Cher Hans Zimmer

Cher Hans Zimmer,

Hans-Zimmer

Je sais, je t’écris un peu tard, mais il fallait que je prenne le temps de digérer ce cadeau orgiaque que tu m’as offert. C’était le 23 avril dernier. Je me suis rendu au Palais des Congrès de Paris pour voir ton premier concert live en France. Pourquoi as-tu mis si longtemps pour venir dans notre beau pays ? Bien sûr, je ne peux pas t’en vouloir, tant tu sembles avoir reculé pour mieux sauter. Je vais le dire sans exagération : ton concert était un pur orgasme auditif. Mais au-delà du plaisir immédiat de réécouter un panel riche et varié de ta discographie, ta prestation sur scène est assez révélatrice du talent qui te permet d’être considéré à juste titre comme l’un des compositeurs de musiques de films (voire de musique tout court) les plus importants de ces vingt dernières années. Tu possèdes un vrai sens du spectacle, sachant mettre en mouvement ta musique par une scénographie que l’on accorderait aisément avec ta façon de sublimer la cinétique de certains films (surtout ceux de Gore Verbinski, spécialiste de la gestion des corps et de leurs facultés parfois improbables). Tu sais mettre en valeur le moindre des instruments que tu emploies dans tes partitions, laissant à tous l’occasion d’exprimer les émotions que leur son sous-tend, magnifié par les musiciens de talent qui t’accompagnent dans tes aventures (avec une mention spéciale pour le batteur Satnam Ramgotra). Mais surtout, tu sais mettre en valeur le moindre des projets sur lesquels tu travailles, même quand ceux-ci sont déjà morts de l’intérieur. Il est quand même dingue de voir qu’en seulement treize minutes de thème mêlant concerto pour clarinette et dubstep, tu rends au personnage d’Electro de The Amazing Spider-Man 2 toute la complexité que le film est incapable de lui donner.

Alors oui, je pourrais pinailler en rappelant que tu as parfois frôlé l’auto-caricature, voire l’auto-plagiat (n’est-ce pas Gladiator et Pirates des Caraïbes…), mais je préfère largement rendre hommage à ces expérimentations musicales qui ont fait ta marque, au point d’instaurer au fil des ans de nouveaux standards pour le reste de l’industrie. En même temps, qu’il s’agisse de Junkie XL, Steve Jablonsky, John Powell ou encore Henry Jackman, tous les nouveaux talents d’Hollywood sont passés sous ton giron avant de voler de leurs propres ailes. Ton influence est évidente, parfois envahissante, mais elle est avant tout au service du médium cinématographique, poussant les réalisateurs à ne pas penser la musique comme un simple accompagnement. On comprend d’ailleurs pourquoi tu aimes tant collaborer avec les mêmes cinéastes. Tu instaures une véritable relation de confiance, permettant à ton art de sublimer le septième en s’immisçant plus aisément dans le montage, voire la diégèse. En effet, il suffit de se raccorder au thème de Bane de The Dark Knight Rises, ponctué par ce chant tribal entêtant premièrement extradiégétique avant qu’il ne soit scandé par les prisonniers de la fosse. Son sens (« Rise ») nous impose de le remarquer, et de comprendre que l’antagoniste du film est celui qui aide indirectement Batman à redevenir cette légende qu’il avait cessé d’être. Par la simple relation entre l’image et la musique, tu as su exprimer tout en subtilité l’une des thématiques principales de la saga de Christopher Nolan : le besoin pour le héros d’avoir un ennemi, sans lequel il n’a pas de raison d’exister.

Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ton concert se soit fini par tes travaux sur les longs-métrages du réalisateur britannique, qui t’a probablement offert tes plus belles œuvres. Je dois te l’avouer, si tu es l’un de mes compositeurs préférés, c’est parce que tu as collaboré avec mon cinéaste préféré. C’est grâce à vous que j’en suis là aujourd’hui, à parler fièrement de cinéma. Vous m’avez tous les deux révélé à ma passion, dès The Dark Knight, avant de me porter le coup final avec Inception. Comme tu pourras t’en douter, ce film est à mes yeux bien plus qu’un simple film, il est une expérience sensorielle que je n’avais peut-être jusqu’alors ressenti qu’avec Star Wars. Au-delà de la richesse de l’univers et de la structure, ainsi que sa portée métaphysique sur le cinéma et l’imaginaire, ce chef-d’œuvre est en premier lieu un pur monument d’immersion, qui doit beaucoup à tes compositions, et à leur relation avec la mise en scène de Nolan. Tu floutes là encore la frontière entre diégèse et extradiégèse (notamment sur l’utilisation de la chanson Non je ne regrette rien, présente dans la narration et qui te sert de base mélodique), tandis que ta gestion des leitmotivs et de la signification des instruments (les cors violents qui annoncent le réveil des personnages d’une strate de rêve) donnent sens aux principes de science-fiction complexes du récit. Rarement une musique de film n’a autant pris vie pendant mon visionnage. En cela, tu rejoins John Williams dans le rapport que j’ai désormais avec la bande-originale, dans son respect et sa mise en valeur, autant que faire se peut. Je reconnais aujourd’hui les plus grands grâce à ce choc que tu m’as offert. Il était donc normal que tu boucles la boucle en terminant ton concert sur les thèmes de ce film merveilleux, et tout particulièrement ton chef-d’œuvre absolu, Time, ostinato épuré dont on ne ressort pas indemne. Toute la nostalgie et le poids du temps que ce morceau traduit atteint ma propre jeunesse cinéphile, que tu accompagnes depuis toujours. Je repense alors à Pirates des Caraïbes, au Roi Lion, aux Dark Knight, à Gladiator, à Madagascar, à Kung Fu Panda, à Sherlock Holmes, à Rango, à Man of Steel, à La Ligne rouge ou encore à Interstellar. Bref, au temps que j’ai passé avec toi, en attendant de savoir si la toupie s’arrête de tourner ou non.

Avec toute mon admiration.

Le Cinéphile Cinévore

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