêmes plutôt corrosives. Sur la forme, le film est d’autant plus intéressant qu’on sent qu’il est réalisé à une époque charnière du cinéma, conservant à la fois de nombreux éléments de théâtralité (le découpage des actes, la manière dont se terminent les scènes, le jeu des acteurs), du cinéma muet (son aspect par moments burlesque) tout en intégrant les nouvelles possibilités offertes par le parlant. Visuellement, l’oeuvre apparait donc un peu désuète. Mais sur le fond, elle reste d’une étonnante actualité. Une belle curiosité à (re)découvrir.

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Le dvd : Jamais édité jusqu’ici en dvd en France, « L’opéra de quat’sous » est présenté ici dans sa très belle version restaurée par la German Film Archive de 2005. Le film est proposé dans sa version originale allemande, avec des sous-titres français. Côté bonus, deux modules documentaires sont présents : « Un cinéaste nommé Pabst » (14 min.) et « Un opéra du peuple » (20 min.), tous deux réalisés avec la collaboration de Christine Roger, universitaire spécialiste de littérature allemande et de Christophe Champclaux, historien du cinéma. Comme à son habitude, Rimini nous propose là une édition très soignée et de grande qualité.

Edité par Rimini Editions, « L’opéra de quat’sous » est disponible en dvd depuis le 23 mars 2016.

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