Réalisé par Ernesto Daranas
Avec Alina Rodríguez, Armando Valdés Freire, Silvia Águila,
Yuliet Cruz, Armando Miguel Gómez, Amaly Junco, Miriel Cejas
Idalmis García, Tomás Cao, Héctor Noas
Titre original Conducta
Genre Comédie dramatique
Production Cubaine
Date de sortie 23 mars 2016
Synopsis
Chala (Armando Valdés Freire), jeune cubain, malin et débrouillard, est livré à lui-même. Élevé par une mère défaillante qui lui témoigne peu d’amour, il prend soin d’elle et assume le foyer.
Il rapporte de l’argent en élevant des chiens de combat.
Ce serait un voyou des rues sans la protection de Carmela (Alina Rodríguez), son institutrice, et ses sentiments naissants pour sa camarade Yeni (Amaly Junco)...
Né en 1961 à la Havane, Ernesto Daranas termine des études de pédagogie et de géographie en 1983. Il commença tôt à écrire et travailler pour la radio puis la télévision.
En 2004, il écrit et réalise le documentaire Los últimos gaiteiros de La Habana avec lequel il obtint le prestigieux prix international du journalisme "Rey de Espana". La même année, il réalise ¿La vida en rosa? dont la critique sociale, incroyablement surréaliste se vit offrir de nombreuses récompenses dans les festivals. Ses thèmes majeurs sont toujours, sous une forme ou une autre, la misère ou encore l’absence du père, qui imprègnent la société cubaine.
En 2008, il réalise son premier-long métrage Los dioses rotos dans lequel il traitait de la prostitution et du proxénétisme dans le Cuba d’aujourd’hui.
En 2015, il réalise Chala, une enfance cubaine dans le monde complexe qu’est La Havane. Dans ce nouveau film, Cuba reste en toile de fond, mais cette fois c’est le problème de l’éducation qui intéresse Ernesto Daranas vu à travers le regard d’un enfant, laissé pour compte du progrès social cubain.
Extrait de l’entretien entre Paquita Armas Fonseca et le réalisateur Ernesto Daranas
Comment avez-vous eu l'idée du scénario ?
Ce projet est né d’une collaboration avec un groupe d’étudiants de la Faculté des Médias de l’ISA de la Havane. Ils ont eu une part active dans le travail, le choix du thème, l’enquête parallèle pour le script, et la sélection des enfants du film. C’est le résultat d’un travail effectué, articulé sur un ensemble de préoccupations personnelles. Cela m’a étonné que, malgré notre diversité et la différence d’âge, nous soyons autant d’accord sur les questions de difficulté de la formation et de l’éducation, particulièrement dans les milieux marginalisés. L’éducation est d’une importance primordiale pour tous les pays. La société que nous aurons dans le futur se décide en fonction de la formation, comment elle est structurée et sur quels critères elle se base.
Quel genre de préoccupations ?
Après un quart de siècle de crise, les changements qui ont lieu finalement dans notre société et l’économie n’ont pas obtenu l’impact attendu dans nos secteurs les plus humbles. Ce que nous avons vu, c’est qu’à tous les niveaux, il est possible de parler d’une crise des valeurs, sans y remédier. Les graves problèmes qu’affrontent actuellement l’éducation à Cuba fait le portrait d’une société qui doit accélérer sa mutation si elle ne veut pas laisser de côté toute une frange de sa population.
Comment s'est accompagné le casting des enfants pour le film ?
Nous avons commencé par un casting important qui nous a amené des milliers d’enfants, la plupart accompagnés par leurs parents. Cela nous a servi à comprendre que les garçons que nous cherchions, nous n’allons pas les trouver par ce biais là.
Nous avons parcourus une par une, les primaires et secondaires de Cerro, du Centre la Havane et de la Vieille Havane. Nous avons ainsi trouvés les enfants que nous souhaitons, certains avec des problématiques, un environnement familial très similaires à celles que nous voulions aborder, lesquels ont beaucoup apportées à l’histoire.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons organisé un atelier où nous avons travaillé avec beaucoup d’improvisations et écrit des scènes qui ne sont pas dans le film, mais qui leur ont permis d’entrer dans le monde intérieur des personnages. Nous n’avons pas commencé à travailler avec le véritable scénario tant que ce que nous souhaitions ne fut pas obtenu. Tout en prenant toujours soin de ne pas contester les interprétations des enfants qui sont arrivés frais pour la prise de vue. Parallèlement à cela, et selon le caractère, ils ont reçu une formation de danse, de boxe, de natation et même d’élevage et dressage d’animaux. Nous avons pris soin que les acteurs ne participent pas aux essais, jusqu’à ce nous soyons très proches du tournage. Quand c’est arrivé, les enfants étaient déjà bien préparés, et l’impact s’est produit dans les deux sens.
Qu'est-ce qui a motivé l'approche constituante du film d'une famille dysfonctionnelle et de notre système déducation ?
En réalité, Chala, une enfance cubaine n’essaie pas de parler du système d’éducation à Cuba. Le regard se concentre beaucoup plus sur les risques auxquels sont exposés les enfants, notamment la manière dont les conditions sociales et économiques affectent la famille et l’école. Ces questions et d’autres sujets connexes nous sont assignés par la vie quotidienne. La maîtresse Carmela met de côté cette rhétorique dans son désir de faire de leur salle de classe un espace différent.
Comment est cette salle de classe ?
Un lieu dans lequel aucune différence n’est stigmatisée, où chaque enfant exprime ce qu’il pense. Les valeurs ne sont pas manipulées et nos essences assumées. Le visage est donné à la réalité où les choses s’appellent par leurs noms. Mais surtout, c’est un lieu où il y a amour et engagement avec ce qui est fait. Il y a beaucoup de gens qui vivent au bord de la subsistance, aux prises avec des problèmes de toutes sortes qui vont avec cette réalité. Les enfants de ces familles sont ceux qui ont le plus besoin d’une salle de classe comme celle-là. Bien sûr Carmela n’est pas parfaite, fait des erreurs comme tout le monde, mais elle sait demander pardon. Cette fragilité et cette transparence la rendent attachante aux enfants comme Chala.
Carmela est-elle un personnage fictif ou un vrai professeur que tu as côtoyée ?
Il existe une maîtresse de la Vieille Havane se nommant Carmela qui a fait la classe à l’un de mes enfants. Elle a servi de référant à notre personnage. Elle m’a aidé pour une partie du scénario avec Clara et Eduardo, ainsi que deux autres maîtres chevronnés de Cerro. Carmela a également écrit les interventions orales existantes dans chacune des séquences du film et a choisi les phrases de Martí qui y apparaissent. Ses véritables cours commencent toujours ainsi.
As-tu pensé à Alina Rodríguez, dès le début ?
J’ai toujours voulu travailler avec Alina, mais en vérité lorsque j’ai écrit le script, celle que j’avais en tête pour la vraie Carmela, c’est une grande maîtresse que j’ai eue à l’école primaire, qui s’appelle Naomi Heredia. Maintenant, dès qu’Alina est arrivée pour le film, elle a commencé à occuper son lieu. La maîtresse que je cherchais était un peu plus âgée qu’elle, mais Alina a travaillé très fortement son personnage et a donné un sens à chaque détail de sa Carmela.
À propos de Chala.
Armando est arrivé le dernier jour de casting, de même pour Amaly, la petite fille qui joue Yeni. Cela m’était déjà arrivé pour Los dioses rotos avec Annia Bú, mais la grande différence c’était que sur le moment, rien n’indiquait à l’extérieur que cet enfant puisse incarner Chala. En fait, il a été rejeté lors de sa première audition et je ne sais toujours pas pourquoi je lui ai demandé de revenir.
Il est vrai qu’il y avait d’autres enfants très talentueux qui semblaient plus logiquement correspondre au personnage, mais lui évoluait jour après jour. Cela a été une décision difficile à prendre parce que pour la plus grande partie de mon équipe, il n’était pas l’enfant que nous recherchions.
Mais pendant le tournage, j’ai compris que j’avais fait bon le choix.
Comment avez-vous choisi ces lieux ?
Ce sont les lieux de mon enfance, les rues et les toits où je vis encore. Aiguiser une fibule sur les rails des trains ou échouer dans la tentative de traverser la baie, par exemple, sont des expériences personnelles que les enfants du film ont été heureux de partager. Cela nous a aidés à nous rapprocher. Il ne s’agissait pas seulement de mettre en évidence ces espaces de l’environnement social mais d’exprimer certains dangers, la soif de liberté et la capacité de rêver des enfants, même dans les environnements les plus contradictoires. Nous avons pris soin que ces acteurs ne participent pas aux essais, jusqu’à ce nous soyons très proches du tournage. Quand c’est arrivé, les enfants étaient déjà bien préparés, et l’impact s’est produit dans les deux sens.
Le film aborde également des problématiques comme l'émigration interne et l'expression de certaines formes de violence. Est-ce le résultat d'un travail préalable que vous commentez on l'intérêt de vous référer à ces questions ?
Nous n’avons jamais posé les questions à l’avance. Nous nous sommes concentrés sur la mise sur pied d’une histoire et dans l’élaboration de personnages qui s’y meuvent naturellement et efficacement. À partir de cela, Conducta est un film simple, formellement orthodoxe en dialogue avec la nature de cette histoire et ses personnages. Bien sûr, tout cela est immergé dans un groupe de problématiques humaines et sociales parmi lesquelles l’émigration interne domine, en partie parce que les mesures prises pour la contenir ont approfondi une crevasse sociale. En ce qui concerne la violence, elle est souvent l’expression de conflits et d’insatisfactions qui ne peuvent être résolues qu’en s’attaquant à leurs causes réelles. Tout cela a un impact inévitable sur l’enfance, la famille, l’école et la société. Carmela ne peut pas changer la réalité de Yeni, de la petite fille de Holguín qu’elle a dans sa classe, mais il est bien clair qu’elle ne peut pas non plus leur tourner le dos
Enfin, qu'est-ce que symbolise la Vierge de la Charité qui figure dans la fresque de la classe de Carmela ?
Il s’est trouvé que cette fresque fait partie de l’histoire, ce n’est pas un symbole préconçu. Comme beaucoup d’autres choses dans le film, une partie de la réalité des faits est ce qui est naturel [ce qui est là]. Chacun lui octroie sa propre signification…
Mon opinion
Une chance inouïe d'avoir pu voir ce film. La réussite est totale.
En premier lieu grâce à un scénario solide. À une remarquable photographie, aussi. La mise en scène d' Ernesto Daranas est parfaite. L'authenticité qui se dégage du film est poignante.
Chala, un jeune garçon d'une incroyable vivacité, d'un exceptionnel charisme, d'une énergie communicative est quasi tous les plans. Autour de lui gravite tout un monde qui accompagne son enfance. Ou la détruit. Une mère ravagée par l'alcool, une institutrice rare de générosité et d'amour pour ses élèves, des amis de classe, un père qui sort de prison, un homme organisateur de féroces combats de chiens. Le réalisateur a déclaré : "Les graves problèmes qu’affrontent actuellement l’éducation à Cuba fait le portrait d’une société qui doit accélérer sa mutation si elle ne veut pas laisser de côté toute une frange de sa population."
Un film fort, rare et magnifique. Un de ceux que l'on n'oublie pas.