Passage au grand écran pour l’une des sagas vidéoludiques les plus appréciées. Inégal même si joliment exécuté.
À l’annonce du projet et surtout à la vision de la première bande-annonce, il était tout à fait raisonnable de s’attendre au pire. Transposer fidèlement l’univers d’un jeu vidéo au cinéma tout en élaborant une véritable dramaturgie relève presque de l’impossible, serait-on tenté de dire. L’immersion du gamer étant sensiblement différente de celle du spectateur, en termes de durée, d’attention et de rythme, il est très difficile d’arriver à contenter les deux publics. Silent Hill de Christophe Gans y était parvenu en adoptant par endroits une temporalité propre au jeu, faite d’errances, sans sacrifier à l’intention purement cinématographique. Ici, malgré la présence aux commandes de Duncan Jones, réalisateur des excellents Moon et Source Code, les images de ce premier volet présageaient d’un mauvais calcul, entre trop-plein d’effets numériques et simplification contextuelle pour les non-connaisseurs du matériau d’origine. Heureusement, le résultat est loin du désastre annoncé et réserve même plusieurs surprises.
Dès l’introduction, la ligne directrice est donnée. Deux clans, les Humains et les Orcs, ennemis de longue date, défendent leurs territoires respectifs. L’histoire nous raconte qu’une force magique, le Fel, détenue par chacune des espèces, constitue l’instrument d’asservissement suprême. Quand les Orcs empruntent un portail, quittant leur monde à l’agonie pour envahir celui des Humains, le combat reprend de plus belle. Résumée ainsi, l’épopée promise paraît bien manichéenne. Or, à l’instar de La Planète des Singes : l’Affrontement, avec lequel il partage nombre de points communs, le film choisit la dualité, nuance son propos, divise ses personnages supposés alliés. Le schéma, classique, ne dérogera jamais d’un certain programme mais a le mérite d’exploiter l’esprit stratégique du jeu Warcraft, en mêlant trahisons, manipulations et renversements de pouvoir. L’intérêt est donc maintenu de bout en bout, quand bien même le montage elliptique pose problème, précipitant des enjeux que l’on aurait aimé plus développés. De fait, l’émotion manque régulièrement à l’appel, dans des moments charnières qui plus est. Si frissons il y a, c’est devant l’expressivité étourdissante des Orcs, auxquels on croit immédiatement. En l’espace de quelques scènes, ils impriment la rétine et investissent le récit d’une dimension proprement épique, chère à l’heroic-fantasy. Ce sont eux qui véhiculent l’âme du projet et légitiment son existence.
La trame qui concerne les Humains séduit en revanche beaucoup moins. La faute à un casting honnête mais sans charisme, qui échoue à incarner des figures iconiques. Définitivement doué, Jones rééquilibre ce déficit dans l’interprétation grâce à des idées de mise en scène très pertinentes, ajoutant au grandiose de l’entreprise. Il suffit de voir Travis Fimmel, à dos de griffon, fondre sur l’adversaire depuis les airs pour trouver l’acteur aussitôt convaincant voire imposant. Il en va de même pour Ben Foster, étonnamment apathique dans le rôle du sorcier Medivh, qui, filmé en contre-plongée au sommet d’une montagne, semble bien plus menaçant. Le travail de direction artistique, fidèle à l’esthétique criarde mais originale du jeu vidéo, s’accorde idéalement aux cadres du réalisateur et avantagent là encore les comédiens. Une fois le film terminé, l’enthousiasme domine. Ce premier volet a beau souffrir de scories regrettables, il n’en reste pas moins intègre artistiquement, capable de combler aussi bien les adeptes de l’univers Warcraft que les spectateurs profanes.
Réalisé par Duncan Jones, avec Travis Fimmel, Toby Kebbell, Ben Foster…
Sortie le 25 Mai 2016.