Un regard vif, pédagogique et drôle sur des débats houleux et complexes. Attention, petit chef-d’oeuvre !
La Sociologue et l’ourson s’attèle à la difficile tâche de comprendre les débats parfois rageurs et houleux qui ont accompagné le vote de la loi ouvrant le mariage à tous. Mathias Théry, et son comparse Etienne Chaillou, ont donc créé ce documentaire autour de la sociologue Irène Théry. Problème : elle ne souhaite pas qu’on la filme pour être au centre du film. Ils décident alors de contourner la difficulté en faisant figurer Irène… sous la forme d’une marionnette, d’une ourse, dans des décors réels ou reconstitués en carton. Madame Théry est alors au centre du métrage sans l’être complètement, apportant avec elle sa force, sa simplicité et une pédagogie éclairée remarquable. Pour des questions pratiques, les entretiens entre elle et son fils (« l’ourson ») se font la plupart du temps au téléphone. Avec beaucoup de tendresse, le réalisateur nous introduit dans l’univers de sa mère, dans son travail, qu’elle vit avec passion et enthousiasme. Leur intimité passe alors à l’écran par d’excellentes séquences animées.
Le recul mais aussi l’humour qui découle de ces scènes permettent alors au spectateur d’apprécier la clarté du discours tout comme la perspective historique qu’offre la sociologue, sur les divers sujets abordés : l’homosexualité, la Gestation Pour Autrui ou la Procréation Médicalement Assistée. De magnifiques séquences en noir et blanc mettent en scène ces retours historiques, alors que la voix-off d’Irène rappelle, tout en nous glaçant, les pratiques et traditions passées qui font éclater la vérité : la société change, les lois doivent suivre le mouvement. « Nous vivons des changements qui s’inscrivent en fait dans une très longue histoire. », explique-t-elle. Pédagogique et novateur, La Sociologue et l’ourson est un bijou essentiel tant pour son propos que pour sa forme cinématographique.
Les séquences animées, artisanales, sont d’une extrême précision : les gestes des marionnettes, la mise en scène des détails sont parfaits, sans pour autant se vouloir naturalistes. L’utilisation des poupées donnent corps au son, toujours réel, extrait des journaux télévisés et interviews. Judicieux et espiègle, le montage propose une vraie dimension comique. Le mélange de candeur (les marionnettes) et de sérieux (les débats) produit un détonnant décalage qui fait mouche à chaque instant. Les institutions, systématiquement réalisées en carton, incarnent la précision du regard des réalisateurs et leur point de vue critique. Dès les premiers instants, la curiosité pour la forme comme pour le fond nous accroche et ne nous lâche plus.
Le film alterne animations et images filmées par Mathias Théry, de manière amateur (caméra légère, mobile, recadrages…). Sans aucun commentaire, les images brutes laissent le spectateur libre de ses interprétations. A la différence de Merci Patron ! , dans lequel François Ruffin était de presque tous les plans, les réalisateurs s’effacent ici complètement au profit des propos. Aucune musique également, mais des sons d’ambiance et le naturel des conversations entre Mathias et sa mère, entrecoupée des bruits du quotidien. La Sociologue et l’ourson nous entraîne ainsi dans une vraie recherche d’animation doublée d’une grande clarté de discours, accessible même aux plus jeunes. Un moment rare !
La Cinéphile Éclectique (Carnets Critiques)
Réalisé par Mathias Théry et Etienne Chaillou, avec Irène Théry, Mathias Théry, François Hollande, Frigide Barjot…
Sortie le 6 avril 2016. Pour savoir où voir La Sociologue et l’ourson, c’est ici !