Un grand merci à Elephant Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Le signe du païen » de Douglas Sirk.
« Un ennemi à qui on laisse la vie sauve reste un ennemi »
En l’an 450, alors que les rivalités entre les empereurs de Rome et de Constantinople fragilisent la toute-puissance de l’empire romain, Marcian, un centurion chargé d’acheminer un message vers Constantinople, est capturé par les Huns. Leur chef, Attila, le fléau de Dieu, a décidé de profiter de la décadence de l’empire pour faire tomber les murs de Rome.
« Une bataille comme une femme a plus de valeur quand on doit se battre pour la gagner »
Après de timides débuts, la carrière américaine de Douglas Sirk connait un coup d’accélérateur au début des années 50 : le succès de films comme « Qui donc a vu ma belle ? » (1952) et du mélo « All I want » (1953) avec la grande Barbara Stanwyck lui permettent d’enchainer les projets. Ainsi, l’année 1954 est une année à part dans la carrière du cinéaste, qui réalise pas moins de trois films : un western (« Taza, fils de Cochise » avec Jeff Chandler), un mélodrame (« Le secret magnifique » avec Rock Hudson) et, chose plus étonnante, un péplum : « Le signe du païen », porté par deux vedettes de l’époque : Jack Palance et Jeff Chandler. Centré sur le personnage d’Attila, le film nous entraine à l’époque de l’épopée des Huns, des « invasions barbares » et de la résistance de Rome. Avec en filigrane le portrait de Marcie, fameux centurion qui finira par devenir empereur de l’Empire romain d’Orient.
« Rome ne tombera jamais car aucun homme ne pourra jamais faire la conquête de Dieu »
Film rare, « Le signe du païen » est avant tout une curiosité cinématographique. L’incursion improbable d’un cinéaste spécialisé dans le mélodrame et à la sensibilité délicate dans le genre peu amène du péplum. Un genre alors pourtant très en vogue à Hollywood, qui donne lieu à des superproductions très populaires et à consonances fortement bibliques (« Ben Hur », « Quo Vadis », « Spartacus », « La tunique », « Jules César »), qui, dans un contexte de Guerre Froide, exaltent la Foi chrétienne comme un symbole des valeurs occidentales de libertés religieuses et de pensée, par opposition aux régimes oppressifs de l’Est. Bien évidemment, « Le signe de païen » n’échappe pas à cette dimension. D’ailleurs, la symbolique de ces « barbares » venus de l’est pour soumettre et conquérir par la force les contrées libres et civilisées de l’ouest demeure très forte, et résonne comme un écho aux tensions engendrées par la peur des « Rouges » (l’Amérique sort tout juste de la Guerre de Corée et de la Chasse aux sorcières). Mais Sirk se démarque des standards du genre et prend ses spectateurs à contrepied : si bien évidemment, le héros du film demeure Marcien, le brave et loyal centurion qui défendra seul Rome, la Cité chrétienne, déjà désertée par l’empereur et sa cour, le film lui n’a d’yeux que pour Attila, dont le personnage il est vrai bénéficie de l’interprétation exubérante du génial Jack Palance qui vampirise le film par son charisme. Un personnage que Sirk présente comme étant volontiers plus complexe et modéré qu’un simple barbare sanguinaire : certes, l’homme est cruel est assoiffé de vengeance et de conquêtes, mais il est avant tout présenté comme un fin stratège (il gracie le centurion dans le seul but d’apprendre les techniques militaires romaines) aussi capable de magnanimités (il gracie à plusieurs reprises des chrétiens que ses hommes veulent massacrer), dont la seule faiblesse réside dans ses superstitions qui le conduiront à sa propre perte. Une nouvelle fois, Sirk s’en sort par une légère pirouette qui lui permet de brocarder les excès de croyances et de religion. Sur la forme, le film, bien que mineur, se laisse suivre sans déplaisir, Sirk assumant le parti pris de privilégier l’aspect esthétique de son film plutôt que sa véracité historique.
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