Réalisé par : Leena Yadav
Avec : Tannishtha Chatterjee, Radhika Apte, Surveen Chawla
Sortie : 20 avril 2016
Durée: 1h56min
Distributeur : Universal Pictures International France
Synopsis :
Inde, Etat du Gujarat, de nos jours. Dans un petit village, quatre femmes osent s’opposer aux hommes et aux traditions ancestrales qui les asservissent. Portées par leur amitié et leur désir de liberté, elles affrontent leurs démons, et rêvent d’amour et d’ailleurs.
3/5
Ces derniers temps un renouveau du cinéma indien semble émerger. C’est un peu la pêche miraculeuse, il faut aller fouiller pour découvrir des pépites. Loin des histoires d’amour idéalisées et musicales de Bollywood, Unfreedom, péché dans l’éclectisme de la programmation de l’édition 2015 du festival chéri chérie. premier long métrage américo-indien de Raj Amit Kumar, est politiquement incorrect, sans concession, sanglant; À New York, un fondamentaliste kidnappe un musulman libéral et érudit pour le faire taire. À New Delhi, une lesbienne dans le placard fuit un mariage arrangé et kidnappe son amante bisexuelle pour pouvoir l’épouser. Deux récits qui fusionnent pour faire éclater l’intolérance de nos sociétés. Censuré en Inde, le film est accusé d’heurter les sensibilités des communautés hindous et musulmanes, ainsi que d’attiser et réveiller des passions contre-nature. Le film offrait pourtant une vision parfois biaisée par un regard masculinisé. C’est quelques mois après que sort La Saison des Femmes, nouveau long métrage de Leena Yadav, qui, sur le même mode de la fiction, prend en charge les souffrances et l’oppression persistante des femmes en Inde.
Déjà initié par Much Loved, puis dans Unfreedom et ici dans La Saison des Femmes, le cinéma semble être le point d’unification de multiples cris féminins qui appellent à la liberté. Ces trois films se fédèrent autour de la figure de la prostituée, qui semble devenir l’incarnation de révolution féminine. Loin de la sulfureuse réputation de Much Loved, La Saison des Femmes arrive à assumer ses revendications sans tomber dans le règlement de comptes avec une société conservatrice. On sent toute la revendication et la nécessité pour la réalisatrice de faire ce film. La où le réalisateur de Much Loved mène de front un combat avec la presse et la politique, l’approche est ici plus retenue. On sent la volonté de Leena Yadav de s’intégrer dans une industrie cinématographique qui égalerait la diffusion de Bollywood.
Leena Yadav ne se contente pas de raconter un quotidien, c’est tout une structure qui est mise au jour. Ici, les trois personnages principales réunissent l’observation, la prise de conscience, et le passage à l’acte. L’évolution en un même temps de ces trois femmes construit le discours même du film. Ce qui les sépare du reste du diktat religieux et institutionnel, c’est la poésie qu’elles dégagent. Le film est borné par deux sublimes plans, où l’émancipation grandissante de ces femmes se font écho. Le film se referme sur les trois femmes au carrefour, celui de leur nouvelle vie. Mais c’est aussi le carrefour de ce nouveau cinéma indien, celui de tous les possibles. Si la réalisatrice a réussi à amener son film jusque ici, en France, c’est aussi parce qu’à un moment donné elle a pris un chemin alternatif au traditionalisme.
Leena Yadav ne fait en rien la peinture glaçante de l’homosexualité et du libertinage dans la culture indienne. La réalisatrice capte une scène intense entre Rani et Lajjo, qui certes joue avec les contours de l’érotisme et laisse libre court à l’interprétation. Mais cette scène reste avant tout l’expression du besoin et du manque de contact humain de ces filles. Il n’y a plus ce mouvement de toucher entre les êtres, l’humanité est devenue trop individualiste. C’est ce manque de communication qui scelle définitivement leur appartenance à un homme. En cela, l’arrivée de la technologie, qui signifie alors libération des moeurs, serait la passerelle à la perversité et la liberté de l’occident au sein de cette petite communauté qui se croit encore vierge de tout. C’est le principe du loup dans la bergerie,et là est la duperie. La réalisatrice pointe le danger qui, pour elle, est déjà présent. Ce sont les hommes eux mêmes, par ce conservatisme obsessionnel, qui est la véritable source de la perversion et de l’abus.
Le fait que la réalisatrice soit une femme ne fait pas de cette prise de liberté une transgression mais une libération. Nous n’avons pas l’impression que ses personnages féminins vont à l’encontre de ce qui est posé mais, à l’inverse, ce sont les hommes, qui luttant contre le progrès, vont à contre sens de la normalité. Là ou Much Loved pêchait lorsqu’il n’assumait pas clairement sa portée documentaire, La saison des femmes remplit son devoir narratif et fictionnel à merveille. Le film est donc une saison, définit par un début et une fin. Cyclique, à l’image des hauts et des bas des drames de leurs vies, le film est poussé par une énergie de musique pop indienne de bout en bout.
La Saison des Femmes est donc un film de décision, de prise de risque, un film de femme. Même si il n’est pas aussi aisé pour ces personnages de s’évader à bord d’une moto ailée multicolore, ça fait du bien un peu de Girl Power.