Des personnages non humains

Depuis les origines de l’art de conter des histoires, nous nous sommes identifiés à des animaux, à des dieux, à des monstres. Puis, nous avons peuplé des mondes fantastiques dans lesquels nous avons apprécié de nous perdre.
Parfois, il peut être intéressant d’explorer une idée en utilisant des personnages non humains et parfois, c’est juste amusant que d’inventer des personnages qui ne sauraient être.
Les auteurs se servent généralement des personnages non humains pour permettre à leurs lecteurs de penser à ce qu’est la nature humaine, de ce que c’est que de se sentir humain. Mais tous ces personnages (anthropomorphes ou non) n’entretiennent pas la même relation avec nous. Il existe en effet plusieurs types de personnages non humains dont les propriétés influent sur leur manière d’être dans la réalité d’un monde fictionnel et aussi dans leur rapport au lecteur.

Il y a des histoires qui mettent en vedette des personnages non humains mais avec une apparence humaine. Ils s’habillent à la manière des humains ou prennent l’apparence de la Joconde mais avec une souris à la place par exemple.
Les histoires pour enfant adoptent souvent ce procédé car il permet une reconnaissance facile tout en ajoutant un sérieux degré de fantaisie (et ce n’est pas un oxymore).
Ce type de personnage non humain reprend des caractéristiques d’une humanité bien réelle et si nous devions nous réveiller un matin en chat, nous accepterions simplement la situation et nous nous comporterions comme des chats mais dans nos habits et habitudes quotidiens.
En fait, il y a peu de changements entre notre monde et notre humanité et l’univers de ces personnages non humains. C’est nous mais sous une forme différente.

Les corps montrés dans l’univers fictionnel sont en fait altérés. Une civilisation d’extraterrestres présente souvent dans les fictions des personnages non humains qui sont fondamentalement des êtres humains mais avec un corps modifié, différent du nôtre.
Mais l’âme (leur conscience et leur inconscient), la mentalité aussi, tout cela nous sont familiers. Il n’y a véritablement que leur apparence qui est soumise à d’autres référents.

Maintenant, le problème est de savoir jusqu’où le lecteur adhérera à ce type de personnages non humains. Est-ce que votre intention ne risque-t-elle pas d’être décrédibilisée alors que le lecteur s’accroche désespérément à sa culture et refuse de s’immerger dans votre univers ?
Comprenez bien qu’il ne s’agit pas de métamorphes mais d’autres formes qui viennent s’ajouter à la diversité des formes que nous sommes capables d’appréhender.

D’autre part, il y a la volonté de l’auteur d’écrire un personnage non humain plus authentique envers lequel le lecteur éprouverait une empathie ou au  moins une sympathie.
Dans cet objectif, l’auteur choisira un aspect singulier de la culture humaine et en fera l’axe constitutif principal de son personnage non humain. Cela pourrait être une pure émotion qui deviendrait la norme dans l’univers de ses personnages non humains.

Considérons que la terre est attaquée par une race extraterrestre comme dans Independance Day.
L’agressivité, caractéristique bien humaine, des aliens est inhérente à leur personnalité. Les raisons qui les poussent à envahir la terre sont secondaires, elles soutiennent l’intrigue sans ajouter de sens spécifique au message.
Mais la passion extrême qui se concrétise dans cette agressivité particulière est la teneur exacte de la dénonciation de la violence dont nous ne pouvons nous départir mais que nous devons réguler. C’est peut-être ce message moral qui est alors énoncé par ce type de personnage non humain.
Sous ce point de vue, la forme cède devant le fond.
Chez Tolkien, nous retrouvons ce principe vital, cet élan qui anime ces êtres non humains chez les nains stoïques et traditionnels ou chez les elfes androgynes, froids et distants.

Cette seconde méthode ouvre la voie à la création d’un passé pour ces personnages non humains ce qui enrichit l’histoire et puis, cela interpelle aussi le lecteur : Que serait notre société si nous nous laissions aller à plus d’agressivité (ce qui serait facile et en harmonie avec notre nature humaine à la fois prédatrice et proie) ?
Que serait notre société si notre raison refusait à notre cœur son aptitude affective ?

Créer une race non humaine permet aussi à l’auteur d’explorer de manière plus précise certains idéaux et développer une histoire, par exemple, en présentant les arguments opposés de ces idéaux ce qui peut devenir dans le processus une source de rivalités, de ressentiments, c’est-à-dire du conflit (un maître mot en fiction).

Il existe cependant un revers à cette méthode. En effet, la description d’une race ou de personnages non humains sont saisis par le lecteur par comparaison avec sa propre réalité. La tendance est de considérer une culture étrangère (ses différences et ses points de vue autres sur le monde) comme des variations par rapport à ce que lecteur pense de la normalité de son propre monde.
Si sa propre vision du monde n’accepte pas la différence, alors pour lui les personnages ne seront pas authentiques, sonneront faux dans un univers dans lequel il refusera de s’immerger ou de s’abandonner.
Il restera furieusement accroché à sa propre culture et ne se départira pas de ses œillères.

L’authenticité du personnage non humain

L’authenticité ne consiste pas à faire adopter au personnage différent de nous des comportements différents comme de s’alimenter en filtrant des composants de notre atmosphère.
C’est tout un jeu de perceptions qu’il faut mettre en place. Ce personnage a des référents, des idées et des expériences que nous ne pouvons pas comprendre. Aucune résonance ne devrait pouvoir s’installer. Une expérience similaire n’a tout simplement pas la même pertinence entre lui et le lecteur.

Reprenons un exemple vu sur le net : si un lion se mettait à parler notre langage et que nous puissions ainsi nous comprendre comme locuteur et interlocuteur, si une odeur venait à les envelopper, l’expérience qu’il en ferait serait tout à fait contradictoire : pour l’homme, alors qu’elle pourrait être agréable, elle serait fortement répulsive pour le lion et inversement, le lion pourrait considérer cette odeur comme un signe de nourriture hautement appétissante alors que pour l’homme, une odeur de chair pourrie lui mettrait l’estomac au bord des lèvres.
Ils  partagent la même expérience en fait mais ne la perçoivent pas de la même façon. Donc, même dans le personnage non humain le plus proche de l’humain, l’auteur devrait mettre en avant cette dichotomie naturelle et de manière à ce que lecteur la reconnaisse c’est-à-dire qu’il ne la rejette pas sous le prétexte qu’elle n’est pas crédible.

Un des moyens d’assurer que le doute n’envahisse pas le lecteur est de bien admettre que rien n’est tout blanc ni tout noir. La moralité des personnages non humains s’organise comme celles des humains en nuances de gris.
Le code moral que l’auteur met en place dans sa société fictive et non humaine réponds simplement à d’autres critères. Tout comme nous, les personnages non humains ont des valeurs et des critères de jugement. Nous avons une certaine idée du bien et du mal, eux ont aussi leur propre idée du bien et du mal. Peut-être que leur code de conduite nous heurterait parce qu’il serait à l’opposé du nôtre mais il n’en est pas moins honnête. Il faut simplement veiller à ce que ce code moral soit consistant d’un bout à l’autre de l’histoire.