Le plus grand cinéaste en activité, Steven Spielberg, n'a jamais été aussi prolifique. C'est peut-être un peu en réaction à sa fameuse " prophétie " sur l'avenir du cinéma d'il y a 2 ans, où lui et son vieux complice George Lucas faisaient part de leur inquiétude en prédisant une "implosion" du système lorsque plusieurs tentpoles seraient amené à faire un bide au box-office. Vision pas franchement rassurante, qui est quelque part assez ironique puisque, après avoir défini le cinéma mainstream tel qu'il est aujourd'hui grâce aux premiers blockbusters Les Dents de la Mer et Star Wars, Spielberg et Lucas prédisent désormais sa fin, en justifiant cela par l'augmentation des coûts de production, du prix des places et enfin par la multiplication des écrans. Ce qui est sûr, c'est que le célèbre entertainer semble accélérer la cadence : moins d'un an après le très humaniste Pont des Espions et même pas 2 ans avant la sortie du très attendu Ready Player One, transposition ciné du best seller SF d' Ernie Cline, l'immense réalisateur présente aujourd'hui son Bon Gros Géant hors compétition au 69ème Festival de Cannes.
Adaptation " live " du roman pour enfants de Roald Dahl, Le Bon Gros Géant est, en réalité, un projet dans les cartons de Disney depuis plus de 20 ans - initié à l'origine en 1993 par le couple Kathleen Kennedy et Frank Marshall, avec feu Robin Williams dans le rôle du géant, mais hélas abandonné à cause d'une technologie CGI pas suffisamment avancée à l'époque pour mettre en images l'écrit de Dahl - qui compte aujourd'hui dans ses rangs Mark Rylance, oscarisé, à raison, pour son rôle dans Le Pont des Espions, la novice Ruby Barnhill ainsi que les confirmés Rafe Spall, Jemaine Clement, Penelope Wilton, Rebecca Hall et Bill Hader. Derrière la caméra, on retrouve des habitués de Spielberg ( Michael Kahn, Janusz Kaminski, la regrettée Melissa Mathison, décédée en novembre dernier, à la plume du scénario du film, ainsi que le légendaire John Williams à la musique), mais aussi Robert Stromberg, crédité ici chef décorateur et connu pour avoir officié sur le génial Avatar et plusieurs adaptations live de célèbres contes plus ou moins réussies ( Alice au pays des merveilles, Le Monde fantastique d'Oz, Maléfique). Enfin, comme avec Les Aventures de Tintin, Spielberg a décidé d'utiliser la technique, encore controversée, de la performance capture pour représenter le personnage et l'univers de Dahl, un choix qui paraît tout à fait justifié quand on voit le résultat.
L'histoire du Bon Gros Géant raconte la rencontre entre Sophie, une fillette de 10 ans, et un gentil géant, qui va lui faire découvrir les merveilles et les dangers du Pays des Géants. Mais quand des méchants géants mangeurs d'hommes sèment la terreur, Sophie, épaulée par le Bon Gros Géant et la reine d'Angleterre se lancent dans une aventure épique pour les stopper. A l'issue de la projection, le constat est frappant : Le Bon Gros Géant est une adaptation respectueuse du roman de Roald Dahl, qui communie parfaitement avec l'humanisme et la générosité de Spielberg. Les festivités sont lancées à vitesse grand V : en quelques scènes à peine, on réalise à quel point le personnage de Sophie s'apparente parfaitement aux chimères et au discours du réalisateur américain, avec l'impression de revivre, au plan près, l'excellente ouverture de Hook : la fillette intrépide, élevée dans un orphelinat londonien, puis enlevée par une créature fantastique venant la chercher à travers une fenêtre ouverte pour la transporter dans les rues de la City jusqu'au bout du monde, dans un univers merveilleux. La découverte d'une galaxie féérique, l'extraordinaire amitié entre un géant et une fillette, la magie des rêves révélée...tout cela rappelle le plus mal aimé des Spielberg (avec Indiana Jones 4), mais ici, la mayonnaise prend davantage. Comme si Spielberg avait appris de cet "échec" (échec entre guillemets, au sens où Hook est tout de même dotée de qualités) pour livrer un meilleur produit.
Il faut dire que cette introduction hors normes est surtout l'occasion de constater que Spielberg aurait certainement fait un excellent metteur en scène pour la saga Harry Potter. Peut-être était-ce son envie d'exorciser le fait d'avoir décliné, à contre cœur, la proposition de la Warner de réaliser le premier opus de la franchise ( Spielberg voulait engager le comédien américain Haley Joel Osment pour le rôle du sorcier mais sa nationalité non anglaise ne convenait ni à la production ni à J.K. Rowling), toujours est-il qu'on devine aisément que cela lui collait à la peau depuis longtemps. Spielberg prend ainsi son temps pour développer l'ouverture en exposant des personnages attachants, avec des enjeux simples et clairs, le tout en faisant preuve d'un savoir-faire formel totalement intact (jeux hallucinants de perspectives, d'échelles, de reflets et de lumières), au point que la suite immédiate paraît un chouia moins élevée en terme qualitatif, quoique le passage de la rencontre entre Sophie et le BGG mérite à lui seul la venue en salles. Ce morceau très plaisant rappelle d'ailleurs, à certains égards, une autre collision bouleversante du cinéma, celle entre le timide Elliott et le gentil extraterrestre dans le chef-d'œuvre E.T. (pas étonnant d'ailleurs, quand on sait que Melissa Mathison était également la scénariste de ce petit bijou). Le réalisateur s'éclate ensuite comme un enfant, enchaînant plusieurs séquences réjouissantes avec panache et émotions. On retient, entre autres, celle de la découverte de la source d'où naissent les rêves. Les yeux écarquillés et larmoyants, la bouche grande ouverte, le corps tétanisé ... même réaction qu'à la découverte des dinosaures du cultissime Jurassic Park, ou que lors des scènes-clés d'un autre grand film projeté hors compétition l'an dernier à Cannes, le fantastique Vice Versa. Nous citons volontairement la pépite Pixar, car on s'imagine facilement, en voyant cette scène, combien Spielberg a adoré le film d'animation de Pete Docter et Ronnie Del Carmen et combien celui-ci a pu jouer un rôle déterminant dans l'inspiration du Bon Gros Géant.
Titre Original: THE BFG
Réalisé par: Steven Spielberg
Sortie le: 20 juillet 2016
Catégories : Critiques Cinéma
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