Genre : shockumentary, film censuré (interdit aux - 16 ans)
Année : 1967
Durée : 1h24
Synopsis : Une plongée au coeur du quotidien des détenus de la prison psychiatrique pour criminels aliénés de Bridgewater, dans le Massachussetts. Dénué de tout commentaire, le film plonge en immersion totale au sein de cet univers carcéral isolé du reste du monde et où règne un système pénitentiaire d'un autre âge. Un témoignage choc et sans concession, unique dans l'histoire du cinéma.
La critique :
Attention, aujourd'hui sur le blog, déparque un documentaire absolument exceptionnel. Controversé et interdit dès sa sortie sur les écrans aux Etats-Unis, ce film fut banni pendant près de 25 ans dans son pays d'origine. Titicut Follies reste à ce jour le seule film censuré en Amérique pour une autre raison que la violence ou la pornographie. Réalisé en 1967 par Frederick Wiseman, ce shockumentary avant l'heure demeure absolument unique dans les annales du Septième Art.
Véritable réquisitoire à l'encontre des conditions pénitentiaires précaires des criminels aliénés mentaux, le film de Wiseman s'est attiré les foudres des gouvernements qui se sont succédés en 1967 et 1991. Autrement dit, messieurs Johnson, Nixon, Ford, Carter et Regan (dans l'ordre chronologique) ont préféré fermer les yeux sur l'état pitoyable de leurs prisons et ont étouffé la situation tant qu'ils ont pu, ce durant un quart de siècle. Né en 1930, Frederick Wiseman est considéré par beaucoup comme l'un des plus grands documentaristes du cinéma américain.
Passionné par les rapports sociaux et le sort des exclus du système, il promena sa caméra dans des lieux aussi divers que les hôpitaux, les écoles, les centres commerciaux et bien sûr les prisons. Cinéaste extrêmement prolifique, il réalisa 41 documentaires en 48 ans. De Titicut Follies, son premier film, à In Jackson Heights réalisé en 2015, son oeuvre foisonnante apparaît comme une analyse méthodique du conformisme et des inégalités de la société américaine.
Les problèmes complexes qui sclérosent les institutions dont il s'est fait le témoin, ne correspondent en rien au "rêve américain". Elles reflètent plutôt un dysfonctionnement profond qui ronge cette société de l'intérieurn accroissant toujours plus les altérités entre les individus. Ainsi, Titicut Follies se suit comme une plongée irrémissible au coeur de la démence mais aussi et surtout, comme un procès implacable de la part du réalisateur envers le mépris et l'indifférence d'un système qui n'a de cesse de broyer les individus dans leur plus fondamentale dignité.
Attention, SPOILERS ! Le film débute par une scène assez surréaliste où un groupe de détenus endimanchés proposent un spectacle à mi chemin entre la chorale et la fanfare. Ce spectacle s'intitule Titicut Follies. Puis la caméra de Wiseman s'introduit, telle une voleuse d'images, pour saisir furtivement ou plus en détail, les instantanés de vie dans l'établissement. De ce violeur de fillettes, onze fois récidiviste, interrogé par un psychiatre qui débite ses questions d'un ton saccadé à ce vieillard qui se lance dans un incroyable monologue incompréhensible, en agitant les bras tandis qu'à côté de lui, un autre aliéné fait le poirier en chantant à tue-tête. Les criminels fous sont devenus des pantins aux mains de leurs géôliers.
Des jeunes, des vieux, des gros, des maigres, tous se croisent sans se voir, déambulant tels des ombres fantomatiques. Le film comprend quelques passages difficiles. Ainsi, un vieux qui erre nu et hagard dans les couloirs, puis qui fait soudain une crise d'hystérie dans sa cellule en trépignant des pieds frénétiquement. Plus troublant encore, un jeune détenu tout à fait lucide en apparence, qui tente désespéremment d'établir la preuve de sa stabilité mentale devant une commission dont tous les membres, clope au bec, semblent se moquer éperdument de son sort.
Résultat : une augmentation conséquente de tranquilisants pour le jeune effronté. Le moment le plus dur intervient lors de l'intubation nasale d'un patient rachitique dans le but de le nourrir de force. Déjà très affaibli, l'homme décédera peu après. Wiseman, par le biais d'un jeu d'accélérations juxtaposées de l'image, présentera des plans mixés de l'homme encore vivant avec des plans du même homme à l'état de cadavre. Sans doute, doit-on y voir la volonté métaphorique du réalisateur de dénoncer l'inhumanité du système... Vu que le médecin (clope au bec encore) qui s'occupe du mourant, plaisante avec ses collègues et semble se moquer complètement du sort de ce malheureux.
Le documentaire s'achèvera comme il a débuté, par un spectacle musical improbable. On comprend aisément pourquoi ce film fut censuré pendant un quart de siècle. Aucun gouvernement n'allait pouvoir justifier de ces conditions carcérales dégradantes et inacceptables. A travers une liberté totale de tournage, le réalisateur nous imprègne au plus près de l'atmosphère putride qui régnait dans cet endroit bâtard, mi prison mi asile.
Sans commentaire et sans musique, ce documentaire exceptionnel vous prend aux tripes dès les premières images et ne vous lâche plus jusqu'au générique final. L'absence de sous titres ne constitue nullement un frein à la compréhension du film pour qui maîtrise l'anglais un minimum. De toute façon, Titicut Follies est une oeuvre qui se regarde beaucoup plus qu'elle ne s'écoute. Les images se suffisent largement à elles mêmes pour faire du spectateur, le témoin privilégié de la déchéance de ces hommes. Wiseman capte avec un talent rare les moindres détails de la vie quotidienne de ces prisonniers.
Au fur et à mesure, le film bascule dans un univers totalement kafkaïen, où la folie prend définitivement le pas sur la raison. C'est ainsi que le dernier quart d'heure, édifiant de ce point de vue, nous présente les aliénés les plus atteints, faisant bifurquer le métrage au croisement de Freaks et Vol au-dessus d'un nid de coucou. La seule différence, c'est qu'ici, tout est réel. Près de cninquante ans après la réalisation de ce documentaire dans la prison de Bridgewater, les choses ont-elles réellement changé au pays de l'Oncle Sam et par voie de conséquence, dans nos sociétés européennes ?
Au sein de ces microcosmes opaques et impénétrables que sont les établissements psychiatriques et carcéraux, a-t-on mis l'homme au centre du système ? Sa dignité est-elle enfin respectée et sa condition prise en considération ? Il est fortement permis d'en douter. Quoi qu'il en soit, il y a déjà un demi siècle, Frederick Wiseman dénonçait les turpides de cette situation et exposait au grand jours les signes annonciateurs de ce qui allait devenir un des plus grands fléaux de nos sociétés modernes : la déshumanisation de l'être humain.
Véritable brûlot contre l'establishment, témoignage essentiel sur une société gangrénée de l'intérieur et dénonciation prophétique de la déliquescence du monde actuel, Titicut Follies demeure un très gros uppercut à la face de nos certitudes et reste sans conteste l'un des meilleurs documentaires jamais réalisés. Bouleversant...
Note : 18.5/20
Inthemoodforgore