Réal. : Pierre Carles
Durée : 1h30 / 2h26 / 1h33
Sortie : 18 Novembre 1998 / 2 Mai 2001 / 2 Octobre 2002
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Voilà non pas un documentaire, mais trois pour le prix d'un ! La bien nommée trilogie des médias, c'est en réalité trois documentaires de Pierre Carles qui font la critique des médias télévisuels et notamment des faux impertinents - qui critiquent les dispositifs dans lesquels ils s'inscrivent finalement. Ce triptyque se compose, par ordre chronologique, de Pas vu pas pris, La sociologie est un sport de combat et . Mais tout d'abord, un petit retour sur le personnage de Pierre Carles s'impose. Dans la grande famille de la télévision, Pierre Carles a semble-t-il toujours été le trouble-fête, exposant les pratiques douteuses et les copinages de ses confrères journalistes. Il s'est notamment fait connaître en dénonçant la fausse interview de Fidel Castro par PPDA.
Il avait pour l'occasion réalisé un reportage qui devait être diffusé dans l'émission Double Jeu de Thierry Ardisson. Le dit reportage a finalement été décommandé à la dernière minute par Hervé Bourges, alors président d'Antenne 2, soucieux de préserver l'image de son ancien journaliste star. Pas vu pas pris s'ouvre d'ailleurs sur une autre déconvenue professionnelle : la censure de son programme, Pas vu à la télé, commandé par la chaîne Canal +, qui l'avait amené à collaborer avec Daniel Schneidermann. Nous sommes alors le 2 Avril 1995, et l'émission porte bien son nom puisque 21 ans après elle reste inédite à la télévision française. Et Pierre Carles de vouloir dénoncer la censure et comprendre les raisons sous-jacentes à cette censure. Si l'on ne peut pas lever le voile sur les coulisses de l'information, exposant ainsi les connivences entre politiques et journalistes, est-il donc fondamentalement impossible que la télévision puisse faire son autocritique ? Pierre Carles examine cette comédie au travers d'analyses, d'interviews mais également d'une introduction à la pensée du sociologue Pierre Bourdieu. C'est La sociologie est un sport de combat qui se charge de familiariser le spectateur au travail du professeur et auteur - notamment d'une critique des médias avec Sur la télévision et L'emprise du journalisme. Le documentaire de deux heures et demie fait office d'outsider dans cette trilogie puisqu'il présente l'environnement intellectuel et le travail critique du sociologue. C'est là une tentative de faire connaître le personnage et sa pensée au grand public.
Cependant, les liens sont directement établis avec qui est une tentative de resserrement autour de la thématique et une illustration des thèses défendues par Bourdieu. Il s'agit presque cette fois d'une étude de cas, en la personne de Daniel Schneidermann, son ancien collaborateur. A l'image de Pas vu pas pris, l'affaire devient très personnelle, très méta. Pierres Carles est sollicité par son ex-compère pour que Pierre Bourdieu participe une seconde fois à son émission, Arrêt sur Images. La précédente participation du sociologue avait donné lieu à une polémique puisqu'il avait publié par la suite un article dans le Monde Diplomatique, mettant en doute le bien-fondé de l'esprit critique télévisuel. Bourdieu dénonçait notamment la rediffusion d'extraits de sa participation à l'émission comme pseudo travail critique : pour lui il s'agissait plutôt d'un spectacle voué à surfer sur la polémique. Daniel Schneidermann avait ensuite répliqué dans divers journaux, dénonçant à tout va la perversité du sociologue. Suite à ces péripéties, ce dernier avait chargé Pierre Carles de discuter d'une possible seconde émission avec Daniel Schneidermann, qui le sollicitait alors. Le penseur souhaitait alors un dispositif plus propice à une véritable réflexion, refusant par là-même les sacro-saints décorums et protocoles télévisuels -y compris ceux des émissions qui se présentent comme alternatives et non conformistes, comme Arrêt sur Images. est en ce sens un document très précieux. Au-delà de l'aspect jubilatoire de voir les coulisses d'une querelle, c'est une véritable étude par l'exemple du fonctionnement des médias télévisuels couplé à une réflexion sur les limites du journalisme audiovisuel.
Vous vous en doutez, le travail de Pierre Carles a essuyé de nombreuses critiques.On l'accuse de laver son linge sale en public, de lancer une campagne de dénigrement contre la profession qui l'a vue naître et on s'étonne de le voir communiquer des enregistrements privés avec le grand public. Il est d'ailleurs amusant de voir, dans Pas vu pas pris ,les interviewés s'offusquer de devoir commenter des enregistrements privés, se cachant derrière une déontologie qui permet surtout de maintenir le mur du silence sur de telles pratiques et de ne pas se mouiller. Quoi qu'on pense des méthodes employées par le reporter, le documentaire qu'il livre est d'un intérêt incroyable pour qui souhaite comprendre le fonctionnement des médias télévisuels et les relations d'influence qui s'y nouent. C'est un formidable exercice d'esprit critique. Le propos du journaliste est toujours analytique, construit et développé avec rigueur, on repassera donc pour les velléités de vengeance. Il est aussi amusant de voir comment les dispositifs se modifient et se complexifient à travers le temps. A l'image de ce projet documentaire sur les élites, porté par Carles et Schneidermann, qui n'a jamais vu le jour alors même qu'il préfigurait des émissions comme Eldin Reporter, désormais accepté dans le paysage télévisuel. En somme, le contenu est tellement riche et la réflexion de Pierre Carles -militant d'un usage raisonné des médias - tellement dense qu'il serait impossible de résumer intelligiblement la trilogie des médias. A vous de la découvrir.
Parallèlement, et pour le lol, vous pouvez aussi jeter un œil à la vidéo d'Usul qui parodie le dispositif de Pierre Carles pour réaliser un sujet sur l'indépendance entre la presse vidéoludique et les éditeurs de jeux vidéo.
Réal. : Clément Deneux & Joseph Beauregard
Durée : 10 x 6mns
Sortie : 26 Janvier 2016 (dispo ici)
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Jamais sur vos écrans c'est une web-série développée et réalisée par Clément Deneux et Joseph Beauregard en exclusivité pour le site internet d'Arte et en partenariat avec le Forum des Images et Radio Nova. Elle ravira les passionnés comme les curieux de cinéma avec cette série d'entretiens où de grands réalisateurs parlent de leurs projets avortés. Neuf réalisateurs passent devant la caméra pour raconter les projets qu'ils ont portés mais qui n'ont finalement jamais vu le jour. Faute de moyens, de temps, de raisons d'agenda, ou encore d'inimitiés, ces projets sont devenus invisibles. Bien réels sur le papier, ils n'ont jamais pu s'incarner à l'écran. Le dispositif de Clément Deneux, sobre et un tantinet hollywoodien, pousse les créateurs à la confidence. Jusqu'à parfois obtenir ce moment magique où le film apparaît tel un mirage, véritable composition de l'imagination du spectateur. Instructive et déroutante à la fois, cette web-série nous interroge sur le statut de ces millions de projets laissés aux oubliettes : pour qui existent-ils ?