Un grand merci à Elephant Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Tout ce que le ciel permet » de Douglas Sirk.
« S’il y a bien quelque chose que je déteste, ce sont les vieux qui jouent les jeunes. Comme le dit Freud, passé un certain âge, la sexualité a quelque chose d’incongru »
Cary Scott est une jeune et riche veuve dont la vie est partagée entre l’ennui et les relations sociales qu’elle entretien avec les habitués huppés du Country-Club local. Elle s’est toujours refusé à trouver un nouvel amour par peur du qu’en-dira-t-on. Mais Ron Kirby, un jeune pépiniériste de condition modeste et s’occupant de son jardin, va raviver des sentiments longtemps refoulés, au risque de s’attirer les foudres de ses deux grands enfants et de ses amis du Club.
« Le secret, c’est d’être sincère avec soi-même. La sécurité, il la trouve en lui-même et rien jamais ne pourra la lui retirer. Il refuse de donner de l’importance à des choses sans importance »
Après des débuts hollywoodiens en dents de scie, l’arrivée des années 50 marque un coup d’accélérateur dans la carrière de Douglas Sirk. Le cinéaste d’origine allemande enchaine quelques jolis succès au box-office qui lui permettent de multiplier les projets. Mais c’est surtout c’est surtout autour des années 1953 et 1954 que sa carrière est la plus prolifique, le cinéaste tournant pas moins huit films en un peu plus de deux ans. Et pas des moindres, puisque c’est à cette période qu’il tourne notamment « All I desire » et « Le secret magnifique », mélodrame porté par un duo inédit d’acteurs : le jeune premier Rock Hudson et l’expérimentée Jane Wyman, ex-Madame Ronald Reagan à la ville, déjà lauréate d’un Oscar de la meilleure actrice pour le drame « Johnny Belinda » en 1949. Fort du succès du film, Universal souhaite reconduire à l’écran le couple Wyman/Hudson et commande un nouveau mélodrame à Sirk. Ce sera « Tout ce que le ciel permet ». Le réalisateur obtient du studio de pouvoir réécrire le script qui lui est originalement présenté et plus de moyens financiers avant d’accepter de faire le film. Sous-évalué par la critique de l’époque, qui y voit une bluette à l’eau de rose, le film est néanmoins un succès en salles. Ce n’est que des années plus tard que le film sera réévalué à sa juste valeur, inspirant notamment deux variantes très proches : « Tous les autres s’appellent Ali » de Rainer Werner Fassbinder (1974) et « Loin du paradis » de Todd Haynes (2002).
« Tu exiges de moi que je renonce à lui parce que le monde est vil et méprisable ? »
« Tout ce que le ciel permet » est une sorte d’instantanée dans l’Amérique idéale des années 50 : une petite ville bourgeoise de banlieue, avec ses allées pavillonnaires propres et élégantes et son église. Et surtout sa population de parfaits WASP friqués, tous modèles de moralité et de vertu. Dans ce décor de carte postale, Sirk imagine une situation incongrue et immorale pour l’époque : une jeune veuve entre deux âges tombe amoureuse de son jardinier, plus jeune qu’elle et de condition sociale inférieure. Avec une étonnante acuité, le réalisateur confronte ainsi l’Amérique puritaine et réactionnaire et l’Amérique libérale et progressiste, annonçant avec près d’une décennie d’avance les mutations sociales à venir (marches des droits civiques et mouvements hippies). Une nouvelle fois, Douglas Sirk se sert du mélodrame pour dénoncer l’hypocrisie d’une « bonne » société dont le moralisme et la bien-pensance ne constituent qu’une façade (à l’image du mari d’une des amies de l’héroïne, qui n’hésite pas lui arracher un baiser et qui se mêlera plus tard à la foule des effarouchés), la communauté s’apparentant au final à une prison dorée étouffante, ne permettant pas l’épanouissement personnel hors de ses propres normes. L’héroïne, pourtant femme sage à la conduite irréprochable, devra ainsi faire face aux rumeurs, aux cancans, et, pire encore, au chantage affectif de ses proches, qui feront tout pour la ramener dans le droit chemin de leur conformisme social. C’est dans son dernier quart d’heure que le film trouvera toute sa puissance, l’héroïne voyant le reflet de sa solitude à venir dans l’écran d’un téléviseur que ses enfants lui offrent en guise de compagnie, plutôt que de tolérer un beau-père socialement inacceptable pour eux. La référence du titre est ainsi un pied-de-nez à cette société que Sirk brocarde : c’est justement « Tout ce que le ciel permet », à savoir l’amour et l’épanouissement personnel, qui est rejeté tel un péché par la foule des moralistes. Encore une fois, un très grand Sirk.
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