Parfois hypnotisant, parfois trop sûr de lui, le nouveau film de Nicolas Winding Refn laisse un sentiment d’inachevé.
Comme souvent chez Nicolas Winding Refn, The Neon Demon accumule les images fortes, et l’une d’entre elles résume à merveille les intentions du cinéaste. Il s’agit d’un œil vomi, posé sur un tapis d’un blanc immaculé. Cet outil du regard, que le réalisateur met en valeur ici en tant que juge de la beauté, bafoue l’innocence en accompagnant du sang qui salit le sol. La préservation de la pureté a toujours prédominé dans le cinéma de NWR, même quand celle-ci s’avère parfaitement vaine. Et elle l’a rarement autant été que dans son nouveau film. Certes, il se présente peut-être comme son opus le plus sage, mais il se révèle avant tout comme l’un de ses plus nihilistes. Débarquant à Los Angeles avec le souhait de devenir mannequin, Jesse (Elle Fanning, absolument fascinante) se rend compte qu’elle est l’objet de tous les désirs, à commencer du côté de ses concurrentes qui la jalousent. S’il est une critique assez évidente du monde de la mode, The Neon Demon emprunte donc un chemin assez balisé, voyant son héroïne ingénue tomber petit à petit dans le jeu de l’univers dans lequel elle s’emprisonne, au point de trouver son assurance dans le narcissisme. L’œil est ainsi perverti, menant le point de vue d’une enfant à celui d’une adulte. Néanmoins, la symbolique de la séquence évoquée plus tôt ne se rapporte pas qu’à une fascination de la vue en tant qu’ouverture vers une forme plus ou moins positive de maturité. Elle désigne également le rejet d’une vision du monde et de l’art prémâchée (ou plutôt régurgitée dans ce cas), appel à un regard nouveau et plus ouvert pour un cinéaste qui a toujours cherché les expérimentations visuelles.
Le problème, c’est que The Neon Demon est loin de la claque iconoclaste promise par son réalisateur. Si la mégalomanie reconnue, voir même revendiquée de Winding Refn peut avoir du bon, notamment pour son ambition technique, elle le laisse se fourvoyer quant à ses inspirations, souvent bien digérées mais qu’il n’exploite pas nécessairement de manière novatrice. Certes, c’était déjà le cas auparavant (Valhalla Rising laissait planer le spectre de Stanley Kubrick, et Drive de Michael Mann), mais ces films-ci conservaient une part de clairvoyance, et étaient plus enclins à une recherche plastique et sensique propres. De ce fait, difficile de prendre au sérieux The Neon Demon quand il affiche aussi ostensiblement ses références en voulant les faire passer pour un monument de renouveau à la gloire de son cinéaste, qui n’hésite pas à barder son générique de ses initiales, comme pour s’assurer de la paternité de son bébé. Cela ne l’empêche pas pour autant de comprendre ses modèles (Kubrick encore, Jodorowsky, Bava, Argento, Anger…) et de leur offrir de beaux hommages, mais il ne parvient jamais réellement à surprendre, la faute à un scénario bien trop fier de ses effets de style et de ses phases oniriques, et dont l’issue paraît assez évidente. En effet, NWR suit une nouvelle fois le modèle du conte initiatique, après Drive (le récit chevaleresque) et Only God Forgives (le mythe tendance complexe œdipien), s’inspirant clairement de Blanche-Neige. L’innocence que laisse transparaître Fanning fait face à de nombreux miroirs, qui lui renvoient une image de plus en plus changeante, comme si la princesse avait décidé de suivre la voie de sa belle-mère, en retrouvant la violence du conte d’origine.
Cependant, comment juger le manque de substance d’un film en quête de beauté, tout en admettant que cette quête même n’a pas de sens ? Peut-être que la sensation de vide que laisse le long-métrage est un élément en faveur de sa satire de la superficialité du monde moderne. The Neon Demon peut ainsi être perçu comme un pur objet d’expérimentations plastiques souvent hypnotisantes, surtout quand les cadres millimétrés et la photographie aux accents surréalistes sont sublimés par la BO électrique de Cliff Martinez. Winding Refn confirme qu’il est un grand formaliste et il semble inutile de discuter ce fait. Le problème est qu’il considère son œuvre comme bien plus profonde. Attention, il n’est en aucun cas question de bêtement catégoriser le cinéaste (l’auteur de ces lignes apprécie même ses œuvres les plus critiquées, à commencer par Only God Forgives), mais The Neon Demon donne la désagréable impression que NWR a véritablement scindé son scénario de la mise en scène, alors que l’un ne peut rien sans l’autre. L’humour grinçant de quelques séquences, couplé à la volonté d’assumer parfois le ridicule de certaines situations a beau accentuer l’aspect loufoque de l’ensemble, il ne suffit pas à rattraper les lapalissades autour du mannequinat que nous assène le cinéaste (en gros, le monde de la mode est un territoire de charognards). Mais là encore, impossible de ne pas lui pardonner certains de ses travers, pour peu que l’on prenne du recul avec le génie supposé qu’il s’accorde. The Neon Demon comporte de très belles fulgurances, où l’on est obligé d’admettre que si son réalisateur ne réussit pas toujours ce qu’il entreprend, il a au moins le mérite d’essayer de sortir des sentiers battus. Par bribes, il parvient à se mettre au niveau de son sujet, plutôt que de tenter d’être au dessus de lui. Comme ses personnages, NWR est en quête de la beauté parfaite, alors qu’il sait qu’elle est inaccessible, qu’elle dépend d’un temps qui file entre les doigts. Elle est éphémère, à l’image de ces merveilleux néons qui finissent nécessairement par s’éteindre. La lumière naturelle reprend le dessus pour révéler l’artificialité d’un monde prêt à tout pour se trouver du sens. Et si Winding Refn est le premier à y succomber, il offre quelques instants de pure poésie sensorielle, épurés de symboliques trop évidentes, et qui correspondent à ce sentiment qu’éprouve Jesse lorsqu’elle est regardée par tout le monde. L’une de ses rivales lui demande ce qu’elle ressent, mais elle ne parvient qu’à dire : « C’est indescriptible ».