MON ROI : Rencontre avec Maïwenn

Après son Polisse très réussi où elle explorait le quotidien d’une brigade de protection des mineurs, avec toute l’authenticité et l’intensité qu’on lui connaît, Maïwenn nous revient cette année avec ce très grand cru qu’est Mon Roi, chronique d’une passion amoureuse avec son lot de bonheur et de douleur, de frémissement et de déchirement. Un film qui nous permet de retrouver un Vincent Cassel comme on l’a rarement vu et une Emmanuelle Bercot tout simplement au sommet, puisque lauréate du prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes.

Notre Cinéphile Reporter a eu le privilège de rencontrer la réalisatrice pour cette œuvre qui marque clairement un tournant dans sa carrière, tant elle conserve la crudité de ses précédents films tout en apportant une esthétique et un lyrisme qu’on ne lui connaissait pas.

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Mon Roi suit le parcours d’une femme dans un centre de rééducation qui se remémore peu à peu la passion amoureuse qu’elle a vécue, et qui l’a profondément abimée. Comment vous est venue cette idée de construire le récit de cette façon et montrer cette histoire d’amour par le biais du « flash back » ?

Maïwenn : En fait Mon Roi aurait dû être mon premier film. J’ai écrit la première version du scénario il y a dix ans. Mais à l’époque, je ne me sentais pas assez mûre pour le mettre en scène. Je me disais que les films d’amour, comme les films de guerre, devaient être réalisés par des cinéastes ayant une expérience de la vie plus importante que celle que j’avais quand j’ai écrit cette histoire. Et puis, il y a deux ans, je me suis dit que les années passaient, que les films passaient et je me sentais plus forte pour faire celui-là. Mais il me manquait encore quelque chose au niveau de l’écriture du scénario, qui devait me permettre d’apporter un regard plus extérieur à cette histoire d’amour. Et puis, en lisant une phrase sur le genou, qui résonnait parfaitement avec l’idée d’une histoire d’amour déchirante, j’ai eu l’idée de cette femme qui chercherait à se reconstruire physiquement et moralement, après qu’elle se soit déchirée les ligaments du genou dans un accident de ski. Il faut savoir que le déchirement des ligaments ne se répare jamais, contrairement à une jambe cassée qui se répare. Là, il s’agit de réapprendre à marcher malgré cette déchirure incurable. J’y ai vu une belle métaphore qui résonnait parfaitement avec l’histoire de cette femme qui est ressortie brisée de la passion amoureuse qu’elle a vécue, mais dont elle doit néanmoins se relever pour continuer à avancer. J’ai compris qu’il me manquait cet aspect dramatique qui devait apporter un enjeu fort dans la narration. Parce que s’il s’agissait simplement d’une fille qui se souvient de l’histoire qu’elle a partagée avec un homme, il y aurait eu un manque. Je voulais qu’elle soit obligée de s’en souvenir, afin d’apporter de la tendresse à cette histoire et ne pas la rendre trop amère.

Comment procédez vous avec vos comédiens pour qu’ils puissent apporter une telle vérité et un naturalisme aussi fort dans leur jeu ?

Maïwenn : Déjà, je ne leur impose pas de débiter leur texte au mot près. Je préfère qu’ils laissent davantage libre cours à leurs sentiments. Mais je crois que si j’obtiens le meilleur d’eux mêmes, c’est peut-être parce que je leur offre un rôle précis, dans un film qui comporte un sujet qui fait écho à leur propre vie et qui résonne très fort en eux et donc, les rend très justes. Ici, c’est notamment le cas de Vincent, qui m’a avoué qu’il avait accepté de jouer le personnage de Georgio pour des raisons personnelles car le scénario faisait écho à sa propre vie. Pour lui, c’était le bon film, au bon moment.

Votre film traite d’un amour passionnel mais destructeur. Pensez vous que l’on puisse vivre une histoire d’amour tout aussi intense que celle-ci mais sans avoir à endurer de telles souffrances ?

Maïwenn : Je pense que tout existe. J’ai connu des couples tellement improbables, qui ne semblaient pas être fait l’un pour l’autre et qui finalement l’étaient. Des couples qui ne s’aimaient pas au début, mais qui ont fini par s’attacher. Il y a des histoires compliquées, d’autres simples et fluides. Tout est bon à vivre. Je pense que la seule chose qui soit difficile de vivre en amour, c’est de s’avouer que la personne qu’on aime ne nous rend pas heureuse.

On éprouve de l’attachement pour Georgio qui est tour à tour séduisant, attachant mais aussi dangereux et par moments, méprisable. Que pouvez vous nous dire de ce personnage ? 

Maïwenn : Je pense que les personnes les plus dangereuses, sont également les plus séduisantes. C’est à ces personnes là que l’on a envie de donner notre corps, notre cœur, et notre âme. Georgio fait tout pour avoir Tony et dès qu’il l’a, il ne prend pas soin d’elle. C’est ce qui caractérise les séducteurs. Après, je laisse les portes ouvertes. Il a effectivement un comportement qui se rapproche de la perversion narcissique et en même temps, au fond de lui, c’est encore un enfant. Il n’a pas vraiment grandi. Mais à la fin, Tony comprend que cet homme est sa plus grande histoire. Elle ne ressent pas d’amertume, mais de la tendresse pour lui. Elle est heureuse d’avoir vécue cette passion. Sans ressentiment. Selon moi, c’est le but de l’amour que de réussir à dépasser la rancœur et de se dire qu’on a vécu de belles choses mais que ça ne pouvait pas aller plus loin. Et qu’il est temps d’en vivre de nouvelles.

Comment avez-vous abordé les scènes de bonheur ? Ça doit être particulièrement complexe de filmer le quotidien d’un couple.

Maïwenn : Les scènes romantiques me faisaient vraiment peur. C’est d’ailleurs ce qui m’a longuement fait hésiter avant de me lancer dans l’écriture du scénario. Pour tout ce qui touchait à leurs conflits et leurs détresses, je me sentais capable, mais en revanche, la rencontre, le mariage, la demande d’enfant, la découverte de la grossesse, tout ça m’angoissait beaucoup. Du coup, j’ai trouvé des situations qui sont un peu classiques certes, mais sur le plateau, je m’acharnais à rendre les choses authentiques. Par exemple, la scène où Georgio demande à Tony de lui faire un enfant. Vous n’imaginez pas combien de prises on a pu faire. C’est très arbitraire de sentir la vérité et l’authenticité dans la voix d’un acteur. Pour moi, la vérité, c’est de la musique. Je me suis surprise à me foutre d’être derrière mon combo. J’étais toujours près soit de la caméra, soit de mes techniciens, soit de mes acteurs, mais je portais toujours mon casque sur les oreilles. J’ai besoin d’un son parfait pour ressentir la vérité des émotions. Même les films que je regarde chez moi, je les regarde avec un casque.

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Pour l’image c’est, à coup sûr, votre plus beau film. D’où vient cette volonté de donner à vos images ce souffle, cette couleur et même parfois cette poésie qui étaient moins présents dans vos films précédents ?

Maïwenn : Il s’agit de mon quatrième film, et je suis maintenant beaucoup plus exigeante que je ne l’étais à mes débuts. Sur mes trois premiers films, je dois vous avouer que je n’avais pas vraiment d’idées sur la direction artistique, sur les décors, sur le maquillage ou sur les cadres. Ma seule obsession, c’était les acteurs. Mais en revoyant parfois mes films à la télé, je me dis que je peux améliorer certaines choses et que sur le prochain que je ferai, je travaillerai davantage certains aspects. Pour celui-ci, j’ai passé tous les domaines au peigne fin, mais sans délaisser pour autant le travail avec les acteurs. Je me suis juste mise plus de pression. Donc le choix des décors a été très long. Beaucoup de conflits avec mon équipe déco, comme avec mon équipe coiffure et maquillage ou même avec mon équipe caméra et lumière. Le plateau a donc été un peu plus tendu avec les techniciens, cette fois-ci. Même si c’est la même équipe que j’ai depuis mes débuts, je crois qu’ils ne m’ont pas trop reconnu sur ce film, parce qu’auparavant, j’avais tendance à leur faire davantage confiance. Là, je ne laissais rien passer. Je savais exactement ce que je voulais.

C’est un film également beaucoup plus lyrique que ne l’étaient vos précédents. Souhaitiez-vous aussi accorder une place plus importante à la musique ?

Maïwenn : J’avais envie de faire des scènes qui soient vraiment romantiques mais sans être mièvres. Or, il faut savoir que la frontière entre les deux est très mince. Selon les scènes, il fallait qu’il y ait un peu de musique mais pas trop ou un peu d’humour mais pas trop. Donc tout a été une question de dosage. Mais ce qui est sûr, c’est que je tenais à ce que le film baigne dans un grand romantisme. D’où cette idée de la beauté des cadres et du soin accordé à la lumière, à l’esthétique et, bien sûr, à la musique, que je voulais qu’on ressente comme une sorte d’envolée. D’ailleurs, la référence que j’ai donnée à mon compositeur, c’était La Ligne Rouge de Terrence Malick, qui est le roi du lyrisme.

Compte tenu du nombre de prises que vous dites avoir faites pour certaines scènes, j’imagine que le montage a dû être particulièrement long et fastidieux.

Maïwenn : Vous n’en avez pas idée ! Je n’ai jamais autant galéré sur un montage. Il a duré pratiquement un an. J’ai d’abord eu une première équipe de monteurs, avec laquelle je n’avais jamais travaillé. On a fini par se dire mutuellement que ça ne collait pas. On ne se comprenait pas du tout. Parfois c’est comme ça, on n’a pas d’atomes crochus avec les gens. On ne partage ni les mêmes références ni les mêmes goûts. Du coup, j’ai cherché une autre équipe de monteurs et quand je l’ai trouvée, j’ai accroché tout de suite. Il faudrait vraiment dire aux gens que l’on rencontre et avec lesquels on n’accroche pas, que ce soit dans sa vie personnelle ou professionnelle, qu’il vaut mieux éviter de les fréquenter. Ça se joue dans les premières secondes. Du coup, on a tout recommencé à zéro. Le double challenge du montage, c’était d’éviter que le film soit trop manichéen et que l’on éprouve de l’empathie pour Tony. Pour Georgio aussi bien sûr, mais pas trop non plus, car c’est de son point de vue à elle que l’histoire est racontée. J’ai justement supprimé des scènes dans lesquelles lui était présent mais pas elle, et qui rendaient le récit trop confus. On ne comprenait pas vraiment qui faisait du mal à l’autre. Ça nous a donc paru nécessaire de resserrer sur elle.

Et justement, puisqu’on parle du montage, la version du film tel qu’il est sorti en salles, est-elle la même que celle que vous avez présenté au Festival de Cannes ? 

Maïwenn : Non, j’ai coupé cinq minutes de plus. Non pas à cause de critiques ou de remarques que j’ai pu recevoir, mais parce que j’avais terminé le montage six jours avant de présenter le film à Cannes. J’étais lessivé, je ne dormais plus, il me manquait clairement du recul. C’est en le revoyant après le Festival que je me suis dis qu’il fallait légèrement modifier certaines choses, donc je les ai changées. Mais ça reste le même film.

Avant de nous quitter, j’aimerais vous demander une dernière chose : d’une façon un peu générale, quel rapport entretenez-vous avec le cinéma, que ce soit dans votre façon d’en faire ou d’en voir ?

Maïwenn : Il faut savoir que la façon dont j’aime le cinéma n’est pas forcément la même façon dont j’aime faire des films. Je sais que je suis catalogué comme « réalisatrice réaliste », mais ce n’est pas pour autant que c’est le seul genre de films que j’aime faire. Il se trouve qu’effectivement sur le plateau, j’essaie toujours d’obtenir cette vérité que je cherche tant, parce que je pense que c’est le meilleur moyen pour que le public puisse croire en mon film et à l’émotion qu’il dégage. Je ne me vois pas adopter la même direction que celle de Robert Bresson et pourtant j’adore son cinéma. D’une manière plus générale, je peux vous dire que j’aime passionnément le cinéma, tous les genres, tous les pays, toutes les époques et toutes les histoires. Et même si on me considère comme une adepte du « cinéma vérité », vous verrez bientôt que je n’ai pas dit mon dernier mot et que je suis capable de faire bien d’autres choses.

Mon Roi est disponible en DVD, Blu-Ray et VOD depuis le 26 février 2016.

Propos recueillis par le Cinéphile Reporter.

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