Un grand merci à Blaq Out pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « La terre éphémère » de George Ovashvili.
« Cette terre n’appartient à personne. Elle a été créée par la rivière et n’appartient qu’à elle »
Sur le fleuve Inguri, frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie, des bandes de terres fertiles se créent et disparaissent au gré des saisons. Un vieil Abkaze et sa petite fille cultivent du maïs sur une de ces îles éphémères. Le lien intense qui les lie à la nature est perturbé par les rondes des garde-frontières.
« Tes parents ne verront malheureusement jamais ce jour mais je prie Dieu de me laisser assister à celui de ta réussite »
« La terre éphémère » s’ouvre sur vingt minutes d’images naturalistes sublimes, sans dialogues ni voix off. Un ilot apparait sur un fleuve en pleine décrue. Un vieil homme accompagné de sa petite-fille dirige sa barque en sa direction et en prend possession. Puis, méthodiquement et de façon rudimentaire, il y construit sa cabane et se prépare à cultiver le maïs avec l’espoir d’assurer ses réserves pour l’hiver à venir. Une sorte de Robinson Suisse des temps modernes, vivant en parfaite harmonie avec la nature. On pourrait presque croire à un documentaire : les images sont magnifiques, les paysages naturels et sauvages de la Géorgie profonde sont grandioses et il se dégage de l’ensemble une forme de sérénité apaisante. Avant d’être finalement rattrapé par la (dure) réalité. L’ilot se trouve au beau milieu du fleuve Inguri, qui sépare la Géorgie de l’Abkhazie, région séparatiste militairement défendue par la Russie depuis les années 2000. Et alors qu’ils semblent totalement coupés du monde et en paix avec leur environnement naturel, les deux habitants de l’ilot vont être à leur tour rattrapés par la civilisation et par le conflit qui les entoure : des patrouilleurs des deux camps vont progressivement venir les surveiller et les intimider, tandis que les soldats sur les rives vont quelque peu les harceler. Et tandis que des coups de feu retentiront, au loin, de façon sporadique, un soldat blessé trouvera sur cette terre éphémère n’appartenant officiellement à personne, si ce n’est à ceux qui la travaillent.
« Nous traquons un homme blessé qui ne doit pas être bien loin. Nous reviendrons. »
Film métaphorique s’il en est, « La terre éphémère » est une réflexion sur la condition de l’Homme en temps de guerre : comment réussir à subsister ? Comment trouver sa place ? Comment se construire une ile à l’écart d’une guerre qui n’est pas la sienne ? Car au final, le réalisateur nous rappelle que l’individu est bien peu de chose, tant face à la folie collective et destructrice des hommes que face à la puissance d’une nature par définition indomptable qui finit toujours inéluctablement par reprendre ses droits (à l’image de la scène finale durant laquelle la montée des eaux finit par engloutir en quelques minutes l’ilot et tout le travail du héros). C’est aussi pour le réalisateur l’occasion d’une réflexion sur le temps qui passe et la relativité : la vie est courte et passe en un instant, à l’image de la durée de vie de l’ilot. Mais l’histoire n’est aussi qu’un éternel recommencement : l’hiver finira par passer et un nouvel ilot naitra quant viendra la période de l’étiage. De même que la guerre finira - sans doute un jour - par s’arrêter. Sur la forme, George Ovashvili signe un beau film taiseux et très épuré, doté d’une étonnante puissance évocatrice (on pense un peu, en comparaison, à certains films asiatiques, comme «Printemps, été, automne, hiver et printemps » de Kim Ki-Duk). Un exploit d’autant plus grand qu’il a réalisé son film avec des moyens très limités, obligé pour les besoins du film de faire construire un ilot artificiel capable de tenir durant les trois saisons nécessaires au tournage. Sur le fond, « La terre éphémère » est également un joli film introspectif plein d’espoir. Le film se mérite, mais demeure au final un très bel objet cinématographique.
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