[Cannes 2016] Jour 5 : Eloge de la courgette

Par Boustoune

Qu’est-ce qu’on disait à propos du montage, dans notre chronique d’hier? Que c’était une étape indispensable du processus de création d’un film et que c’est ce qui permettait de lui donner sa structure, son rythme, son souffle. Eh bien Andrea Arnold a dû oublier ces fondamentaux. En version plus condensée, son American Honey aurait pu nous séduire par sa liberté de ton, son énergie, son regard sur une jeunesse américaine pleine de rêves et d’espoir, retrouvant les plaisirs de la vie en communauté. Mais étiré péniblement sur plus de 2h30, ce récit initiatique en forme de road-movie finit par susciter un ennui profond. De la même façon, ses personnages, attachants de prime abord, ne tardent pas à nous taper sur les nerfs. Surtout, on ne voit pas bien où elle veut en venir. Sans doute faut-il prendre American Honey comme un instantané du Midwest américain, une petite chronique autour d’un passage à l’âge adulte, comme pouvait l’être Fish Tank. Mais ce dernier avait l’avantage d’être plus court et plus percutant.
Il y a bien quelques belles scènes à sauver de ce film indigeste. Par exemple, toutes les scènes filmées dans le minibus, avec cette bande d’acteurs non-professionnels recrutés dans les mêmes conditions que leurs personnages ou certaines séquences où les adolescents chantent et dansent pour se motiver avant de partir chasser le client. Mais c’est insuffisant pour nous débarrasser de cette impression de lourdeur et d’ennui.

Nous avons préféré l’autre film en compétition du jour, Mal de pierres. Le public aussi, visiblement, au vu de la longue ovation réservée à la réalisatrice, Nicole Garcia, et à son nouveau long-métrage.
Soyons clairs, Mal de pierres n’est pas le film le plus brillant du festival, et il ne révolutionnera pas non plus le septième art. Mais c’est un mélodrame particulièrement efficace, qui bouleversera sans doute plus d’un spectateur. Ici, pas de problème de rythme. Le découpage est subtil. La mise en scène est sobre, discrète, préférant laisser aux acteurs le soin de véhiculer les émotions. On peut le comprendre : Marion Cotillard, la “petite fiancée de la Croisette” est une fois de plus magnifique. Elle incarne avec intensité  le personnage principal, une femme emporté par ses désirs, passionnée, vibrante, à la limite de la folie.
Elle s’inscrit naturellement parmi les grandes favorites pour le prix d’interprétation féminine.

Bien que nous ayons adoré chacun de ses personnages, Ma vie de courgette ne reportera pas de prix d’interprétation. La raison? Déjà, il n’était pas présenté en compétition officielle, mais à la Quinzaine de réalisateurs. Et surtout, il s’agit d’un film d’animation. Mais quel film! Quel beau film, plein de poésie et de chaleur humaine!
Déjà, il y a l’environnement visuel, accueillant, qui évoque les dessins d’enfants et les souvenirs de jeunesse. Puis les protagonistes, des marionnettes au design assez simple mais très expressives. Il ne faut que quelques minutes pour les adopter et les aimer.
Il y a aussi une jolie histoire, qui touchera aussi bien les enfants que leurs parents. Pour écrire le scénario, Céline Sciamma, s’est appuyée sur “Autobiographie d’une courgette” de Gilles Paris. On suit l’arrivée d’Icare, surnommé “Courgette” dans un foyer pour enfants. Son père a quitté depuis longtemps le foyer familial et sa mère vient de décéder. Il se heurte d’abord à l’hostilité de Simon, le caïd du groupe, avant de devenir son meilleur ami. Il s’attache aussi à tous les autres pensionnaires, Béatrice, Ahmed, jujube, Alice, qui ont tous des histoires bouleversantes. Et puis il y a Camille, la petite dernière, dont il tombe instantanément amoureux. Ces petites tranches de vie au foyer laissent entrevoir les traumas de ces enfants, leurs peurs profondes, mais exposent aussi leur joie d’être ensemble et de reconstituer ainsi la cellule familiale qui leur fait défaut.
Enfin, il y a la mise en scène de Claude Barras, assez élaborée pour un film d’animation, avec ses plans-séquences, son refus du champ-contrechamp, ses subtils effets de transition.
L’ensemble donne une oeuvre magnifique, qui a elle aussi été ovationnée par les spectateurs de tous âges et toutes nationalités.

Le triomphe cannois, Eran Kolirin avait connu cela avec La Visite de la fanfare, présenté à Un Certain Regard en 2007. Il est revenu dans cette même section avec son nouveau long-métrage, Au delà des montagnes et des collines.
Il s’agit d’un récit choral qui s’intéresse à quatre membres d’une famille israélienne, leurs petits problèmes quotidiens et aux tourments moraux qui les assaillent subitement, pour des raisons très différentes. Le père, ancien militaire, essaie de se reconvertir dans la vente à domicile, mais peine à gagner des clients. Une nuit, il se défoule en déchargeant son revolver en direction des collines, et tue accidentellement un jeune Palestinien. Il essaie alors d’effacer toute trace de sa culpabilité. Son épouse, elle, est confrontée à la crise de la quarantaine, et faute en couchant avec l’un de ses élèves. Leur fils aîné, fou de rage, se vengera en cognant sur l’adolescent. Et leur fille cadette, un brin rebelle, fricote avec un jeune Arabe aux intentions troubles…
Kolirin dresse le portrait d’une société israélienne tellement obnubilée par le conflit avec le voisin palestinien, qu’elle oublie de s’intéresser aux problèmes du quotidien. Il dénonce aussi cette culture de l’impunité, cette mentalité qui consiste à se dédouaner de ses fautes et de sa responsabilité.
Au delà des montagnes et des collines est un film solide, soutenu par des performances d’acteurs convaincantes et de beaux moments de cinéma. Mais il souffre aussi des défauts inhérents à ce genre de structure narrative. Les parties sont inégales, les personnages ne sont pas tous logés à la même enseigne. Et on ne retrouve pas la poésie de La Visite de la fanfare.
Cela se ressent dans l’accueil que le public a réservé au film, assez froid et timide.

Il en va ainsi pour les films projetés au festival de Cannes. Certains sont accueillis avec des couronnes de courgettes, d’autres avec des tomates pourries, et entre deux, une indifférence polie.
Dogs, premier film du roumain Bogdan Mirica, et One week and a day d’Asaph Polonsky semblent être plutôt “courgette” alors que Tour de France de Rachid Djaïdani et Chouf de Karim Dridi semblent avoir récolté des “tomates”.

Qui seront les grands gagnants du potager cannois pour la sixième journée? réponse demain avec la suite de ces chroniques cannoises.