Un grand merci à Blaq Out ainsi qu’à Cinetrafic pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le film « Elser un héros ordinaire » de Oliver Hirschbiegel.
« Puisque vous croyez tout savoir, fusillez-moi et basta ! »
Allemagne, 8 Novembre 1939. Adolf Hitler prononce une allocution devant les dirigeants du parti nazi dans la brasserie Bürgerbräu à Munich. Une bombe explose, mais Hitler ainsi que Joseph Goebbels, Heinrich Himmler, Martin Bormann et d’autres ont quitté les lieux quelques minutes plus tôt. L’attentat est un échec. Rattrapé à la frontière suisse alors qu’il tentait de s’enfuir, Georg Elser est arrêté puis transféré à Munich pour être interrogé. Pour les Nazis, il s’agit d’un complot et on le soupçonne d’être un pion entre les mains d’une puissance étrangère. Rien ne prédestinait Georg Elser, modeste menuisier, à commettre cet acte insensé ; mais son indignation face à la brutalité croissante du régime aura réveillé en lui un héros ordinaire…
« Je n’ai jamais adhéré à rien. J’ai toujours été un homme libre. Et un homme libre doit faire ce qui est juste. Si l’Homme n’est plus libre, il meurt »
Solide réalisateur de séries pour la télévision allemande (« Tatort », « Rex chien flic »), Oliver Hirschbiegel délaisse le petit écran au début des années 2000 pour tenter sa chance sur le grand écran. Son premier film, « L’expérience » est ainsi remarqué. Mais c’est en 2004, avec « La chute », grande fresque historique sur les derniers jours d’Hitler et l’effondrement du Reich qui lui permettront d’acquérir une reconnaissance internationale. Un succès qui lui ouvre immédiatement les portes d’Hollywood. Mais deux films plus tard (« Invasion » en 2007 avec Nicole Kidman et « Diana », biopic raté sur Lady Di interprétée par Naomi Watts), force est de constater que l’expérience ne fut pas des plus concluantes. Après une nouvelle parenthèse pour la télévision (il réalise quelques épisodes de la série « Borgia »), il revient tourner son nouveau film - « Elser un héros ordinaire » - sur ses terres natales. Revenant ainsi à l’un de ses sujets de prédilection (l’Allemagne et la seconde guerre mondiale), il signe un film historique en forme de biopic consacré à Georg Elser, simple menuisier de son état, qui fomenta, seul, un attentat contre Hitler et les dignitaires du Reich, le 8 novembre 1939 à Munich. Torturé puis déporté, il fut considéré comme un « prisonnier spécial » et ne fut exécuté à la sauvette que six ans plus tard, le 9 avril 1945. Soit le même jour qu’un autre « prisonnier spécial » du Reich, à savoir l’Amiral Canaris. Longtemps méconnu, Georg Elser obtint finalement une reconnaissance posthume tardive pour sa bravoure et ses actes de résistance au cours des années 90.
« Je voulais juste empêcher que plus de sang encore ne soit versé »
Il aura fallu beaucoup (trop) de temps pour que l’Allemagne ose procéder réellement à un examen de conscience. A s’attaquer frontalement aux heures noires de son passé (le nazisme et la barbarie qu’il a généré) pourtant pas si lointain. Sans doute fallait-il attendre que les générations les plus impliquées disparaissent pour pouvoir traiter de ces sujets plus sereinement. Ce que le cinéma allemand a enfin entrepris de faire depuis une grosse dizaine d’années maintenant, multipliant les films sur le nazisme et la société allemande durant la seconde guerre mondiale (« Lore », « Le labyrinthe du silence »), sur les atrocités commises (« Phoenix », « Sous la ville ») ainsi que sur ainsi que sur les héros de l’ombre (« John Rabe », « Sophie Scholl : les derniers jours »). Déjà réalisateur du remarquable « La chute », Oliver Hischbiegel ajoute donc avec « Elser : un héros ordinaire » une nouvelle pièce à cet important devoir de mémoire. Pour autant, ce n’est pas tant l’attentat raté de 1939 qui intéresse ici le cinéaste, mais la personnalité même de Georg Elser et son cheminement personnel, intellectuel, face aux évènements de son époque dont il fut le témoin. Ou comment un citoyen ordinaire, prenant conscience de la funeste mécanique infernale qui se met peu à peu en place, peut projeter seul et par ses propres moyens de tenter de détruire le mal de l’intérieur. Par un astucieux jeu de flashbacks, qui viennent ponctuer des scènes d’interrogatoires dont il essayera autant que possible de laisser la brutalité la plus insoutenable hors-champs, le cinéaste nous replonge dans l’Allemagne des années 30. Elser est alors un jeune homme dans la force de l’âge. Un ébéniste mélomane à ses heures perdues, doublé d’un grand séducteur épris de liberté. Mais l’insouciance des jours d’été sur les rives du Lac de Constance et la légèreté des soirs de bal populaire vont peu à peu laisser apparaitre des chemises brunes, des uniformes et des croix gammées, comme autant de symboles d’une nazification rapide de la société allemande. Les traditionnelles rixes du samedi soir entre nazis et communistes se font de plus en plus violentes jusqu’à la traque et la déportation de ces derniers vers des camps de travail dont ils ne reviendront pas. La stigmatisation des juifs, humiliés en place publique, se fait jour. Et puis, apparait également un espèce de harcèlement envers tous ceux (dont Elser et sa famille) qui n’adhèrent pas au parti : les enfants des jeunesses hitlériennes qui insultent les catholiques allant à la messe, l’inégalité des salaires, la mise à l’écart progressive de la vie de la Cité. Volontiers libre penseur, Elser refuse d’abord de prendre parti, davantage préoccupé par sa relation avec une femme mariée qu’il espère arracher à son mari (intrigue secondaire en soi, touchante mais un peu hors sujet). Ce qui ne l’empêche pas de garder un regard acerbe et lucide sur la situation politique de son pays. C’est d’ailleurs parce qu’il est finalement convaincu de l’inéluctable catastrophe qui menace de s’abattre sur l’Europe qu’il décide finalement de tenter d’enrayer la machine. Si malheureusement son plan échouera (Hitler quitte la salle 13 minutes avant l’explosion de la bombe), la précision de son projet et le perfectionnement de sa bombe furent tels que la police refusera de croire à l’action d’un homme seul et enquêtera des mois durant sur d’éventuelles complicités. Intelligemment écrit - rarement un film avait montré avec une telle acuité la nazification de la société (à part peut-être, dans une forme plus légère, « Cabaret » de Bob Fosse) - captivant de bout en bout, « Elser : un héros ordinaire » est un film magistral à découvrir absolument. Hischbiegel signant là un très bel hommage au courage d’un homme libre jusqu’au bout.
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