Jurée au festival d’Annonay 2016

Festival du Premier Film – Annonay 2016

Récit d’une expérience de jurée & Critiques des films visionnés par Alexandra Le Moëne

« Etre juré au festival d’Annonay, c’est rentrer dans un monde fabuleux où le cinéma est au coeur de tous et de tout.

Mais attention, il faut supporter un rythme intense ! Annonay 2016

Chaque jour, il faut passer du lit au fauteuil de cinéma, du siège du bar au fauteuil de cinéma, du siège du restaurant au fauteuil de cinéma, pour enfin repasser par le fauteuil du restaurant puis du bar, avant de se coucher pour recommencer le lendemain.

Au programme, ce n’est pas moins de onze films à visionner en trois jours.

Pour tenir, la recette ancestrale qui se transmet de bouche de juré à oreille de juré est la suivante : boire un café le matin et un autre le midi, ajouter une bière le soir pour décompresser, dans le bar du festival appelé « le Nid » où tous les festivaliers, jurés, organisateurs, publics et membres des équipes des films projetés se retrouvent pour échanger joyeusement.

Etre juré, c’est accepter d’être bousculé, passer du rire aux larmes, grâce à la sélection incroyable des films en compétition. C’est débattre du film que l’on vient de voir, s’étonner de ne pas tous avoir la même perception d’un film, être d’accord, pas d’accord, débattre à nouveau.

C’est partager trois jours de sa vie avec d’autres passionnés, voir des films ensemble, créer des liens, unis par une expérience hors du quotidien.

C’est commencer à se connaître et se surprendre, à deviner qu’untel ou unetelle a dû apprécier le film, se surprendre aussi à se tromper.

C’est, le dernier jour, délibérer pendant des heures, devoir faire des choix, être frustré, être perdu, puis être heureux et partir danser, tous ensemble, sur une playlist improvisée.

C’est enfin devoir se quitter, se dire qu’on a vraiment eu de la chance et se promettre de se retrouver. Partager un dernier petit déjeuner, un dernier petit café, un dernier fou rire avant de prendre le car, les yeux remplis d’étoiles du 7ème art.

Oui, faire partie du jury au festival d’Annonay c’est tout cela à la fois, une parenthèse enchantée dont on voudrait ne jamais sortir.

Films Hors-compétition des co-présidents de jury.

Je suis à vous tout de suite de Baya Kasmi, France, comédie dramatique, 2015.

Tout commence quand Hanna, DRH, doit renvoyer l’un des salariés de son entreprise. Prise de pitié, elle lui propose de passer la nuit avec lui, pour le réconforter. Mais il n’est pas le seul à qui elle propose ses services. En effet, Hanna 30 ans, est atteinte de la névrose de la gentillesse : elle ne sait tout simplement pas dire non. C’est une maladie qui touche aussi son père, épicier et sa mère, « psy à domicile ».

Hanna est une femme apparemment libre et heureuse, à l’image de ce film entraînant qui balaie tous les clichés. Derrière la comédie se cache des moments plus difficiles et c’est toute la richesse de l’oeuvre que de savoir aborder des thèmes aussi complexes et nombreux sans se perdre. L’assimilitation culturelle, l’intégration, la religion, les banlieues, le viol, la féminité sont autant de sujets abordés dans un joyeux tourbillon de rire et d’émotions.

Le film parvient à parler de notre société sans tabou, grâce à une spontanéité et une justesse vivifiantes !

On note aussi le jeu unique de Vimala Pons qui donne au film toute sa fraîcheur.

La vie très privée de Monsieur Sim de Michel Leclerc, France, comédie dramatique, 2015.

Adapté du roman éponyme de Jonathan Coe, le film raconte un épisode de la vie de Monsieur Sim, cinquantenaire. Après avoir perdu son travail et sa femme, il devient vendeur itinérant de brosses à dent « révolutionnaires ». Démarre alors un long périple à bord de sa voiture de fonction, qui va l’obliger à se confronter à ses problèmes, ses peurs et ses doutes. La réalisation sait parfaitement doser l’équilibre entre légèreté et profondeur des propos et Jean-Pierre Bacri incarne avec talent ce personnage comico-dépressif.

Malgré des moments d’humour très fins, la quête existentielle du personnage peine à sortir des sentiers battus et de l’attendu. La fin, pour le coup inattendue, laisse cependant le spectateur désorienté. C’est sans doute là que réside le défaut du film, dans cette sensation de ne pas savoir où l’on veut nous emmener, le scénario apparaît presque comme un pretexte à un propos caché, finalement indéchiffrable.

Films en compétition

3000 nuits de Maï Masri, Palestine-France-Jordanie-Liban-Emirats Arabes Unis-Qatar, 2015

Prix du public 2016.Sortie en France en janvier 2017.

Le film s’ouvre sur une scène d’arrestation brutale. On retrouve le personnage principal, Layal, jeune palestinienne, en prison, lieu clos dans lequel toute l’histoire va ensuite se dérouler. Elle est jugée pour complicité avec un terroriste qu’elle ne connaît pas. Malgré l’absence de preuves et un bon avocat, Layal comprend qu’elle ne sortira pas si facilement. La prison va maintenant devenir son quotidien, avec son lot d’humiliations et d’injustices. Elle réalise alors que la guerre fait aussi rage à l’intérieur de la prison.

Le film bénéficie d’une vraie force documentaire. Il s’agit d’un film à thèse, qui veut dénoncer une réalité. Le sujet est poignant et ne peut pas laisser indifférent. La réalisatrice glisse d’ailleurs en ouverture et en clôture des panneaux explicatifs donnant des éléments sur le conflit islaraëlo-palestinien et des chiffres : « 60000 prisonniers palestiniens sont détenus aujourd’hui, c’est l’histoire de l’un d’entre eux ». On pourrait reprocher au film sa partialité, mais, après tout, en temps de guerre il faut savoir choisir son camp. Le film, lui, l’a choisi.

Par contre, on regrettera le manichéisme du scénario : tous les personnages israëliens sont laids et méchants tandis que toutes les palestiniennes sont belles, gentilles et intelligentes. Cette facilité d’écriture est à peine nuancée par le personnage de l’israëlienne avec qui Layal finit par sympathiser. De même, l’héroïne est un peu trop parfaite pour être réelle, ce qui pose problème pour un film qui veut s’ancrer dans la réalité. Enfin, la réalisation pêche par excès d’esthétisme : le corps de l’héroïne est toujours filmé comme un corps parfait de publicité, alors même qu’elle vit dans des conditions extrêmes.

Très vite le film bascule dans une dimension plus universelle quand Layal apprend qu’elle est enceinte. Comment garder un enfant en prison ? Quelle place pour le père ? Avoir un enfant dans ces conditions, égoïsme pur ou ultime geste d’amour ? C’est aussi un film sur le chemin parcouru par une femme pour se révéler à elle-même et trouver sa place dans la société en tant que femme, mère et citoyenne.

On soulignera le travail de lumière du film par Gilles Porte, le rythme fluide et quelques très belles scènes particulièrement réussies (notamment celle du jeu d’ombres sur le mur). Mais ces qualités ne suffisent pas à gommer le manque de subtilité du scénario ni le manque de nuances des personnages, ce qui en fait un film assez inégal.

Sleeping giant, d’Andrew Cividino, Canada, 2015.

Grand Prix du Jury 2016. Sortie France en Février 2016.

Dès les premières scènes on est happé par la beauté des paysages, immenses et mystérieux, magnifiquement mis en valeur par la réalisation. On fait la rencontre des protagonistes : deux adolescents ingrats et têtes brulées, un troisième, doux et réservé. Ils sont venus passer les vacances d’été avec leurs familles respectives au bord du Lac Supérieur.

Tous trois trompent leur ennui comme ils peuvent, entre petits larcins, bagarres et défis. Les acteurs sont très justes et traduisent parfaitement l’énergie, les hésitations et les errances propres à l’adolescence, ce moment où l’on se construit avec et surtout contre les autres.

La structure du récit est intéressante, tout particulièrement la façon dont s’invente – et se détruit – cette relation amicale qui oblige chacun à repousser ses limites.

Les personnages viennent de milieux différents. L’aspect social apparaît en fond et permet de donner du relief, d’ouvrir sur une autre dimension.

Ainsi, le début du film est plutôt enthousiasmant, mais bien vite la réalisation nous tient à distance, et les intrigues secondaires, notamment la relation d’Adam avec son père, viennent se plaquer au reste du récit sans jamais obtenir de réelle résolution.

Si l’intrigue trouve parfaitement sa place dans le paysage grandiose, l’esthétique un peu forcée de la mise en scène nous rappelle les quelques maladresses du film. En effet, elle emprunte aux clips musicaux: musique forte, montages cut, raccords dans le son, jeux avec la lumière (beaucoup de plans de diffraction de la lumière), effets de ralenti, comme pour mieux illustrer l’âge où l’on expérimente la vitesse et les limites. Mais ce parti-pris « pop » n’est assumé qu’à moitié, tout comme une partie des enjeux soulevés par l’intrigue, donnant l’impression de survoler certains aspects du film. De plus, certains raccords et métaphores filmiques (un plan d’insectes se battant pour une femelle, venant inutilement symboliser les deux amis épris de la même jeune fille) auraient gagnés à être évités.

Ce récit initiatique sur l’adolescence laisse finalement un goût de déjà-vu, abordant les thématiques attendues sur le sujet sans parvenir à les renouveler, et la mise en scène, froide, tient émotionnellement à distance le public.

Il en résulte une sensation d’inachevé, l’impression d’avoir survolé trop de sujets, malgré une grande sincérité et de très bons acteurs.

Mais le film a totalement conquis le cœur d’une bonne partie des jurés.

Melbourne de Nima Javidi, Iran, 2014

Amir et Sarah sont sur le point de quitter l’Iran pour emménager à Melbourne. Ils terminent leurs valises et font les derniers adieux quand la nourrice du voisin leur demande de garder le bébé le temps que le père revienne. Pour rendre service ils acceptent, mais cette simple décision va bouleverser leur quotidien à jamais.

Ce huit-clos oppressant construit comme un polar, est intéressant. Des indices sont distillés petit à petit tout au long de l’intrigue, et le réalisateur s’amuse à nous balader sur une piste puis une autre, clôturant par un rebondissement final inattendu. Le premier mensonge d’Amir, va entraîner le couple dans une cascade infernale de fabulations et de mauvaises décisions de laquelle ils ne parviendront pas à se sortir. Le réalisateur explore la question du choix : une petite décision peut parfois s’avérer fatale. Il construit également une satire subtile du monde moderne et de la société où tout va très vite et où personne n’a le temps de parler ni de finir ce qu’il est en train de faire. Ceci est souligné par la bande son qui est exclusivement composée de sonneries : téléphones, portails, portes, qui retentissent sans cesse, ajoutant à l’aspect oppressant de ce huit-clos. La réalisation, classique et très réaliste laisse pourtant un peu indifférent.

Wedding Doll, de Nitzan Gilady, Israël, 2015.

Israël, une ville dans le désert. Hagit, jeune femme pétillante travaille dans une usine de fabrication de papier toilette. Elle vit avec sa mère qui lui consacre sa vie et la surprotège, alors même qu’elles rêvent désormais toutes deux d’indépendance. Hagit entretient une relation platonique avec le fils du patron et rêve de se marier. Mais Hagit n’est pas tout à fait normale, elle souffre d’une déficience mentale. A l’annonce de la fermeture de l’usine les évènements vont s’accélérer.

Le film explore de manière extrêmement fine et subtile la thématique du handicap, qui vient impacter tous les aspects de la vie (famille, amour, travail). On n’est pourtant jamais vraiment sûr que Hagit souffre réellement de déficience mentale. Hagit ce pourrait être nous, cette part de nous qui n’est pas tout à fait dans la norme et qui préfère rêver que se soumettre à la triste réalité.

C’est aussi surtout un film sur la relation mère-fille avec en fond, la question de l’émancipation des femmes : comment conjuguer ses rêves, sa famille, ses aspirations personnelles et sa vie de femme ?

Hagit rêve simplement d’amour et d’un mariage dans une belle robe blanche. Son début de romance avec le fils du patron de l’usine va l’obliger à se heurter à la réalité. C’est pourtant dans l’épreuve que le personnage d’Hagit dévoile toute sa force. Apparemment naïve, elle se révèle finalement tout à fait intelligente et autonome dans ses décisions, elle qui est habituée aux moqueries les plus cruelles depuis toute petite. Rien ne la fait plier. Elle est comme une étoile qui parfois voilée, ne s’éteint jamais. L’actrice offre un jeu lumineux et subtil qui porte véritablement le film. Il se structure autour de scènes récurrentes qui indiquent une situation de blocage pour les personnages. L’épreuve finale traversée par les deux femmes va les obliger à surmonter la situation initiale pour avancer et la dépasser.

La lumière, magnifique, et les cadres travaillés comme des cartes postales donnent une esthétique vraiment particulière. Hagit est souvent filmée en bordure de cadre comme si elle allait être poussée en dehors, jamais vraiment à sa place. On retiendra aussi quelques scènes originales et esthétiquement très réussies, notamment celle du baiser devant le désert.

Un film lumineux, d’une grande sensibilité, qui nous met mal à l’aise autant qu’il nous éblouit. Une révélation.

Pikadero de Ben Sharrock, Espagne et Royaume-Uni, 2015.

Gorka va avoir trente ans, il vit chez ses parents, travaille en intérim à l’usine pour échapper au chômage et a du mal à trouver une petite amie stable. La vie économique du village repose entièrement sur l’usine, qui licencie pourtant faute de commandes. Les jeunes autour de lui tuent l’ennui comme ils le peuvent et quittent peu à peu le pays pour des petits boulots à l’étranger. Il rencontre Ane, étudiante en art. Tous deux développent de vrais sentiments mais n’ont aucun lieu pour abriter leur intimité. Ils commencent à fréquenter les « pikadero » (lieux de rencontres publics). Leur relation stagne, Gorka étant incapable de prendre une quelconque décision sur leur avenir. Ane finit par décider d’émigrer en Angleterre en attendant mieux. Si elle pense inutile de rester dans son village du Pays Basque, miné par la crise, lui au contraire semble ne pas voir l’avenir ailleurs que sur sa terre natale où sa famille a modestement pu acquérir une belle demeure et une place à l’usine.

L’avenir est parfaitement incertain et cantonne les protagonistes à une position d’attente fébrile. Prendre le risque de partir ou s’inscrire dans le confort monotone du sillon tracé par ses parents ? Choisir de stabiliser sa situation ou tout recommencer à zéro sans garantie de vie meilleure ? Obligation du destin ou choix par défaut ? Les dilemmes rencontrés par les personnages reflètent parfaitement les hésitations, les doutes et les difficultés d’une génération sacrifiée, dans un pays touché de plein fouet par la crise économique.

Gorka semble souffrir d’une incapacité à prendre des décisions. Pourtant, ne pas décider est aussi une façon de faire un choix. D’ailleurs, s’il semble avoir fait un choix par défaut, un avenir se dessine tout de même pour lui, tandis qu’Ane semble toujours aussi perdue. Le réalisateur ne juge jamais ses personnages et laisse plusieurs pistes et interprétations ouvertes. Tout choix n’est qu’un pari incertain sur l’avenir et il est bien difficile de savoir si l’on a fait le bon ou pas.

Ane explique «  qu’elle ne fait pas ce dont elle rêvait mais qu’elle ne sait pas ce qu’elle fera dans dix ans et que c’est peut-être cela la différence entre vivre et exister ».

Quelle place pour l’amour dans ces existences ballottées par l’incertitude ?

Le personnage principal est taciturne et peu expressif. Il ne partage pas ses émotions, répond beaucoup par des « je ne sais pas », a souvent le regard dans le vide. Tous les jeunes semblent en effet chercher à fuir, que ce soit en choississant de partir ou en optant pour l’indifférence. La réalisation vient souligner cette sensation de fuite et de malaise par des cadres très larges, où les personnages sont relégués dans un petit coin, comme s’ils n’occupaient pas l’espace. Le scénario manie l’absurde de la situation avec humour et s’amuse de ses personnages englués dans leur quotidien, parfois presque empôtés.

Le film emprunte son esthétique à celle du peintre Edward Hooper. Certaines séquences sont très graphiques, jouant avec les lignes et les couleurs. On compte beaucoup de plans fixes, dans un film au rythme assez lent (le temps des hésitations, de l’attente) qui opère beaucoup par ellipses (symbolisant les coups du destins qui font avancer de force).

Un très beau film, drôle et sensible, qui fait écho aux dilemnes rencontrés par une partie de la génération actuelle de trentenaires européens. Au delà de cela, c’est un film simple et très juste sur cet instant de la vie où à la fois rien n’est vraiment impossible, tout est déjà joué, et où, pourtant, il reste une carte à jouer… mais pour cela, toute la question est de savoir ce que l’on est prêt à sacrifier ?

Keeper de Guillaume Senez, Belgique-Suisse-France, 2015.

Prix spécial du jury. Sortie France en mars 2016.

Maxime et Mélanie ont quinze ans et vivent leur première grande histoire d’amour. Ensemble, ils partagent tout et découvrent la sexualité. Maxime rêve de devenir gardien de but (« keeper » en anglais). Un jour, alors qu’il est sélectionné pour devenir professionnel, Mélanie lui apprend qu’elle est enceinte.

Ils vont devoir faire un choix de vie important. Passé le choc, lui se sent rapidement capable de garder l’enfant et d’en assumer les conséquences, sûr de pouvoir tout mener de front. Inconscience ou réelle maturité ? Pour elle, en revanche le choix semble plus compliqué.

Les deux adolescents vont entrer dans un tourbilon de questionnements, les forçant à quitter prématurément l’enfance. Toute les aspects de leur vie vont être mis en doute. C’est cela que le film réussit tout particulièrement à mettre en valeur : il interroge très justement le passage à l’âge adulte, la relation aux parents et le lien avec le contexte familial.

Le rôle des parents est en effet déterminant dans les choix de leurs enfants. En mettant en avant deux histoires familiales différentes face à la parentalité, le réalisateur permet de faire entendre en écho d’autres récits de vie, procédant d’autres choix que celui que s’apprête à faire Maxime et Mélanie. Le film ne donne jamais de leçon, au contraire, il laisse toute sa place à l’incertitude de l’avenir. Aucune décision n’est bonne ou mauvaise et la vie réserve bien des surprises, quels que soient les choix faits.

Le film pose également la question des droits du père, sans pour autant oublier tout ce qu’une grossesse non désirée implique pour une femme. La véritable originalité du film réside d’ailleurs dans le fait de filmer ce sujet du point de vue du garçon.

Il met aussi bien sûr la grossesse adolescente en pespective : le rôle des parents, le poids de la société, la question de l’avenir, le droit à l’insouciance.

Ainsi, le scénario évite toutes facilités de traitement et parvient remarquablement à embrasser la complexité de son sujet. Malgré une thématique souvent traitée au cinéma, on ne s’ennuie pas une seconde et le film nous étreint pour ne plus nous lâcher. Les rebondissements s’enchaînent, on est pris dans les contradictions des choix et des difficultés de ce jeune couple, jusqu’au paroxysme final, déchirant.

La réalisation, très naturaliste, laisse une grande place à la spontanéité (liée sans doute au fait qu’au moment du tournage les comédiens disposaient bien de l’histoire mais pas des dialogues) .

Pour le Prix Spécial du Jury aussi les débats ont été longs et agités ! En tout les délibérations ont duré presque trois heures, preuve de la qualité de la programmation. Passionnant !

Theeb de Naji Abu Nowar, Jordanie, 2014.

1916, au cœur du désert dans la province ottomane de Hijaz, Theeb est élevé par son grand-frère Hussein. Quand un soir, un officier britannique et son guide bédouin, en quête d’un vieux puits, se présentent au camp, Hussein est désigné pour les guider au cœur du dangereux désert. Theeb se décide à les suivre. Commence alors un véritable film d’aventure et d’action.

Le rythme est soutenu, les personnages intéressants et le jeune acteur jouant le rôle de Theeb est impressionnant.

Le décor magnifique (c’est là qu’a également été tourné le film« Lawrence D’arabie »), la réalisation maitrisée, le suspens digne d’un western font de ce film un très beau film d’action, mais on n’en attendra rien de plus.

Je me tue à le dire de Xavier Seron, Belgique, 2015.

Michel Peneud est hypocondriaque, sa copine l’a quitté et il s’occupe de sa mère, particulièrement envahissante, qui est atteinte d’un cancer du sein. Un jour, il se décide à placer sa mère en maison de repos. C’est alors que son état de santé se dégrade, il en est sûr : il est lui aussi atteint d’un cancer du sein.

Ce film à l’humour belge corrosif ose tout et c’est pour cela qu’on l’aime. Se moquer de la mort, de la maladie et même de la peur de la maladie. Humour potache, jeux de mots, ironie, caricature, tout est permis.

Entièrement tourné en noir et blanc, il filme avec tendresse un personnage contemporain délicieusement loufoque et malchanceux.

Mais derrière la comédie se cache un film plus grave. Il explore des thématiques difficiles et notamment le rapport à la mère (via la métaphore filée du rapport au sein). On trouve également une satire très fine de notre société moderne.

Le réalisateur s’amuse à associer les notions de « profane » et de « sacré ». Pour cela il joue sur les contrastes aussi bien en terme de lumière, que de vocabulaire, entre les caractères opposés des personnages et à l’intérieur même de la bande-originale (empruntant à la fois au répertoire classique, au baroque en particulier, mais aussi à la chanson populaire française et belge).

La réalisation, très chorégraphiée, contient bon nombre de plans-séquence et démontre toute la maitrise de l’auteur.

Une œuvre créative, réjouissante et inclassable qui prouve, encore une fois, toute la vivacité du cinéma belge.

In your arms de Samanou Acheche Sahlstrom, Danemark, 2014.

Prix du jury lycéen.

Marie, jeune infirmière en maison de repos, ne trouve pas le bonheur dans sa vie. Niels, l’un de ses patients paralysé, atteint d’une maladie incurable, a l’habitude de maltraiter le personnel soignant et ses proches. Pourtant, Marie ne peut s’empêcher de l’apprécier et d’éprouver une certaine fascination pour lui. Le jour où il choisit d’aller en Suisse mourir par suicide assisté, elle décide de le suivre. A priori si opposés, ils partagent finalement tous les deux cette même peur de vivre, que cet ultime voyage va les obliger à affronter.

Le film a le mérite de s’attaquer à un sujet provoquant, difficile et de l’assumer. Le réalisateur va au bout de son sujet, sans jamais détourner les yeux. Il réussit aussi le pari de faire un mélodrame sur un sujet tabou sans jamais tomber ni dans le cliché ni dans la mièvrerie, bien au contraire.

Les personnages (admirablement portés par le jeu des acteurs) sont touchants, complexes, et ne dévoilent leur part de mystère qu’au compte goutte, laissant une large place à la réflexion du spectateur. Il s’agit d’un film sur l’envie de vivre et la quête de sens de l’existence. Au fur et à mesure, Marie devient peu à peu actrice de sa vie, jusqu’à sa mue, métaphorisée dans une très belle scène finale, esthétique et musicale, remarquable d’intensité.

Le rythme est soutenu, le suspens et l’espoir nous tiennent tout au long du film. La réalisation, réaliste et poétique, se met au service d’un scénario cruel et maitrisé. Nombre de séquences sont filmées caméra à l’épaule, le cadre bouge sans arrêt, appuyant ainsi l’effet de réalisme tout en ajoutant à la sensation de trouble que provoque en nous le film. On ne peut s’empêcher de remarquer l’influence de Lars Van Trier, autre danois, avec qui Samanou Acheche Sahlstrom a déjà travaillé.

Le film décide de nous bousculer et nous met dans l’inconfort tout du long. Quelque chose se déplace en nous, le temps de la projection dont on ne ressort pas indemne.