Dalton Trumbo : rencontre avec Bryan Cranston

Par Bobby @MissBobbyD

À défaut de pouvoir se déplacer, Bryan Cranston nous a gentiment invités dans son salon via Skype pour répondre à nos questions sur son nouveau film dont il tient le rôle principal : Dalton Trumbo. Retrouvez ci-dessous le compte rendu ainsi qu’une petite vidéo sous-titrée et ma critique de Dalton Trumbo.

Bryan Cranston : Bienvenue chez moi !

Pour commencer, connaissiez-vous un peu la vie de Dalton Trumbo avant de commencer le tournage de ce film ?

B. C. : C’était quelqu’un qui m’était familier mais de manière assez basique. Je savais qui il était, le scénariste hollywoodien qu’il avait été, je savais qu’il avait écrit Spartacus, qu’il avait appartenu à la fameuse liste des « Dix d’Hollywood ». Par contre, je ne me souvenais pas qu’il avait été en prison, je ne me souvenais pas des autres films qu’il avait pu écrire comme The Brave Ones… J’ai dû faire des recherches pour mieux cerner qui il était, pour creuser sa sensibilité. J’ai lu des biographies, j’ai pu parler à ses filles. Des enregistrements audio ou vidéo m’ont beaucoup aidé également.

Pourriez-vous nous parler du contexte du film et de votre travail avec Jay Roach ?

B. C. : Le mieux, c’est quand un auteur, un réalisateur et des comédiens conjuguent leurs compétences et leurs ambitions dans un projet commun. La curiosité que l’on avait tous, l’honnêteté de notre démarche, nous a tous poussé à faire le maximum de recherches possibles. Mais dans toute histoire racontée, que ce soit au théâtre ou au cinéma, vous êtes obligés de condenser des choses pour que ce soit intelligible pour le spectateur. Ces décisions ont été difficiles. Mais la partie la plus fun, c’est d’avoir fait toutes ces recherches sur l’histoire d’Hollywood et la sensibilité des Américains face au contexte du pays à cette époque. Celle des Européens aussi. On a mieux compris que ceux qui ont été des alliés pour vaincre Hitler, étaient devenus une source d’inquiétude alarmante. Désormais, il y avait cette peur rouge et le gouvernement était devenu juge et jury de quels comportements étaient acceptables ou non. C’était une période sombre de l’histoire de l’Amérique, où des hommes étaient envoyés en prison sans avoir commis le moindre crime ! C’est une chose d’être envoyé en prison pour un crime commis mais c’en est une autre d’y être envoyé sans n’avoir rien fait de répréhensible. C’est ça l’histoire que l’on a voulu raconter. Jay Roach est un super réalisateur et je vais retravailler à lui. On se challengeait mutuellement, on s’encourageait l’un l’autre. On faisait une super équipe.

Au final, en y repensant, est-ce que vous pensez que Dalton Trumbo s’est lancé dans cette croisade au nom de toutes les personnes incriminées ou, en réalité, surtout pour lui-même ? Son speech de fin est assez étrange.

B. C. : Le speech de conclusion lui a permis de dire ce qu’il a vraiment ressenti après cette histoire de « Liste Noire » et surtout, de façon très humaine, d’entamer un processus de guérison au-delà de sa colère. Ce speech, après qu’on lui ait remis son prix en 1972, a été très critiqué, y compris par sa propre femme, qui pensait qu’il avait un peu oublié toutes les victimes de cette histoire et qu’il n’avait pas interpelé les instigateurs de tout cela. Il ne les a pas pointés du doigt en disant « Voilà ce que vous avez fait, honte à vous » . À la place, il a préféré dire qu’il n’y avait que des victimes dans toute cette affaire, qu’il n’y avait ni héros ni méchants, mais que des victimes. Il a fait ça dans le but, non pas d’occulter les conséquences ou d’oublier, mais plutôt de dire « Bon, essayons d’aller de l’avant » .

A la fin de la production de Breaking Bad, vous avez dit « Ne pleurez pas parce que c’est fini, souriez parce que c’est arrivé. » Après cette intense nouvelle expérience et cette performance fabuleuse, diriez-vous la même chose ?

B. C. : Je fais partie des gens qui aiment vivre des expériences. J’ai une philosophie qui est de dire : « Ne gardez pas votre meilleur vin pour une occasion spéciale. Maintenant est une occasion spéciale. » Je reconnais que l’on vit dans un monde où l’on a tendance à pas assez vivre dans le présent et à trop regarder dans le passé. Mon expérience sur Breaking Bad a été merveilleuse. Ce furent six années merveilleuses autour d’une histoire unique. Et ce fut pareil avec Dalton Trumbo, pouvoir raconter son histoire, celle des « Dix d’Hollywood », de la peur de la menace rouge, ce fut une belle aventure. Ce qui est génial quand on est un acteur, et c’est sans doute pareil quand on est journaliste, c’est cette sensation d’être poussé par la curiosité, faire des recherches et passer d’histoire en histoire. J’aime la diversité des expériences que je peux vivre.

Pensez-vous que le sujet du film a une résonance dans l’Amérique actuelle ?  

B. C. : Bien sûr ! En Amérique, comme vous le savez, on vit une sorte de révolution politique. On a des personnages qui polarisent le débat en représentant des idéologies radicalement opposées. De manière générale, je trouve que c’est une bonne chose. Je ne soutiens pas quelqu’un d’aussi narcissique et égocentrique que Donald Trump par exemple, mais j’ai confiance dans le bon sens commun et il ne sera pas notre prochain Président.

Pensez-vous que les acteurs ou les artistes en général, ont un vrai pouvoir sur la scène politique ?

B. C. : Je pense que la vraie responsabilité d’un artiste, c’est avant tout d’être honnête envers lui-même, de présenter son travail le plus honnêtement possible. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être un mentor ou un modèle et qu’il ne faut pas influencer les gens. Mais je pense que l’engagement que les artistes devraient embrasser en priorité, serait l’engagement caritatif, plus que l’engagement politique. Pour rendre à la communauté ce qu’elle vous donne. C’est ma vision en tout cas.

Vous avez rencontré la fille de Dalton Trumbo. Comment cela s’est-il passé ?

B. C. : J’étais nerveux mais content de pouvoir la rencontrer. Je lui ai expliqué que je serai heureux si elle acceptait de m’aider car je voulais proposer une image de son père qui serait la plus fidèle possible. Et j’avais besoin de son aide. Et pas seulement moi, mais le script avait besoin d’elle, car on a été obligé de faire quelques ajustements scénaristiques et elle pouvait aider à faire en sorte à ce que ça reste assez fidèle à l’idée malgré tout. Ça doit faire bizarre pour des gens, de voir leurs proches et votre vie sur un écran, interprétés par des acteurs. Ça doit être une sensation étrange. Mais elle a été d’une grande aide en tout cas.

Pensez-vous que l’histoire des « Dix d’Hollywood » a changé quelque-chose dans l’industrie hollywoodienne ?

B. C. : Je pense qu’à l’époque, Hollywood était plus tourné vers un certain conservatisme dans ses films. Il est devenu plus libéral après. Mais c’est juste un ressenti personnel, je n’ai pas de preuves de cela. Je pense que tout cela a aidé à ce que les gens aient une vision plus libérale, qu’ils soient plus enclin à accepter les différences d’opinions des autres. Ce que j’espère que ça a changé de manière plus générale, c’est qu’aujourd’hui, quand quelqu’un n’a pas les mêmes opinions que vous, il n’est pas forcément un ennemi. On doit maintenir le respect des opinions.

Vous évoquiez qu’au final, selon Trumbo, il n’était pas question de héros ou de méchants dans cette histoire, mais seulement de victimes. Pensez-vous que, pour le public, il est possible d’éprouver le même ressenti envers des personnes comme John Wayne ou Hedda Hopper, qui ont agit sciemment contre les « Dix », qu’envers des personnes comme Edward G. Robinson ou Elia Kazan, qui ont juste fait preuve de faiblesse ?

B. C. : Je pense. Quand vous regardez toute cette histoire avec le recul, et bien sûr on a la chance d’avoir les bienfaits du temps qui panse les blessures… Bien sûr, je penserais peut-être différemment si j’avais été directement une victime de cette affaire. Mais en essayant de regarder cela objectivement, je pense que tout le monde a le droit de faire amende honorable. Même les personnes qui ont cédé à la délation sans s’excuser. Certains ont fait des excuses pour avoir collaboré. Pour moi, la finalité, c’est que Dalton Trumbo aurait pu mentir à la première question. « Êtes-vous ou avez-vous été un membre du parti communiste ? » Il aurait pu dire « Oui, je l’ai été. C’était une erreur de jeunesse et j’ai été stupide« . Le comité aurait pu rétorquer « Très bien, on accepte votre réponse » . Mais le comité n’aurait pas fait cela. Il aurait insisté et il serait passé à la deuxième question. « Ok, on accepte cette réponse. Qui d’autre était membre avec vous ? Donnez-nous des noms ? Et si vous ne coopérez pas, vous irez en prison. » C’est tout l’enjeu. J’aurai pu vous mentir pour éviter d’aller en prison et continuer à travailler tranquillement, mais je ne franchirai pas cette ligne qui mettrait en cause d’autres personnes, juste parce que vous outrepassez vos droits impérialistes. En fait, tout cela est comparable aux techniques utilisées par la Gestapo. Le but était que les gens dénoncent leurs voisins. « Je ne suis pas un communiste mais lui oui ! Emmenez-le et prenez lui sa dignité mais surtout, ne touchez pas à la mienne ! ». C’étaient des temps sombres.

Avez-vous eu l’occasion de voir Better Call Saul et qu’en avez-vous pensé ?

B. C. : Oui, j’ai regardé. J’ai beaucoup apprécié. Je me sentais familier à certains éléments de la série même si l’histoire est différente. J’ai accroché et j’ai réussi à la regarder avec un œil frais, sans me considérer comme au milieu de tout ça. Je disais d’ailleurs aux membres de la production quand je les voyais, de ne rien me dire car je voulais en profiter en tant que spectateur.

Aaron Paul a déclaré que si on lui demandait de reprendre son rôle pour faire une apparition dans Better Call Saul, il le ferait. Seriez-vous prêt à vous raser la tête et faire pareil pour revenir en Walter White ?

B. C. : C’est un prequel donc ça se passe avant. Déjà, je n’aurai pas besoin de me raser la tête cette fois ! Breaking Bad a changé ma vie. Si Vince Gilligan me le demandait, je lui dirai oui avant même qu’il finisse sa phrase.

Retranscription par Mondociné.

Un grand merci à l’agence Déjà et à UGC Distribution.