Emperor Tomato Ketchup (La chasse aux adultes)

emperor tomato ketchup

Genre : expérimental, trash, inclassable (interdit aux - 18 ans/ - 16 ans)
Année : 1970
Durée : 1h25 (originel), 1h16, 55 et 26 minutes

L'histoire : Dans le Japon de la fin des années soixante, les enfants se révoltent contre l'autorité parentale et prennent le pouvoir par les armes. Une nouvelle forme de société se met en place où violence et libération sexuelle sont mises au centre du système. Vient alors le temps de l'Emperor Toma Ketchup, un gosse despote et tyrannique qui fait régner la terreur et se permet tous les excès. 

La critique :

Voici donc que le fameux Emperor Tomato Ketchup débarque sur le blog. Et avec lui, une sulfureuse réputation d'oeuvre à scandale qu'il traîne depuis quatre décennies. Alors mérite-t-il réellement ce maelström de fantasmes rattaché à son nom? A vous de juger. Lorsque l'on demande aux spécialistes du septième art quels sont pour eux, les films les plus licencieux de l'histoire du cinéma, ceux-ci mentionnent volontiers Orange Mécanique de Stanley Kubrick, Saló de Pier Paolo Pasolini ou encore Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato. 
Très peu citent Emperor Tomato Ketchup, un ovni signé Shuji Terayama. A la décharge des cinéphiles, ce film expérimental est si confidentiel que l'on a plus de chance de gagner à l'Euro Millions que d'y mettre la main dessus... surtout dans sa version intégrale. C'est bien là le problème de l'oeuvre de Terayama: oui, elle comporte des scènes choquantes. Tant est si bien qu'elle a été hachée, débitée, saucissonée par la censure.

Résultat, il n'existe pas moins de quatre versions du film. A l'origine, la durée initiale était de 85 minutes. Mécontent du résultat final car le jugeant trop surchargé, Terayama le fit réduire à 76 minutes (version dont nous parlons aujourd'hui). Léger problème : même amputé de neuf minutes, Emperor Tomato Ketchup présente des scènes érotiques, dont certaines assez poussées, entre adultes et enfants... Pour qu'il soit plus facilement diffusable (façon de parler au vu de son exceptionnelle rareté), le film fut encore largement édulcoré pour se voir réduit à 55 minutes. 
Enfin, une version court métrage d'environ 26 minutes et destinée au marché européen, verra le jour en Allemagne en 1971. C'est de cette dernière version que sont extraits les quelques passages, tout à fait grand public, et disponibles sur YouTube.
Disparu en 1983, à l'âge de 48 ans, Shuzi Terayama fut d'abord directeur d'une troupe théâtrale qu'il fonda avec sa femme, puis se reconvertit dans la poésie et le roman.

Il créa notamment de nombreux feuilletons radiophoniques et devint un auteur à succès. Au cours de l'une de ses interventions sur les ondes, intitulée "La chasse aux adultes", il annonça à la population affolée que les enfants s'étaient révoltés et qu'ils avaient pris le pouvoir par les armes. Il imitait ainsi, d'une certaine manière, Orson Welles qui, un soir de 1938, fit croire à l'Amérique tout entière que les extraterrestres avaient débarqué ! Inutile de dire que cette annonce fit son petit scandale au pays du soleil levant. Dans l'esprit de ce provocateur né qu'était Terayama, l'idée de l'Emperor Tomato Ketchup venait de naître. Attention spoilers: Dans le Japon des années soixante, un monde surréaliste a pris forme. Les enfants ont lancé une vague de répression armée contre l'autorité parentale.
Les gosses habillés en soldats, affublés de moustaches et barbes postiches (synonyme de pouvoir), envahissent les rues, traquent les adultes, les parquent dans des camps et les réduisent en quasi esclavage. Le nouvel empereur préconise le ketchup comme l'emblème de la nation et nouveau symbole de cette révolution.

Ce gamin tyrannique régnera jusqu'à son adolescence où un enfant, plus jeune, viendra lui succéder. Dépourvu d'une quelconque structure narrative, Emperor Tomato Ketchup se révèle être un incroyable foisonnement d'images, un fourre tout visuel tantôt choc, grotesque ou naïf. Une oeuvre bourrée de métaphores et de symboliques ouvertement revendiquees. Sans fil conducteur precis, le film se présente comme une succession de saynètes et de tableaux vivants dans lesquels les enfants-acteurs s'en donnent à coeur joie et laissent libre cours à une énergie débordante.
D'ailleurs, le réalisateur avouera plus tard qu'il eut bien du mal à canaliser les quelques soixante dix gamins réquisitionnés sur le tournage ! On sent grandement l'influence du théâtre d'improvisation cher à Terayama, dans les décors, les danses et les scènes morbides de cabaret où pointe toujours un érotisme latent. Pas besoin de dialogues, un narrateur raconte les événements d'une voix monocorde.

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Dans un Japon encore meurtri du souvenir des bombes de 1945, le réalisateur dresse un violent réquisitoire. Et tout le monde en prend pour son grade: les militaires, la société de consommation et l'américanisation galopante des moeurs (d'où la référence au ketchup), la monarchie et le communisme. Ainsi, le film commence par une scène où l'on voit une main rayer les portraits de Marx, Mao, Dostoesvsky ou encore de Jean Harlow, la vamp du Hollywood des années 30. 
En gros, plus d'icônes, plus d'idéal, plus de valeurs. Parmi les scènes marquantes, nous en relèverons quelques unes pour le moins bizarres. Ainsi lorsque deux gosses s'affrontent au ping pong et qu'une femme nue et ligotée est disposée sur la table en guise de filet. Ou bien cette interminable partie de pierre-feuille-ciseaux qui voient des belligérants s'opposer alors qu'en fond sonore, on entend les hurlements d'un Hitler déchaîné. Évidemment, l'érotisme est constamment sous jacent. Sur ce point, Terayama, adepte de la "révolution des sens" met le paquet et explose son propos au delà de toute convention.

Le caractère extrême et subversif de certaines images peut, sans nul doute, déstabiliser et marquer le spectateur. Cependant, je passerai sous silence ces quelques scènes car je ne vois pas l'utilité d'en faire étalage. Pourtant, ce sont (en grande partie) ces scènes impudiques qui ont fait la réputation du film de Shuzi Terayama, c'est à dire une oeuvre absolument hors normes. Le film est présenté dans un noir et blanc classique pour sa version court métrage. Par contre, les versions longues sont filmées en ton sépia où le réalisateur utilise, en plus, des filtres voilés qui rendent certaines plans comme évanescents. Bref, le cinéaste délivre un objet expérimental tant sur le fond que sur la forme, qui tient plus de l'exercice de style qu'autre chose. Emperor Tomato Ketchup ressemble furieusement à un conte surrealiste, qui revendiquerai haut et fort son côté iconoclaste. Chroniquer un tel ovni, avec son lot d'images borderline, n'a pas été une partie de plaisir et j'ai dû prendre les précautions d'usage pour ne pas flirter avec le scabreux.
Bien que le film de Terayama ne soit nullement pornographique, les excès dont fait preuve le réalisateur ne sont décemment pas racontables. Toutefois, il est impératif de replacer cette oeuvre dans le contexte d'une époque libertaire où tout l'on se permettait tout et n'importe quoi. 
En conclusion, par les controverses qu'il a suscité, par son extrémisme vain mais fascinant et surtout par la transgression avant gardiste dont a su faire preuve son génial créateur, Emperor Tomato Ketchup reste, plus de quarante ans après sa sortie, une expérience unique dans l'histoire du cinéma. 


Note : ???

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