J'aime faire du cinéma au quotidien avec les gens, prendre du temps pour les connaître. Dans ce quotidien, voir naître l'insolite. C'était déjà ma démarche pour Rêve d'usine.
Le désir de filmer m'arrive avec la vie. Le film s'impose à elle. On est là ! en est un exemple typique. Alors que j'étais en plein montage d'un autre film en juin 2009, j'ai su que des travailleurs sans papiers demandaient le soutien du collectif d'Argenteuil : une grève avec occupation se préparait dans la société Clean Multiservices. Depuis une quinzaine d'années je participe aux activités de ce collectif. J'ai souvent filmé ces moments de préparation et d'action, mais sans autre intention que de garder des images, une trace de ces oubliés de l'histoire.
Pour ces salariés, " clandestins " pour les autorités, il n'est pas aisé d'occuper seuls une entreprise ; d'autant plus que vingt d'entre eux avaient été licenciés abusivement et ne travaillaient plus dans cette société. Difficile aussi de relancer le réseau de soutien au mouvement à la veille des vacances d'été. Faute de trouver de nouvelles forces, l'occupation était régulièrement repoussée.
Lorsque la décision d'occuper fut prise, le montage de mon film précédent était terminé. J'ai alors décidé de filmer dans la durée l'action des salariés de Clean Multiservices depuis ses premiers pas.
Les premières images le montrent, ma caméra entre juste derrière les salariés dans cette occupation surprise. Pour moi, commence un véritable dilemme : comment être un citoyen soucieux de soutenir sur le terrain des valeurs justes et rester un cinéaste libre en préservant une distance face au conflit ? A la demande des travailleurs sans papiers, dès le premier soir j'ai dû poser la caméra pour participer personnellement aux tractations avec la police, appelée par le Directeur de Clean Multi services ... Dans les moments d'isolement, entre la dramaturgie d'un film et les risques encourus par ces hommes, le choix m'apparaissait évident.
C'est le quotidien de la lutte, avec ses retournements, ses attentes et ses imprévus qui m'a intéressé et qui nourrit la dramaturgie du film. Du tournage au montage j'ai voulu préserver la complexité du conflit : les désaccords au même titre que les convergences entre les employés. Je crois que cette complexité se lit dans les échanges que nous avons choisis au montage avec Claire Atherton.
J'ai toujours refusé un cinéma simplificateur, fait de héros positifs et de méchants, au nom d'un " militantisme " qui à mon sens n'œuvre pas en faveur du Cinéma Indépendant.
L'important était aussi de ne pas empiéter sur le terrain des grévistes ; de ne pas compromettre le mouvement par une présence intempestive de la caméra.
Trouver la bonne distance entre la caméra et les personnes filmées, c'est le pari du film.