[Cannes 2016] Jour 7 : Femmes, femmes, femmes…

Les femmes étaient à l’honneur aujourd’hui sur la Croisette, notamment dans les films en compétition officielle.

Julieta - 3

Déjà, dans Julieta, de Pedro Almodovar. On le sait, le cinéaste espagnol est un excellent directeur d’actrices, qui sait mettre en valeur le talent de ses interprètes en leur donnant à défendre de magnifiques portraits de femmes. C’est encore le cas dans ce nouveau long-métrage, un mélodrame généreux, articulé autour de passions dévorantes, de non-dits et de secrets de familles.
Le cinéaste explore les drames qui ont brisé la vie de Julieta (incarnée, jeune, par Adriana Ugarte et, plus âgée, par Emma Suarez) : Le décès d’un homme, quelques minutes après leur rencontre dans un train, puis celui de son mari, emporté par une tempête, après une dispute de couple, et enfin la disparition mystérieuse de sa fille Antia, qui l’a quittée sans explications, sans lui dire au revoir, et sans indice lui permettant de retrouver sa trace. Cette trame narrative foisonnante permet à Almodovar de traiter des relations complexes entre parents et enfants, de la culpabilité et des remords, du destin et de ses aléas,
Certains trouveront sans doute le scénario trop chargé, trop appuyé, mais cette générosité fait partie intégrante du cinéma de Pedro Almodovar, au même titre que la richesse esthétique de chacun des plans. Comme à son habitude, Almodovar glisse dans le cadre des motifs récurrents – couleurs, formes, symboles – qui représentent les personnages ou les différents arcs narratifs.
Que l’on soit sensible ou non à cette histoire mélodramatique, impossible de ne pas saluer ce travail de mise en scène minutieux ou le jeu des comédiennes, toutes impeccables.

Personal shopper - aff pro

Dans Personal shopper, Olivier Assayas livre aussi un beau portrait féminin. Celui de Maureen, une jeune femme réservée, assez effacée qui gagne sa vie comme “personal shopper” d’une star. Son rôle est d’acheter ou louer des vêtements luxueux qui permettront à son employeur de briller en société, lors des cocktails mondains ou des soirée de galas. Elle déteste ce travail ingrat, où elle doit, sans jamais la voir physiquement, supporter les caprices et les atermoiements de sa patronne. Mais le job est bien payé et lui laisse le temps de faire le deuil de son frère jumeau. Celui-ci vient juste de succomber à une malformation cardiaque dont elle est également atteinte. Son travail de deuil est atypique, car Maureen possède un don de médium. Elle peut communiquer avec les esprits et est donc dans l’attente d’un signe de son frère, d’une preuve que son esprit est apaisé dans l’au-delà.
Un soir, elle pense communiquer avec lui, elle rentre en contact avec un esprit hostile et tourmenté. Sans savoir s’il y a un lien de cause à effet, Maureen reçoit aussi d’étranges SMS qui la poussent à transgresser les interdits et surmonter ses peurs. Rêve? Réalité? Fantasme? Manifestation d’un esprit ami ou hostile? Toujours est-il qu’elle se retrouve embarquée dans un jeu dangereux…
Le récit est tout aussi foisonnant que le mélodrame d’Almodovar. Il oscille entre chronique intimiste, réflexion d’auteur sur les liens entre création artistique et spiritualité, à travers les toiles de Hilda af Klimt et les écrits de Victor Hugo, thriller haletant et fantastique troublant. Hélas, si ces parties, prises séparément, offrent de beaux moments de cinéma, leur somme ne fonctionne pas vraiment.
Tant pis pour Kristen Stewart, qui fait ce qu’elle peut pour instiller du trouble dans cette histoire de fantômes, de double et d’âme soeur. Cependant, le film ne méritait pas les huées et les sifflets que lui ont adressés certains festivaliers, ni l’opprobre des journalistes.

Aquarius - 3

Enfin, Aquarius de Kleber Mendonça Filho, également présenté en compétition officielle, raconte le combat d’une sexagénaire contre les promoteurs immobiliers qui essaient de la chasser de son domicile pour construire à la place un immeuble moderne et luxueux. Malgré la pression du constructeur et l’avis de ses enfants, qui pensent qu’elle serait mieux dans un appartement plus moderne, Clara (Sonia Braga) refuse de quitter l’endroit où elle a passé les plus belles années de sa vie, où elle a élevé ses enfants. Elle y a ses souvenirs, heureux ou moins heureux, et ses petites habitudes. Le promoteur peut bien augmenter son offre tant qu’il veut, elle n’a pas besoin d’argent et rien ne l’oblige à quitter les lieux. Elle a survécu à un cancer, plusieurs années auparavant, puis à la mort de son époux, alors elle peut bien résister à un jeune loup arrogant.
L’opposition entre la vieille dame et les promoteurs est surtout prétexte à montrer le quotidien d’une femme à l’aube de la vieillesse, essayant de trouver sa place, assurant son rôle de mère et de grand-mère tout en veillant à son épanouissement personnel. Le film est aussi un hymne à la femme brésilienne, qui résiste toujours à l’adversité, quelle que soit les époques. On avait un peu peur de sa durée, mais Aquarius nous a finalement séduits avec sa petite musique, légère et grave, joyeuse et mélancolique, comme un air de bossa nova ou une de ces “saudades” brésiliennes. La petite musique de la vie.
On mettrait bien quelques réals sur sa présence au palmarès. Peut-être avec un prix d’interprétation à Sonia Braga, épatante dans ce rôle de femme forte et digne.

Captain Fantastic - 2

Nous avons aussi été enchantés par le ton doux-amer de Captain Fantastic, de Matt Ross. Là aussi, c’est une femme qui est au coeur du récit, même si elle n’apparait pas à l’écran.
C’est parce que Leslie  vient de décéder que Ben (Viggo Mortensen), son mari et leurs enfants quittent leur havre de paix, un coin de forêt où ils vivent loin de la société capitaliste qu’ils abhorrent. A bord d’un camping-car qui doit dater de la grande époque des hippies, ils se rendent à ses funérailles, décidés à perturber la cérémonie organisée par les parents de la défunte et faire respecter ses dernières volontés – être incinérée selon un rituel bouddhiste.
En chemin, à mesure que se fait le travail de deuil, ils sont amenés à s’interroger sur la pérennité de leur mode de vie. Jusqu’ici, cela leur avait plutôt bien réussi. Les enfants sont débrouillards, affûtés physiquement, capables de survivre en pêchant, chassant ou en cultivant leur propre potager. Comme ils n’ont pas la télévision, ni la console de jeu, ils occupent leur temps utilement. Ils sont cultivés, voire érudits, et jouent tous au moins d’un instrument de musique. ils ne croient pas aux sornettes des politiciens et des religieux, se forgent leurs propres convictions à partir de leurs lectures et de l’analyse critique qu’ils en font. Le hic, c’est qu’ils n’ont pas vraiment été préparés à affronter le monde “normal” et le regard des autres.
Nous, en tout cas, nous les adopterions volontiers, tant ils sont attachants, émouvants et drôles. Et apparemment, nous ne sommes pas les seuls, à en juger le bouche-à-oreille cannois et la longue ovation réservée à l’équipe du film.

A moins qu’on ne parte vivre en autarcie dans la forêt la plus proche ou que l’on se perde dans les bras de femmes voluptueuses, à demain pour la suite de ces chroniques cannoises.